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Section XVII : Restructuration et insolvabilité

Faire affaire au Canada


La législation canadienne en matière de restructuration et d’insolvabilité commerciales n’est pas consignée dans une seule et même loi. Elle renvoie plutôt à un ensemble complexe de règles prévues par la loi, la common law et en equity qui régissent les droits et les responsabilités des créanciers et des débiteurs dans les situations où ces derniers se trouvent en difficulté financière. Les débiteurs insolvables pourraient devenir assujettis à une vaste gamme de procédures formelles ou informelles, la procédure de faillite ne constituant que l’une des procédures d’insolvabilité.

Les néophytes, les médias et les professionnels du droit qui ne pratiquent pas dans le domaine considèrent bien souvent la faillite et l’insolvabilité comme une seule et même chose. Par exemple, on dit souvent d’une entreprise qui a cessé ses activités ou qui ne peut plus remplir ses obligations qu’elle a « fait faillite ». On dit aussi d’une société visée par un processus supervisé par la cour par suite d’une quelconque forme de difficulté financière qu’elle est visée par une « procédure de faillite ». Même si faillite et insolvabilité sont communément employées sans distinction, la différence entre ces deux notions au Canada demeure majeure.

En effet, la faillite constitue un état juridique tandis que l’insolvabilité est une condition financière. Une société insolvable est généralement incapable de s’acquitter de ses obligations lorsque celles‑ci deviennent exigibles ou que la valeur de ses passifs dépasse celle de ses actifs. Par contre, lorsqu’une entité commerciale fait faillite, elle perd sa capacité juridique de gérer ses actifs, et un syndic de faillite, nommé à l’égard de ceux‑ci, est notamment chargé de réaliser toute sûreté sur ceux-ci et de distribuer le produit de la disposition aux créanciers conformément à leurs priorités respectives.

Outre l’option de la faillite, la situation d’une entreprise insolvable peut être assainie par la restructuration de la société et de ses dettes en vertu d’une ou de plusieurs lois régissant l’insolvabilité commerciale ou les ententes commerciales. De telles procédures avec « débiteur-exploitant » (« DE ») peuvent également conduire à la vente d’une partie ou de la totalité des actifs de l’entreprise insolvable ou à une restructuration du bilan ou du capital, ou encore à une combinaison des deux.

Les actifs d’une entreprise peuvent aussi être liquidés ou vendus en se fondant sur l’hypothèse de la continuité d’exploitation, dans le cadre de procédures entamées par le créancier. Ces procédures peuvent comprendre la nomination d’un séquestre (nommé à l’amiable ou par un tribunal), l’exercice d’autres recours de nature privée/extrajudiciaire conférés à un créancier garanti aux termes de sa garantie ou une combinaison de ce qui précède.

Vous trouverez ci‑après un résumé de la législation canadienne en matière de restructuration et d’insolvabilité.

1. Lois sur l’insolvabilité au Canada

Le Canada compte quatre lois maîtresses en matière d’insolvabilité :

