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Rapport de Dey et Kaplan : Mise au point sur les normes de gouvernance des sociétés canadiennes

19 avril 2021

Dans un rapport publié récemment et intitulé 360º Governance: Where Are The Directors In A World In Crisis? (en anglais seulement) (le « rapport »), Peter Dey et Sarah Kaplan se penchent sur les pratiques modernes de bonne gouvernance d’un point de vue pratique, mais également  du point de vue de la recherche universitaire, et établissent un nouvel ensemble de lignes directrices en matière de gouvernance pour le 21e siècle (les « lignes directrices »). À l’instar du rapport influent intitulé Where Were The Directors?, publié à l’intention de la TSX en 1994 par un comité présidé par M. Dey et portant sur l’indépendance et la surveillance du conseil d’administration, les lignes directrices reflètent le contexte actuel des enjeux cernés dans le rapport, dont le changement climatique, l’accroissement des inégalités économiques, le racisme systémique et la COVID-19.

Les lignes directrices visent à éclairer les conseils d’administration sur les façons dont ceux-ci peuvent efficacement prendre en considération les intérêts de toutes les parties prenantes et les droits des Autochtones dans le cadre de leurs processus décisionnels. Lors de la préparation du rapport, M. Dey et Mme Kaplan ont consulté un comité consultatif composé de plus de 50 éminents administrateurs, chefs de file du secteur, universitaires et experts qui travaillent dans le domaine de la gouvernance. Le rapport contient 13 recommandations, allant des concepts relatifs à des seuils tels que l’objet de la société, les obligations des conseils d’administration et l’identification des parties prenantes, aux enjeux liés à la rémunération, à la diversité, au renouvellement des conseils, au changement climatique et à l’activisme des sociétés. Bon nombre d’émetteurs reconnaîtront, dans certaines recommandations du rapport, des éléments de leurs propres pratiques en vigueur en matière de gouvernance. Toutefois, la mise en œuvre d’autres recommandations énoncées dans le rapport pourrait être perçue comme un défi important dans le contexte particulier de ces émetteurs.

IDENTIFICATION DES PARTIES PRENANTES ET PRISE EN COMPTE DE LEURS INTÉRÊTS

Le rapport contient un certain nombre de lignes directrices en matière de gouvernance qui visent à aider les administrateurs à identifier les parties prenantes et à prendre en compte les intérêts de celles-ci. Ces lignes directrices comprennent la fixation d’un objet pour la société, l’identification des groupes de parties prenantes pertinents, l’établissement et la clarification de l’intérêt fondamental de la société dans le cadre de chacune des décisions prises par le conseil d’administration, la détermination de la responsabilité du conseil aux fins de l’analyse et de la mobilisation des parties prenantes et la gestion des conflits entre les groupes de parties prenantes afin de veiller à ce que les intérêts de ceux-ci ne soient pas injustement négligés.

Objet de la société

La première recommandation des auteurs du rapport est que le conseil d’administration précise, par écrit, un objet pour la société, qui est ancré dans la proposition de valeur fondamentale de la société. La déclaration d’un objet pour la société devrait reconnaître les parties prenantes qui ont rendu possible son existence, définir les objectifs que la société évaluera et priorisera, tenir compte des conflits potentiels entre des objectifs concurrents et établir ultimement le cadre relatif à la compréhension par les administrateurs des intérêts à long terme de la société, en plaçant les conseils d’administration dans de meilleures positions aux fins de l’exercice de l’appréciation commerciale et de la défense des décisions qu’ils prennent.

Identification des parties prenantes

Le rapport recommande que les conseils d’administration identifient les parties prenantes pertinentes pour la société. M. Dey et Mme Kaplan donnent une définition large de ce qu’ils entendent par partie prenante (stakeholder) et proposent que ce terme comprenne tout intervenant ou groupe associé à la création ou à la destruction de valeur par la société à toute étape de son cycle de vie. On doit s’attendre à ce que les parties prenantes pertinentes pour une société varieront au fil du temps et selon le type de décision.

Le rapport souligne également le statut spécial des peuples autochtones au Canada, reconnaissant qu’ils ne représentent pas simplement un ensemble de parties prenantes parmi d’autres et que bon nombre de peuples autochtones rejettent la désignation de « partie prenante », car cette dernière sous-entend que leurs intérêts peuvent être mis dans la balance avec d’autres intérêts au lieu de confirmer les droits inhérents des peuples autochtones. Cette question est abordée plus en détail ci-après dans la section « Intérêts et risques fondamentaux » - « Peuples autochtones ».

