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Projet de loi n° 96 : Impacts sur les secteurs de l’immobilier et des services financiers

31 août 2022

Le 24 mai 2022, l’Assemblée nationale du Québec a adopté le projet de loi no 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (la « Loi »). Cette Loi, qui vise à renforcer le statut de la langue française au Québec, est venue modifier la Charte de la langue française (la « Charte »), ainsi qu’un certain nombre de lois québécoises. C’est d’ailleurs dans cette optique que la Loi impose désormais à l’Administration d’utiliser le français de manière exemplaire et d’en assurer la protection.

Depuis la sanction de la Loi le 1er juin 2022, plusieurs dispositions sont entrées en vigueur, notamment dans le secteur du travail et de l’emploi. Vous pouvez consulter à ce sujet notre Bulletin Blakes de mai 2022 intitulé Langue française : Nouvelles obligations pour les employeurs – Êtes-vous prêts?.

Dans ce bulletin, nous nous intéressons aux dispositions de la Loi qui touchent les secteurs de l’immobilier et des services financiers, ainsi qu’à certains de leurs impacts opérationnels afin de comprendre comment les entreprises et les professionnels œuvrant dans ces secteurs devront adapter leur pratique pour se conformer à la Loi.  

LANGUE DU COMMERCE ET DES AFFAIRES

Depuis le 1er juin dernier, les entreprises qui offrent aux consommateurs des biens ou des services doivent respecter leur droit d’être informés et servis en français. Même si la Charte prévoyait déjà depuis de nombreuses années le droit des consommateurs d’exiger d’être servis en français, la Loi introduit maintenant une obligation corrélative pour les entreprises, créant ainsi un recours civil pouvant être intenté directement à leur encontre.
 
De même, les entreprises qui offrent à un public, autre que des consommateurs, des biens et des services doivent l’informer et le servir en français. Ces modifications de la Charte viennent imposer l’usage du français à titre de langue du commerce et des affaires, et viennent ainsi transformer les interactions que les entreprises ont avec leur clientèle, que ce soient des particuliers ou d’autres entreprises.
 
Diverses sanctions peuvent s’appliquer en cas de contravention à ces nouvelles obligations, notamment des amendes, lesquelles sont d’ailleurs plus salées depuis l’entrée en vigueur de la Loi. En effet, ces amendes sont maintenant de 3 000 $ à 30 000 $ pour les personnes morales, plutôt que de 1 500 $ à 20 000 $, et celles-ci sont désormais doublées pour une deuxième infraction et triplées pour les infractions subséquentes. Qui plus est, le ministre pourrait même suspendre ou révoquer un permis ou une autre autorisation de même nature lorsque l’entreprise contrevient de manière répétée aux dispositions de la Charte.
 
D’autres modifications de la Charte sont intimement liées à l’imposition du français en tant que langue du commerce, telle que l’obligation entrée en vigueur 1er juin 2022 qui vise à transmettre toutes les communications commerciales (brochures, dépliants, catalogues, bons de commande, factures, reçus, modes d’emploi, documents de garantie, quittances, etc.), quel qu’en soit le support, en français. Il est à noter que ces communications peuvent être faites dans une autre langue que le français si la version française est accessible dans des conditions au moins aussi favorables. De plus, l’entrée en vigueur de certaines modifications relatives à la langue du commerce reste également à venir, dont l’obligation de faire figurer de façon nettement prédominante le français dans l’affichage extérieur d’une entreprise, qui entrera en vigueur le 1er juin 2025.  

IMMOBILIER RÉSIDENTIEL ET COPROPRIÉTÉ

Depuis le 1er juin dernier, les contrats de vente ou d’échange visant des immeubles principalement résidentiels de moins de cinq logements ou d’une fraction d’un immeuble principalement résidentiel en copropriété doivent être rédigés en français. Cette nouveauté est également applicable aux promesses de conclure ce type de contrats, aux contrats préliminaires et aux notes d’information d’immeubles résidentiels bâtis ou à bâtir vendus par le constructeur ou promoteur de ces derniers au sens du Code civil du Québec (le « Code civil »).

Il est toutefois possible de rédiger ces contrats (et autres documents) dans une langue autre que le français, à condition que cela soit la volonté expresse des parties. Par contre, il est important de noter que si ces documents doivent être publiés au Registre foncier, ceux-ci devront, dès le 1er septembre 2022, être rédigés en français ou, s’ils sont en anglais, être traduits afin d’être publiés.