  • La Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (« LACC ») constitue la principale loi applicable à la restructuration d’une grande société insolvable. La LACC peut également servir à faciliter la vente d’une entreprise insolvable. Il s’agit par ailleurs d’une loi fédérale qui s’applique dans chaque province et territoire du Canada (et qui vise à avoir une portée mondiale). La LACC produit généralement un effet analogue à celui du Chapitre 11 du Code des États‑Unis (le « Code des É.‑U. »), mais il existe un certain nombre de différences importantes sur le plan technique. Comme il est indiqué ci‑après, la vente de l’entreprise et des actifs d’un débiteur dans le cadre d’une procédure prévue par la LACC est autorisée même en l’absence d’un plan formel de restructuration.
  • La Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« LFI »). La LFI, elle aussi une loi fédérale, comporte des dispositions visant à faciliter la liquidation et la réorganisation des débiteurs insolvables. Les dispositions sur la liquidation, qui prévoient la nomination d’un syndic de faillite à l’égard des actifs du débiteur insolvable, que l’on nomme « procédures de faillite », ressemblent généralement à celles du Chapitre 7 du Code des É.‑U., avec un certain nombre de différences importantes sur le plan technique. Les dispositions sur la réorganisation en vertu de la LFI, désignées sous l’appellation de « proposition », sont plus couramment utilisées pour les réorganisations d’envergure et de complexité moindres que celles prévues par la LACC puisque les dispositions sur la proposition de la LFI comportent des délais plus rigoureux et offrent moins de flexibilité que la LACC. La LFI prévoit également la nomination d’un séquestre intérimaire doté de pouvoirs à l’échelle nationale afin de protéger les actifs et d’un séquestre doté de pouvoirs à l’échelle nationale afin de prendre possession des actifs d’un débiteur et de les vendre lorsque cela est « juste ou opportun ». Un séquestre nommé à l’égard de la totalité ou de la quasi-totalité des actifs d’une société insolvable doit être un syndic autorisé à agir dans le cadre de procédures de faillite; en règle générale, les syndics de faillite sont des professionnels en insolvabilité agréés, comme un cabinet de services-conseils comptables ou financiers.
  • Les lois provinciales sur les sûretés mobilières (« LSM »). Chaque province canadienne, à l’exception du Québec (qui s’est doté de son propre Code civil, modelé sur le Code Napoléon, le Code civil des Français), a adopté une version de la LSM, qui régit les priorités, les droits et les obligations des créanciers garantis, dont le droit d’un créancier garanti, à la suite d’un défaut du débiteur, de faire valoir sa garantie et d’aliéner les actifs visés par celle‑ci (notamment dans l’hypothèse de la continuité d’exploitation). Les LSM se comparent au Uniform Commercial Code adopté dans chaque État américain, dont elles s’inspirent.
  • Règles de pratique provinciales. Chaque province, à l’exception du Québec, dispose de « règles de pratique » comparables à la Loi sur les tribunaux judiciaires de l’Ontario, qui permettent également aux tribunaux de nommer un séquestre ou un administrateur séquestre à l’égard des actifs du débiteur, si cela lui paraît « juste ou opportun ». Le séquestre, au moyen d’une ordonnance de la cour, peut obtenir le droit de prendre possession des actifs mis sous séquestre et de les vendre. Les actifs sont souvent mis sous séquestre à la fois aux termes de la LFI et aux termes des règles de pratiques. La mise sous séquestre constitue un recours qui peut être exercé au Québec en vertu de la LFI fédérale.

Un organisme fédéral appelé Bureau du surintendant des faillites supervise les procédures en vertu de la LACC et de la LFI. Le gouvernement fédéral nomme également des séquestres officiels pour exercer les fonctions prévues par la loi dans chaque ressort visé par la faillite au Canada. Les séquestres officiels rendent compte au surintendant des faillites.

2. Réorganisations en vertu de la LACC

2.1 - Qui est admissible à un redressement en vertu de la LACC?

Pour être admissible à un redressement en vertu de la LACC, le débiteur doit :

a)         être une société constituée au Canada ou une société constituée à l’étranger ayant des actifs au Canada ou exerçant des activités au Canada (certaines entités réglementées comme les banques et les sociétés d’assurance ne peuvent déposer une procédure en vertu de la LACC, mais peuvent plutôt demander une libération de leurs créanciers en vertu de la Loi sur les liquidations et les restructurations). Les sociétés de personnes ne peuvent demander une protection de leurs créanciers en vertu de la LACC, mais, comme il est indiqué ci‑après, un redressement a été accordé dans certaines circonstances, à des sociétés de personnes dont les associés commerciaux avaient présenté une telle demande;

b)         être insolvable ou avoir commis un « acte de faillite » au sens de la LFI. La LACC ne comporte pas de définition de l’insolvabilité. Toutefois, les tribunaux ont utilisé et appliqué la définition de l’insolvabilité en vertu de la LFI. Ainsi, une société débitrice sera admissible à un redressement en vertu de la LFI si elle est insolvable selon le critère de l’encaisse (c’est-à-dire si elle est incapable de s’acquitter généralement de ses obligations à mesure où celles‑ci deviennent exigibles) ou selon le critère du bilan (c’est-à-dire si ses passifs dépassent la valeur de ses actifs). De plus, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a statué qu’un débiteur peut être considéré comme insolvable s’il doit faire face à une crise de la liquidité imminente (looming liquidity crisis) ou est « près » (proximity) d’être insolvable même s’il acquitte actuellement ses obligations à mesure que celles‑ci deviennent exigibles. Cela suffit si le débiteur prévoit raisonnablement ne plus pouvoir acquitter ses obligations à mesure que celles‑ci deviennent exigibles avant que l’on puisse raisonnablement s’attendre à ce qu’il ait réalisé une restructuration de sa dette;

c)         devoir plus de 5 M$ CA individuellement ou collectivement si le débiteur fait partie d’une société apparentée demandant à être libérée de ses créanciers.