Intérêt fondamental

Les administrateurs de sociétés canadiennes ont une obligation fiduciaire envers leur société et doivent agir au mieux des intérêts de celle-ci. Le rapport indique que tout conseil devrait être en mesure de définir l’intérêt fondamental de la société dans le cadre de chaque prise de décision par le conseil, de même que d’harmoniser cet intérêt avec l’objet de la société. Les auteurs du rapport notent qu’une telle obligation implique notamment de tenir compte de la viabilité à long terme des activités de la société. De plus, ils soulignent que la connaissance des diverses parties prenantes et des répercussions des activités de la société sur ces parties est rapidement en train de devenir une compétence essentielle de tout conseil d’administration.

Conformément mais antérieurement à cette recommandation du rapport, la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA ») a été modifiée en 2019 pour préciser que les administrateurs, lorsque ceux-ci cherchent à agir dans l’intérêt fondamental de la société, peuvent tenir compte des intérêts des actionnaires, des employés, des retraités et pensionnés, des créanciers, des consommateurs, des gouvernements, de l’environnement et des intérêts à long terme de la société.

Comité des parties prenantes

Il est suggéré dans le rapport que les conseils d’administration mettent sur pied un comité des parties prenantes qui aura la responsabilité de cerner les intérêts de ces parties, ainsi que d’analyser et de superviser la communication de l’information concernant les intérêts de celles-ci, de même que d’interagir directement avec les principaux groupes de parties prenantes. Reconnaissant les contraintes opérationnelles liées aux ressources au sein des conseils de nombreux émetteurs de petite taille, M. Dey et Mme Kaplan indiquent qu’il pourrait être suffisant qu’un comité existant ou qu’un administrateur principal assume cette responsabilité plutôt que de créer un comité à cet effet.

Conflits entre les parties prenantes

Il est également recommandé dans le rapport que les conseils d’administration élaborent un cadre aux fins de l’évaluation des conflits entre les intérêts des parties prenantes, afin de s’assurer que ces intérêts ne sont pas injustement négligés. À cet égard, les conseils doivent garder en tête que l’énoncé de l’objet de la société doit fournir des indications sur la façon de traiter les conflits entre les groupes de parties prenantes et au sein de ceux-ci. Selon les auteurs du rapport, bien que de tels conflits offrent des possibilités d’innover de façon à créer de la valeur pour toutes les parties concernées, il est également vrai que ces conflits sont parfois irréconciliables.

Évaluations des impacts sur les parties prenantes

Afin que le conseil et les parties prenantes comprennent la façon dont une société gère ses relations et interagit avec les parties prenantes, le rapport suggère que les sociétés intègrent dans leurs rapports annuels de l’information relative aux répercussions sur les parties prenantes, et qu’une évaluation des impacts sur les parties prenantes soit menée dans le cadre des grands projets (d’une manière potentiellement similaire à l’évaluation des impacts sur l’environnement). De tels rapports devraient refléter l’état ainsi que l’évolution des relations de la société avec ses parties prenantes, de même que permettre de procéder à des analyses comparatives et relatives à la reddition de compte. Aux fins du suivi des progrès dans le temps, le rapport suggère que les conseils pourraient envisager d’adopter une norme existante en matière de comptabilité sociale afin de présenter l’information de façon intégrée.

INTÉRÊTS ET RISQUES FONDAMENTAUX

Étoffant les principes du rapport relativement à l’objet de la société, aux obligations du conseil et aux intérêts des parties prenantes, M. Dey et Mme Kaplan proposent que les sociétés reconnaissent les relations spéciales que celles-ci entretiennent avec les peuples autochtones, de même que leurs incidences sur le changement climatique, et appliquent les pratiques exemplaires en matière d’activisme des sociétés.

Peuples autochtones

Le rapport indique que les conseils devraient élaborer, mettre en œuvre et maintenir à jour un processus visant à favoriser de bonnes relations entre la société et les peuples autochtones, lequel tiendrait compte des circonstances historiques uniques entourant la création de cette relation ainsi que les droits constitutionnels qui font en sorte que les peuples autochtones occupent un rang supérieur à celui d’une simple partie prenante. Plus particulièrement, à la lumière des mesures récentes prises par le gouvernement du Canada en vue de ratifier la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (la « DNUDPA »), les auteurs du rapport recommandent que les sociétés fournissent aux actionnaires de l’information relative aux risques associés aux projets de la société quant à savoir si les peuples autochtones concernés ont donné un « consentement libre, préalable et éclairé » à l’égard de tels projets.

