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La Cour suprême du Canada clarifie l’application des clauses d’arbitrage en matière d’insolvabilité

22 novembre 2022

Dans le cadre de sa récente décision Peace River Hydro Partners c. Petrowest Corp., 2022 CSC 41 (l’« affaire Peace River »), la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a précisé les circonstances dans lesquelles une convention d’arbitrage par ailleurs valide peut être déclarée inopérante dans le contexte d’une procédure de mise sous séquestre ordonnée par le tribunal en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C., 1985, ch. B-3 (la « LFI »).

CONTEXTE

Dans l’affaire Peace River, Peace River Hydro Partners (« Peace River ») avait sous-traité des travaux à Petrowest Corporation (« Petrowest ») et à des sociétés affiliées de cette dernière dans le cadre de la construction d’un barrage hydroélectrique dans le Nord-Est de la Colombie‑Britannique. Les conventions signées par les parties renfermaient plusieurs clauses stipulant que les différends découlant de leur relation seraient réglés par voie d’arbitrage (les « conventions d’arbitrage »).
 
Éventuellement, Petrowest est devenue insolvable et un séquestre (le « séquestre ») a été nommé à l’égard de ses affaires en vertu de la LFI. Le séquestre a intenté une poursuite civile contre Peace River devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique (l’« instance ») relativement à des fonds que Peace River devait prétendument à Petrowest. Peace River a présenté une demande de suspension de l’instance au motif que les conventions d’arbitrage régissaient le différend et que celui-ci devait donc être soumis à l’arbitrage.
 
Si une partie à une convention d’arbitrage intente contre une autre partie à la convention une action en justice  relative à des questions régies par cette convention, l’Arbitration Act de la Colombie-Britannique (l’« Arbitration Act »), tout comme d’autres lois sur l’arbitrage similaires au Canada, permet à la partie cherchant à faire appliquer la clause d’arbitrage de demander la suspension de la procédure judiciaire en faveur de l’arbitrage. Dans de telles circonstances, la loi sur l’arbitrage oblige le tribunal saisi de la demande à suspendre la procédure judiciaire, à moins que la convention d’arbitrage ne soit « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée ». 

APPLICATION DE LA LOI SUR L’ARBITRAGE DANS LE CONTEXTE D’UNE MISE SOUS SÉQUESTRE

En se fondant sur les faits de l’affaire Peace River, la CSC a déterminé que l’instance devait être autorisée à suivre son cours parce que les conventions d’arbitrage étaient inopérantes. Pour en venir à cette conclusion, la CSC a statué que l’Arbitration Act n’exige pas, dans tous les cas, que le tribunal suspende une poursuite civile intentée par un séquestre nommé par le tribunal lorsque la réclamation est visée par une convention d’arbitrage valide.
 
La CSC a souligné que la LFI confère aux tribunaux un vaste pouvoir de conclure au caractère inopérant d’une convention d’arbitrage eu égard à l’existence d’une procédure d’insolvabilité parallèle. Plus particulièrement, un tribunal peut juger qu’une convention est inopérante dans le contexte d’une situation d’insolvabilité lorsqu’un processus judiciaire centralisé est nécessaire et que la partie qui cherche à éviter l’arbitrage est en mesure d’établir que le fait de soumettre le différend à l’arbitrage compromettrait le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre ordonnée par le tribunal.
 
La CSC précise que les tribunaux doivent être particulièrement vigilants lorsqu’il est question de refuser de suspendre une action en justice en faveur de l’arbitrage. Même si l’une des parties est insolvable, les tribunaux doivent tenir compte du fait que les parties se sont entendues pour soumettre leurs différends à l’arbitrage et faire montre de déférence à cet égard en accord avec les objectifs visés par l’Arbitration Act. En règle générale, ces objectifs seront servis en obligeant les parties à respecter leur convention d’arbitrage et en interprétant de façon restrictive le terme « inopérante ».
 
L’exercice requis afin de déterminer si une convention d’arbitrage est inopérante est hautement factuel et devrait être guidé par un certain nombre de facteurs pertinents, dont les suivants :

  • l’effet de l’arbitrage sur l’intégrité de la procédure d’insolvabilité, laquelle vise à minimiser le préjudice économique que peuvent subir les créanciers;

  • le préjudice relatif pour les parties à la convention d’arbitrage et les parties prenantes du débiteur;

  • l’urgence de régler le différend;

  • l’effet d’une suspension d’instance découlant de la procédure de faillite ou d’insolvabilité;

  • tout autre facteur que le tribunal estime significatif dans les circonstances.

La CSC reconnaît que le droit de l’arbitrage et le droit de l’insolvabilité sont depuis longtemps considérés comme englobant des intérêts opposés. Le modèle de la procédure unique favorise la protection des droits des parties prenantes dans le cadre d’un processus judiciaire centralisé, tandis que l’arbitrage est un processus décentralisé dans lequel les tribunaux interviennent de façon limitée. Cela dit, la CSC note l’existence de similitudes entre ces deux domaines de droit : les procédures d’arbitrage et les procédures d’insolvabilité priorisent toutes les deux l’efficacité et la célérité; la souplesse procédurale est une de leur caractéristique commune, et elles comptent souvent sur des décideurs spécialisés pour atteindre leurs objectifs respectifs.
 
Étant donné les circonstances particulières de l’affaire Peace River, la CSC a conclu que la complexité du processus arbitral prévu dans les conventions d’arbitrage, lequel comprend de nombreuses procédures arbitrales se chevauchant, mettrait en péril la capacité du séquestre de maximiser le recouvrement au profit des créanciers de Petrowest. Par conséquent, les questions de célérité et d’efficacité militent en faveur de la conclusion que les conventions d’arbitrage sont inopérantes en vertu de l’Arbitration Act.

PRINCIPAUX POINTS À RETENIR

La décision de la CSC dans l’affaire Peace River vient rappeler que les tribunaux jouissent de vastes pouvoirs dans le cadre des procédures d’insolvabilité. Ces pouvoirs permettent aux tribunaux de prendre les mesures qu’ils jugent nécessaires pour atteindre les objectifs de la législation sur l’insolvabilité, laquelle favorise le « modèle de la procédure unique » visant à résoudre efficacement les différends et à maximiser la valeur pour les créanciers. Cependant, les lois sur l’arbitrage varient d’une province à l’autre. Les séquestres nommés par le tribunal (ou les professionnels de l’insolvabilité analogues) qui cherchent à éviter l’application de conventions d’arbitrage auront intérêt à obtenir un avis tenant compte des faits et de la loi sur l’arbitrage propres à chaque cas.
 
Enfin, comme le souligne la CSC, les séquestres nommés par le tribunal devraient envisager de solliciter des directives auprès du tribunal de surveillance avant d’intenter une poursuite à l’égard d’un différend assujetti à une convention d’arbitrage régie par la loi sur l’arbitrage applicable. Toutefois, lorsqu’un séquestre intente une action sans autorisation judiciaire préalable, le tribunal doit décider s’il doit exercer sa compétence découlant de la LFI et lui permettant de refuser d’exécuter la convention d’arbitrage en application de la loi sur l’arbitrage applicable.
 
Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Bernard Boucher        +1-514-982-4006
Sébastien Guy            +1-514-982-4020
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Claire Hildebrand       +1-604-631-3331
Alison Burns               +1-604-631-3331
 
ou un autre membre de notre groupe Litige et règlement des différends.