La LACC exige que les intéressés dans le cadre de procédures aux termes de la LACC agissent de bonne foi. Si le tribunal détermine qu’un intéressé n’agit pas de bonne foi, il pourra rendre une ordonnance qu’il juge appropriée.

Comme il est précisé ci-dessus, les sociétés de personnes et les entités solvables ne sont pas admissibles à titre de « demandeurs » en vertu de la LACC et ne peuvent déposer de plans d’arrangement ou de transactions en vertu de la LACC. Toutefois, les tribunaux canadiens étendent régulièrement la suspension de procédures et les autres redressements accordés aux demandeurs insolvables admissibles de façon à les accorder aux sociétés de personnes apparentées (lorsque des associés commerciaux ont eux-mêmes demandé la protection de la LACC) et même aux entités solvables membres du groupe des demandeurs lorsqu’il a été jugé qu’il est approprié de le faire dans les circonstances. Par exemple, la libération des créanciers a été étendue aux sociétés de personnes lorsque leur entreprise est inextricablement liée à celle des demandeurs et que l’octroi de certains redressements aux sociétés de personnes est nécessaire pour procéder à une réorganisation efficace des demandeurs admissibles.

2.2 - Comment une société intente-t-elle une procédure en vertu de la LACC?

Contrairement au Chapitre 11, le dépôt d’une demande en vertu de la LACC ne crée aucun patrimoine de faillite distinct et la LACC ne permet pas à une société débitrice de procéder par voie électronique afin d’obtenir une suspension des procédures schématique et d’obtenir par la suite un redressement du « premier jour ». Une société débitrice doit plutôt demander que soit rendue une ordonnance initiale qui lui accorde une suspension complète des procédures et d’autres redressements d’une durée initiale de 10 jours. Une ordonnance accordée à l’égard d’une demande initiale doit se limiter à un redressement raisonnablement nécessaire à la poursuite des activités de la société débitrice dans le cours normal de ses affaires pendant la durée initiale de 10 jours. La suspension peut être prolongée à l’occasion pourvu que la société débitrice respecte les critères applicables.

Les procédures en vertu de la LACC sont intentées par une demande initiale auprès de la cour supérieure de la province en cause et non à un tribunal fédéral de la faillite comme c’est le cas aux États‑Unis. Dans certains ressorts comme en Ontario, les demandes peuvent être présentées aux divisions commerciales spécialisées des cours supérieures provinciales. Dans certaines provinces, on trouve des modèles d’ordonnance reconnus, qui établissent le cadre accepté pour une ordonnance initiale, sous réserve, dans chaque cas, des modifications propres à l’affaire qui peuvent être appropriées dans les circonstances et que le tribunal peut apporter. La plupart du temps, la société débitrice présente elle-même la demande (les créanciers peuvent entamer le processus, mais le font rarement). Lorsque c’est le créancier qui entreprend les procédures, il agit habituellement avec le consentement de la société débitrice.

Les demandes d’ordonnance initiale sont souvent présentées ex parte ou avec une notification limitée aux intervenants clés tels que les prêteurs de premier rang ou les porteurs d’obligations.  L’ordonnance initiale contient habituellement une clause offrant aux intervenants la faculté de demander une modification des modalités de l’ordonnance initiale. Dans le cadre d’une nouvelle audition visant la modification de l’ordonnance initiale, c’est à la société débitrice que revient le fardeau de justifier le redressement demandé. La première nouvelle audition a lieu au cours de la durée initiale de 10 jours de la suspension, et la société débitrice demande alors habituellement une prolongation de la suspension. 

2.3 - Où la demande doit-elle être présentée?

Les demandes de redressement en vertu de la LACC peuvent être faites au tribunal ayant compétence dans la province où se trouve le siège social ou le principal bureau d’affaires de la société débitrice au Canada, ou, si la société débitrice n’a pas de bureau d’affaires au Canada, dans la province où se trouve quelque actif de la société.

2.4 - Quels documents doivent accompagner la demande initiale?

Toutes les demandes en vue de commencer des procédures en vertu de la LACC doivent comprendre :

  • des projections sur l’évolution hebdomadaire de l’encaisse pour les semaines pendant lesquelles la suspension initiale de procédures s’appliquera;

  • un rapport contenant des observations du débiteur relativement à l’établissement des projections sur l’encaisse;

  • des copies des états financiers du débiteur, audités ou non, établis au cours de l’année précédant la demande.

