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La Cour d’appel de l’Ontario confirme que les conséquences du harcèlement sexuel peuvent être sévères

2 mai 2022

Mark Render, un gestionnaire avec 30 ans de service, a été congédié par son employeur pour motif sérieux après avoir donné une gifle sur les fesses d’une collègue (la « plaignante ») dans leur lieu de travail. M. Render a subséquemment intenté une action pour congédiement injustifié contre son employeur, laquelle a été rejetée en première instance. M. Render a interjeté appel de cette décision et a obtenu gain de cause, du moins en partie. En effet, dans l’affaire Render v. ThyssenKrupp Elevator (Canada) Limited, 2022 ONCA 310 (en anglais), bien que la Cour d’appel de l’Ontario (la « Cour d’appel ») ait condamné l’inconduite survenue dans le lieu de travail entre M. Render et sa collègue, elle a statué toutefois que cette conduite n’était pas suffisante pour constituer un « acte d’inconduite délibérée ».

DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE

Avant son congédiement, M. Render avait été à l’emploi de ThyssenKrupp Elevator (l’« employeur ») depuis 30 ans. Selon la décision de première instance, le lieu de travail était un environnement « amical, où les gens s’échangeaient des plaisanteries » (friendly and joking). M. Render a indiqué qu’il favorisait un tel environnement pour réduire le stress. La plaignante, qui occupait le poste de gestionnaire de comptes, et M. Render se seraient également échangés des plaisanteries dans le passé.

Le 28 février 2014, M. Render et six autres employés discutaient et plaisantaient dans un bureau. La plaignante a fait une plaisanterie au sujet de la taille de M. Render; il s’agissait d’une blague qu’elle avait faite à maintes reprises à son égard auparavant. M. Render a ensuite dit à toutes les personnes présentes de quitter la pièce, car il s’apprêtait à rencontrer un autre employé. Lors de son témoignage en première instance, M. Render a indiqué qu’il avait ensuite fait un geste de balayage avec sa main droite et qu’il avait accidentellement touché les fesses de la plaignante.

Ce geste a fait sursauter la plaignante, et cette dernière a dit qu’elle ne pouvait pas croire ce que M. Render venait de faire. Elle a signalé l’incident et, après la tenue d’une enquête en milieu de travail, l’employeur a décidé de mettre fin à l’emploi de M. Render pour motif sérieux, le motif étant que M. Render avait touché les fesses de la plaignante. L’employeur n’a versé aucune indemnité de licenciement ou de cessation d’emploi à M. Render.

Les témoignages rendus en première instance présentaient des divergences, notamment à savoir si le geste de M. Render avait été une tape ou une gifle, si ce geste avait été délibéré ou accidentel, et s’il avait été de nature sexuelle ou non. Le juge de première instance a déterminé qu’il s’agissait d’une gifle, que cette dernière avait été suffisante pour choquer et contrarier la plaignante, et que ce geste n’avait pas été accidentel.

Le juge de première instance a statué que le but de la gifle, qu’elle eût été de nature sexuelle ou non, avait été pour M. Render d’affirmer sa domination sur la plaignante, d’abaisser cette dernière et de l’embarrasser devant ses collègues. Le juge a conclu que la gifle constituait une atteinte à la dignité et au respect de soi de la plaignante, une conduite « inacceptable dans les lieux de travail d’aujourd’hui ».

Afin de déterminer si le congédiement de M. Render s’appuyait sur un motif sérieux, le juge de première instance a appliqué le critère de proportionnalité établi par la Cour suprême du Canada dans l’affaire McKinley c. BC Tel, 2001 CSC 38, [2001] 2 R.C.S., 161, pour ainsi déterminer que la cessation de l’emploi de M. Render constituait une mesure proportionnelle à l’incident. Il a noté un certain nombre de facteurs aggravants, dont le fait que M. Render était en position d’autorité en tant que superviseur de la plaignante, et que l’employeur avait communiqué les politiques de la société en matière de lutte contre le harcèlement et la discrimination à M. Render seulement quelques jours avant l’incident. Aux termes de ces politiques, un seul acte, tel qu’un attouchement non souhaité, pouvait constituer un acte de harcèlement sexuel, et que les conséquences de ce type de conduite pouvaient comprendre la cessation d’emploi. Le juge de première instance a noté également que M. Render n’avait pas assumé la responsabilité de son geste, ne reconnaissait pas la nature sérieuse de l’incident, et ne regrettait pas suffisamment son acte.

Le juge de première instance a refusé de prendre en compte des facteurs d’atténuation possibles, dont le fait que le dossier d’emploi de M. Render auprès de l’employeur, qui s’étendait sur une période de 30 ans, était sans tache, et le fait qu’il existait une culture générale de plaisanteries au sein de ce lieu de travail. Pour motiver le rejet de ce dernier facteur d’atténuation, le juge de première instance a cité la décision rendue par la Cour d’appel dans l’affaire Bannister c. General Motors du Canada Limitée (1998), 40 O.J. (3d) 591 (C.A.), laquelle établit ce qui suit : « [a]ucune femme ne devrait se voir forcée de défendre sa dignité, de repousser les avances importunes ou de répondre à des attaques verbales à caractère sexuel. Le superviseur qui se comporte de cette façon ou qui tolère ce genre de conduite commet un abus de pouvoir ».