De même, depuis le 1er juin dernier, les déclarations de copropriété, ainsi que les modifications apportées à l’acte constitutif de copropriété et à l’état descriptif des fractions de copropriété doivent être présentées exclusivement en français au Registre foncier. Ceci dit, il existe une exception pour les actes qui modifient ou corrigent une déclaration ou un acte publié avant le 1er juin 2022 exclusivement dans une autre langue que le français.

La rédaction d’un contrat ou de tout autre acte dans une autre langue que le français en contravention avec les nouvelles règles entraîne sa nullité. Cette nullité est cependant relative; autrement dit, la partie qui invoque la nullité devra démontrer avoir subi un préjudice du fait que le contrat n’était pas rédigé en français. Par ailleurs, la partie à un contrat peut demander une réduction de son obligation équivalente plutôt que l’annulation du contrat. Pour les documents qui sont publiés, il y a aussi une possibilité de refus ou de contestation de la publication.

Il est également opportun de souligner qu’à compter du 1er juin 2023, les contrats visés ci-dessus qui sont des contrats d’adhésion devront également respecter de nouvelles exigences qui visent à protéger le droit de l’adhérent de faire des affaires en français, tel qu’il est plus amplement discuté ci-dessous.

PUBLICITÉ DES DROITS

À compter du 1er septembre 2022, les réquisitions d’inscription au Bureau de la publicité foncière (le « Registre foncier »), pour les biens et droits immobiliers, et au Registre des droits personnels et réels mobiliers (« RDPRM »), pour les droits mobiliers, devront être rédigées exclusivement en français. De surcroît, tous les documents qui doivent accompagner une réquisition d’inscription devront, s’ils sont rédigés dans une langue autre que le français, être accompagnés d’une traduction vidimée au Québec.

Malgré ce qui précède, et tel qu’il a été soulevé ci-dessus, un acte qui modifie ou corrige un acte présenté avant le 1er juin 2022, ainsi que les documents qui l’accompagnent, peut être présenté au Registre foncier dans une autre langue que le français, dans la mesure où l’acte initial a également été présenté dans une autre langue que le français. Cette exception prévue par la Loi s’applique cependant uniquement aux inscriptions au Registre foncier. Il y a certainement lieu de se questionner sur ce qui constitue ou non un « acte qui modifie ou corrige », mais dans tous les cas, il serait prudent d’opter pour une interprétation restrictive des actes compris dans cette exception.

Ces modifications au Code civil introduites par la Loi sont lourdes de conséquences. D’une part, ces nouvelles exigences ont pour effet de soulever des problématiques dans le choix de la langue d’un contrat par les parties à ce contrat. D’autre part, une réquisition d’inscription qui n’est pas présentée en français pourrait être refusée par le Registre foncier et le RDPRM.

Cela dit, il est important de souligner que ce n’est pas parce qu’une réquisition d’inscription est acceptée par l’Officier de la publicité des droits que cela fait preuve incontestable de sa validité et de sa conformité aux lois applicables et, ultimement, de l’opposabilité aux tiers des droits ainsi publiés. Il appartient donc aux constituants et bénéficiaires des droits publiés de s’assurer de la conformité des réquisitions d’inscription aux exigences de la Loi. Or, de nombreuses difficultés d’application des nouvelles exigences de la Loi aux inscriptions visant à corriger ou à modifier des droits déjà publiés au RDPRM dans une autre langue que le français ont été révélées avant l’adoption de la Loi, et il est regrettable que le législateur ait fait le choix de limiter cette exception aux inscriptions au Registre foncier.

Si les tribunaux devaient être saisis de questions entourant ces nouvelles dispositions, il reste à espérer que ceux-ci sauront pondérer avec précaution l’application des nouvelles dispositions de la Loi et les conséquences des manquements possibles sur les droits publiés aux différents registres en regard de la finalité de la publicité des droits, qui est de permettre aux personnes de rendre leurs droits opposables aux tiers des droits publiés et d’établir leur rang.

PROCÉDURES

Dans le même ordre d’idée, la Loi prévoit qu’à partir du 1er septembre 2022, une traduction en français certifiée par un traducteur agréé devra être jointe à tout acte de procédure qui est rédigé en anglais et qui émane d’une personne morale. Sans cette traduction, l’acte ne pourra être déposé.