2.5 - Quels redressements le tribunal peut-il accorder?

L’ordonnance initiale accordée par le tribunal comporte habituellement les éléments clés qui suivent :

a)   Suspension des procédures. Les ordonnances initiales accordent généralement une suspension complète des procédures qui s’appliquera aux créanciers garantis et chirographaires et empêchera la modification ou la résiliation des contrats conclus avec le débiteur. La suspension vise à offrir une procédure ordonnée qui permet d’éviter que les créanciers agissent avec précipitation et d’empêcher un créancier ou un groupe de créanciers d’obtenir un avantage inéquitable par rapport aux autres créanciers. La suspension sert à maintenir le statu quo et à accorder à la société débitrice un répit suffisant pour lui permettre de trouver une solution à ses difficultés financières. Les suspensions s’étendent habituellement aux administrateurs du débiteur afin de les inciter à demeurer en poste et à faire progresser le processus de restructuration. La suspension des procédures accordée dans les ordonnances initiales est limitée à une période de 10 jours, mais peut être prolongée d’une durée appropriée lors d’une nouvelle audition subséquente moyennant une notification à tous les intervenants concernés.

La suspension fait l’objet de certaines limites prescrites. Par exemple :

(i)   elle ne peut restreindre l’exercice de recours aux termes de contrats financiers admissibles, comme des contrats à terme, des contrats sur instruments dérivés et des contrats de couverture;

(ii)   elle ne peut empêcher des organismes publics de réglementation de prendre des mesures réglementaires contre le débiteur; toutefois, les amendes sont assujetties à la suspension, tout comme les ordonnances administratives rendues en termes réglementaires, mais considérées pour l’essentiel comme des réclamations pécuniaires;

(iii)  la durée des suspensions pour les « biens aéronautiques », soit les cellules d’aéronef, les moteurs d’avion et les hélicoptères, est restreinte;

(iv)  aucune ordonnance accordant une suspension de procédures ne peut avoir pour effet d’empêcher une personne d’exiger le paiement immédiat de marchandises et de services livrés après la date de dépôt, ou d’exiger un paiement pour l’utilisation de biens loués (aux termes d’un bail véritable par opposition à un crédit-bail) ou de biens faisant l’objet d’une licence;

(v)  la suspension ne peut en aucune façon avoir pour effet d’exiger la remise de nouvelles avances de fonds ou de nouveaux crédits à la société débitrice;

(vi)  comme il est indiqué ci‑dessus, alors que les sociétés de personnes ne sont techniquement pas admissibles à la présentation d’une demande de protection en vertu de la LACC, une certaine jurisprudence reconnaît l’extension de la suspension aux sociétés de personnes lorsque les associés commerciaux ou les membres de leur groupe ont eux-mêmes obtenu la protection de la LACC et que celle‑ci est requise pour faciliter la restructuration proposée.

Contrairement à la situation qui prévaut aux termes du Chapitre 11, la suspension des procédures n’est pas automatique et dépend du pouvoir discrétionnaire du tribunal. Toutefois, le tribunal exercera habituellement son pouvoir discrétionnaire afin d’ordonner une suspension initiale d’une durée maximale de 10 jours. Pour obtenir une prolongation, une demande doit être soumise au tribunal et pour qu’une prolongation soit accordée, le tribunal doit conclure que les circonstances le justifient et que le débiteur agit avec diligence et de bonne foi. Contrairement à la suspension initiale de 10 jours, la loi n’impose aucune limite à la durée des prolongations de la suspension des procédures ou à leur nombre.

En ce qui concerne les biens aéronautiques, le Canada a mis en œuvre la Convention relative aux garanties internationales portant sur des matériels d’équipement mobiles (appelée « Convention du Cap ») et le protocole associé à cette Convention portant sur des questions spécifiques aux matériels d’équipement aéronautique (« protocole »). Le Canada a adopté la « variante A » du protocole, une version améliorée de l’article 1110 du Code des É.‑U. La variante A prévoit une limite de 60 jours au délai d’attente relatif aux biens aéronautiques et pendant ce délai, le débiteur doit remédier à tous les manquements et s’engager à exécuter toutes les obligations contractuelles actuelles et futures, à défaut de quoi les biens aéronautiques seront restitués au créancier garanti. La variante A exige également que l’exploitant des biens aéronautiques conserve ceux‑ci aux termes de son contrat et en préserve la valeur comme condition pour que la suspension continue.