Changement climatique

En outre, il est proposé dans le rapport que les sociétés adoptent et présentent une politique visant à gérer les occasions et les risques associés au changement climatique, et communiquent de l’information sur la surveillance du conseil à l’égard des enjeux climatiques, le processus d’évaluation des enjeux climatiques dans le cadre des décisions stratégiques, ainsi que les procédures de surveillance des progrès relatifs à l’atteinte des objectifs et des cibles connexes. À cet égard, M. Dey et Mme Kaplan expliquent que tout conseil d’administration qui ne surveille pas activement les menaces et les occasions liées au changement climatique ferait preuve de négligence à l’égard de son devoir de loyauté.
Le rapport fait écho à des déclarations faites au cours des dernières années par les organismes canadiens de réglementation des valeurs mobilières, à savoir que les risques associés au changement climatique deviendront vraisemblablement de plus en plus importants pour l’ensemble des sociétés. De tels risques peuvent être physiques, c’est-à-dire qu’ils découlent de conditions météorologiques défavorables ou d’autres perturbations causées par le changement climatique, ou transitoires, du fait qu’ils résultent d’un passage à une économie à faible émission de carbone ou de l’adoption de mesures gouvernementales visant à favoriser une telle transition.

Activisme des sociétés

De plus, il est recommandé dans le rapport que lorsque des sociétés se prononcent publiquement sur des enjeux politiques et sociaux, de telles positions devraient être élaborées et précisées dans le cadre d’un processus mené par le chef de la direction de la société, lequel processus devrait comprendre une consultation avec les administrateurs de la société pour déterminer si celle-ci devrait prendre position ou non, et à quel moment et de quelle façon.

LIGNES DIRECTRICES EN MATIÈRE DE GOUVERNANCE ET DE COMMUNICATION DE L’INFORMATION

Le rapport contient également certaines recommandations ayant trait à la gouvernance et à la communication de l’information, notamment sur les questions relatives à la diversité, au renouvellement du conseil et à la rémunération des hauts dirigeants.

Diversité

Deux recommandations du rapport sont axées sur la diversité. La première concerne la diversité au sein du conseil d’administration et de la haute direction. Les auteurs du rapport recommandent que les conseils adoptent des cibles en matière de diversité applicables aux administrateurs et aux membres de la haute direction. Cette recommandation reprend celle décrite dans le rapport, publié plus tôt cette année, du Groupe de travail sur la modernisation relative aux marchés financiers de l’Ontario.
La deuxième recommandation porte sur la diversité au sein d’une organisation, à savoir que la politique en matière de diversité d’une organisation ne devrait pas seulement s’appliquer aux postes de direction, mais à l’ensemble de l’organisation. Cette politique devrait également contenir des cibles, des échéanciers et des exigences de déclaration.

Renouvellement du conseil

En lien avec les recommandations du rapport au chapitre de la diversité, il est recommandé que les conseils d’administration fixent des limites relatives à la durée des mandats et/ou à l’âge des administrateurs afin de veiller à un roulement régulier des membres du conseil. M. Dey et Mme Kaplan suggèrent également qu’un processus rigoureux d’évaluation du conseil d’administration peut aider à faire en sorte que le conseil soit renouvelé régulièrement. À cet égard, M. Dey et Mme Kaplan recommandent que toute matrice des compétences servant à l’évaluation des besoins d’un conseil d’administration comprenne une connaissance des groupes de parties prenantes pertinents et une expertise en matière d’enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance.

Rémunération des hauts dirigeants

Pour veiller à ce que l’objet d’une société ait du « mordant », les auteurs du rapport suggèrent que la rémunération des hauts dirigeants devrait être liée à la réalisation de l’objet et à la viabilité à long terme de la société. Ils proposent que de l’information soit communiquée sur la façon dont le rendement en fonction de telles cibles sera évalué et récompensé. Par exemple, il est proposé que la rémunération des hauts dirigeants soit liée à certaines mesures qui sont indiquées dans le rapport sur les parties prenantes de la société (se reporter à la section ci-dessus « Identification des parties prenantes et prise en compte de leurs intérêts » - « Évaluations des impacts sur les parties prenantes »), et non à la réalisation générale de la « responsabilité sociale ».

CONCLUSION

On peut s’attendre à ce que les recommandations du rapport procurent une structure additionnelle et davantage de contenu aux discussions qui ont déjà lieu dans les salles de réunion (virtuelles) des conseils d’administration. Les administrateurs de sociétés canadiennes devraient prendre connaissance des lignes directrices et être conscients des tendances actuelles et émergentes ainsi que des pratiques volontaires qui suscitent un intérêt grandissant. Ils devraient également surveiller les changements éventuels aux pratiques ou aux obligations d’information en matière de gouvernance qui pourraient être adoptés par les organismes canadiens de réglementation des valeurs mobilières ou au moyen de modifications apportées aux lois sur les sociétés (comme dans le cas des modifications récentes à la LCSA).

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Howard Levine                       514-982-4005
Stacy McLean                        416-863-4325
Matthew Merkley                    416-863-3328
Liam Churchill                        416-863-3057

ou un autre membre de nos groupes Marchés des capitaux ou Gouvernance.