Les dispositions de la Loi relatives à la traduction certifiée des actes de procédure déposés dans une autre langue que le français ont cependant fait l’objet d’une demande en contrôle judiciaire et, le 12 août dernier, la Cour supérieure du Québec (la « Cour supérieure ») a rendu une décision qui porte sur la demande de sursis, laquelle a été accordée. Par conséquent, ces dispositions sont suspendues jusqu’au jugement final de la Cour supérieure, lequel est prévu au mois de novembre pour l’instant.      

CONTRATS AVEC L'ADMINISTRATION

À partir du 1er juin 2023, les contrats conclus avec l’Administration devront être rédigés exclusivement en français. La notion d’« Administration » est assez large dans la Charte et inclut, entre autres, le gouvernement et ses ministères, les organismes gouvernementaux, les organismes dont le personnel est nommé suivant la Loi sur la fonction publique, les organismes dont le gouvernement ou un ministre nomme la majorité des membres ou des administrateurs, les organismes municipaux, les sociétés de transport en commun, les organismes scolaires et les organismes du réseau de la santé et des services sociaux.

La Loi prévoit toutefois certaines exceptions, notamment lorsque l’Administration conclut un contrat à l’extérieur du Québec ou pour certains contrats pouvant être rédigés à la fois en français et dans une autre langue,comme les contrats d’emprunt, les instruments et contrats financiers qui ont pour objet la gestion des risques financiers, ainsi que les contrats prévoyant l’achat ou la vente d’une option et les contrats à terme.

La sanction applicable à un contrat conclu avec l’Administration qui n’est pas rédigé exclusivement en français (outre les cas d’exception) est sans équivoque : il sera frappé de nullité absolue, et ce, que la contravention cause ou non un préjudice.

Dans le même ordre d’idées, il est important de noter qu’à partir du 1er juin 2023, certaines communications avec l’Administration, y compris les écrits transmis à un organisme de l’Administration par une personne morale ou par une entreprise pour obtenir un permis, une autorisation de même nature, une subvention ou une autre forme d’aide financière, devront être rédigées uniquement en français. De même, tout service rendu à l’Administration par une personne morale ou une entreprise devra être en français. En cas de contraventions répétées, le ministre pourra, après avoir pris l’avis de l’Office québécois de la langue française, suspendre ou révoquer le permis ou autre autorisation de même nature de l’entreprise en faute.

CONTRATS D'ADHÉSION

À partir du 1er juin 2023, les contrats d’adhésion et tous les documents qui s’y rattachent devront également être rédigés en français. Encore une fois, certaines exceptions s’appliquent, notamment pour les contrats utilisés dans les relations à l’extérieur du Québec.

De plus, de façon générale, les parties à un contrat d’adhésion pourront être liées uniquement par sa version dans une autre langue que le français si, une fois que la version française a été remise à l’adhérent, il en est de la volonté expresse des parties. En pratique, il sera essentiel de mettre en place de nouvelles mesures facilitant la démonstration que la version française a bel et bien été remise et que l’adhérent a tout de même fait le choix d’opter pour la version anglaise afin d’éviter toute ambiguïté.

Par conséquent, une simple clause de langage dans un contrat d’adhésion rédigé en anglais ne sera plus suffisante pour se conformer aux dispositions de la Charte et le non-respect de ces nouvelles exigences pourrait entraîner la nullité du contrat en question (ou encore la réduction de son obligation équivalente). Il y a lieu de préciser que cette nullité est relative et que l’adhérent qui invoque la nullité ne sera pas tenu de prouver que cette contravention lui cause un préjudice.

CONCLUSION

Le projet de loi no 96 constitue une réforme importante de la Charte, qui s’étend à diverses lois phares du Québec, dont plusieurs ont déjà, et auront prochainement, des impacts concrets sur les secteurs de l’immobilier et des services financiers. Bien que plusieurs de ces modifications soient déjà en vigueur, il sera intéressant d’observer l’interaction de tous ces changements au fur et à mesure de leur entrée en vigueur. Plus particulièrement, il sera primordial de voir comment les secteurs de l’immobilier et des services financiers s’adapteront à cette nouvelle réalité. Par exemple, est-ce que les professionnels opteront pour des actes et des contrats bilingues? Ou se tourneront-ils plutôt vers des actes et des contrats en français accompagnés de traductions officielles?

La plupart des entreprises de tous les secteurs seront touchées. Ces dernières devraient passer en revue leur fonctionnement interne afin de s’assurer de leur conformité à ces nouvelles obligations légales.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Jenny Ross                                 514-982-4112
Viorelia Guzun                          514-982-4087

ou un autre membre de nos groupes Immobilier commercial ou Services financiers.