DÉCISION EN APPEL

Interjetant appel de la décision de première instance, M. Render soutenait entre autres qu’aucun motif sérieux ne justifiait la cessation de son emploi et que, même s’il existait un tel motif en vertu de la common law, il aurait dû à tout le moins pouvoir toucher les indemnités de cessation d’emploi minimales prévues par la Loi de 2000 sur les normes d’emploi de l’Ontario (la « LNE »).

La Cour d’appel a rejeté l’appel de M. Render à l’égard de la cessation de son emploi pour motif sérieux en vertu de la common law. Elle a rejeté l’argument de M. Render selon lequel l’employeur aurait pu appliquer des mesures disciplinaires autres que la cessation d’emploi. De plus, elle a statué que, dans une affaire concernant une cessation d’emploi pour motif sérieux, la question clé consiste à déterminer [TRADUCTION] « si l’employé a commis une inconduite qui est incompatible avec les modalités fondamentales de la relation d’emploi » (citation tirée de Dowling v. Ontario (Workplace Safety & Insurance Board) (2004), 246 D.L.R. (4th) 65 (Ont. C.A.)). La Cour d’appel a par ailleurs ajouté que [TRADUCTION] « lorsque les choses vont trop loin, comme c’est le cas en l’espèce, les conséquences juridiques peuvent être sévères. Chaque lieu de travail doit se fonder sur le respect mutuel entre collègues ».

La Cour d’appel a toutefois déterminé que M. Render avait droit aux indemnités de cessation d’emploi minimales en vertu de la LNE. Elle a réitéré les normes différentes qui sous-tendent la cessation d’emploi pour motif sérieux en vertu de la common law et les exceptions établies au Règlement de l’Ontario 288/01 de la LNE (le « Règlement 288/01 »), aux termes desquelles un employé peut se voir retirer le droit de toucher les indemnités de licenciement et de cessation d’emploi prévus par la loi. En vertu du Règlement 288/01, un employé n’a pas droit aux indemnités de licenciement et de cessation d’emploi prévues par la LNE s’il est « (…) [coupable] d’un acte d’inconduite délibérée, d’indiscipline ou de négligence volontaire dans l’exercice de [ses] fonctions ». La Cour d’appel a confirmé que [TRADUCTION] « l’inconduite délibérée entraîne l’analyse d’une intention subjective, qui s’apparente presque à une intention spécifique en droit criminel. On la trouve dans un éventail plus étroit d’affaires : une affaire d’inconduite délibérée satisfera presque inévitablement au critère du motif séreux, mais l’inverse n’est pas assurément le cas ».

Comme le juge de première instance a déterminé que la conduite de M. Render n’avait pas été « planifiée » (preplanned), la Cour d’appel a statué que l’acte de M. Render ne correspondait pas à une inconduite délibérée. Selon elle, M. Render aurait agi sous l’impulsion du moment, en réaction à la plaisanterie de la plaignante à l’égard de sa taille. Bien que la conduite de M. Render ait justifié un congédiement pour motif sérieux, la Cour d’appel lui a accordé une indemnité de cessation d’emploi de huit semaines en vertu de la LNE.

M. Render a également demandé à la Cour d’appel d’annuler l’adjudication des dépens en première instance et le rejet de sa demande de dommages-intérêts punitifs, qui, selon lui, étaient attribuables au comportement répréhensible affiché par l’employeur au cours de l’instance. La Cour d’appel a convenu que le comportement répréhensible de l’employeur justifiait l’annulation de l’adjudication des dépens en première instance en faveur de ce dernier, mais a refusé d’accorder des dommages-intérêts punitifs à M. Render.

CONSIDÉRATIONS

Cette affaire confirme non seulement que la cessation d’emploi pour motif sérieux est prévue dans la common law, mais aussi que les employés peuvent néanmoins avoir droit aux indemnités de licenciement et de cessation d’emploi en vertu de la LNE. Le fait que la Cour d’appel ait conclu que l’acte d’« inconduite délibérée » signifie que la conduite doit être « planifiée » constituera sans doute une source de préoccupation pour les employeurs. La Cour d’appel n’a donné aucune indication quant au degré de planification préalable nécessaire. Quoi qu’il en soit, cette décision pourrait permettre à des employés de faire valoir qu’ils ont droit aux indemnités de licenciement et de cessation d’emploi, peu importe à quel point leur conduite sous l’impulsion du moment a pu être inacceptable.

En revanche, cette affaire démontre l’importance pour l’employeur de mettre en place de solides politiques en matière de lutte contre le harcèlement et la discrimination, ainsi que de fournir à ses employés des formations sur ces politiques et les conséquences de tout manquement à ces dernières. Dans de telles circonstances, l’employeur serait ainsi en mesure de démontrer un motif justifiant la cessation de l’emploi d’un employé en vertu de la common law lorsque cet employé commet un manquement important à ces politiques, même si l’employé est au service de l’employeur depuis très longtemps et que son dossier d’emploi est autrement sans tache.

Pour en savoir davantage, communiquez avec un membre du groupe Travail et emploi.