b)   Le contrôleur. Le tribunal nomme un contrôleur dans le cadre de l’ordonnance initiale; il s’agit généralement d’un cabinet de services‑conseils comptables ou financiers comptant des professionnels de l’insolvabilité agréés. La LACC prévoit les principales fonctions du contrôleur, mais celles‑ci peuvent être étendues par une ordonnance du tribunal. De façon générale, le contrôleur joue un rôle de superviseur et de conseiller dans le cadre de la procédure. Dans son rôle de superviseur, agissant au nom de tous les créanciers et à titre d’officier de justice, il surveille les mesures prises par la société pendant les procédures en vertu de la LACC. Il présente en outre des rapports périodiques au tribunal, dont des rapports indiquant son avis, comme le requiert la LACC, quant à toute disposition d’actifs proposée ou à tout financement proposé par un débiteur-exploitant (un « DE ») (voir le point 2.5c) du chapitre XVII, « Financement et charge DE »).

De façon générale, la direction du débiteur gardera le contrôle de la société au cours des procédures en vertu de la LACC; toutefois, dans son rôle de conseiller, le contrôleur aidera la direction à gérer la restructuration et à traiter toute autre question qui pourrait survenir, et il assurera la liaison avec les créanciers en tant que partie neutre. Dans certains cas, par exemple lorsque le conseil d’administration a démissionné ou que les créanciers ont par ailleurs perdu confiance en la direction, les pouvoirs du contrôleur peuvent être étendus. Par ordonnance du tribunal, le contrôleur peut être autorisé à vendre des actifs, sous réserve de l’approbation du tribunal, et à diriger certaines fonctions d’entreprise. Les contrôleurs qui assument ce rôle sont communément appelés « supercontrôleurs ». Le contrôleur a le pouvoir d’intenter des poursuites en vertu de la loi à l’égard des préférences frauduleuses et des opérations sous-évaluées. Les tribunaux ont également autorisé des contrôleurs à intenter des poursuites contre certaines parties soupçonnées d’avoir porté préjudice au débiteur ou à ses parties prenantes. Ces autorisations peuvent être accordées lorsque les tribunaux sont d’avis, entre autres, que le contrôleur (plutôt que le débiteur ou un créancier) est le mieux placé pour le faire. Les ordonnances initiales ou subséquentes peuvent également approuver la nomination d’un chef de la restructuration ayant le mandat étendu de gérer la société débitrice ou le mandat plus restreint d’aider les gestionnaires dans le cadre de la restructuration.

Il n’existe pas de comités de créanciers chirographaires mandatés par la loi au Canada, comme c’est le cas aux États-Unis, bien que parfois certains de ces comités aient été constitués suivant une ordonnance judiciaire, de façon ponctuelle. Le syndic américain, qui assure une surveillance gouvernementale active dans les affaires visées par le Chapitre 11, ne trouve pas d’équivalent au Canada. Toutefois, le contrôleur assume certaines des fonctions que rempliraient le syndic américain et les comités de créanciers chirographaires dans les affaires visées par le Chapitre 11. Le surintendant des faillites, un fonctionnaire du gouvernement fédéral, dispose également de certains pouvoirs généraux de surveillance.

c)   Financement et charge DE. Le financement DE renvoie au financement intérimaire dont a besoin la société débitrice pour financer ses besoins en matière de fonds de roulement pendant qu’elle se trouve sous la protection de la LACC. Dans de nombreux cas, le tribunal autorisera le débiteur à obtenir du financement DE et accordera au prêteur DE des charges superprioritaires sur les actifs du débiteur s’il considère qu’un financement supplémentaire est approprié dans les circonstances. Cette autorisation peut être accordée dans l’ordonnance initiale au moment de la première demande ou, plus couramment, par ordonnance subséquente à la première nouvelle audition ou à une date ultérieure. Un avis doit être donné à tous les créanciers garantis qui sont susceptibles d’être touchés par la priorité de la charge DE.

La LACC exige que les tribunaux tiennent compte notamment des éléments qui suivent lorsqu’ils décident d’approuver ou non le financement DE :

  • la durée prévue des procédures;

  • la façon dont les affaires financières et autres du débiteur seront gérées pendant les procédures;

  • la question de savoir si la direction du débiteur a ou non la confiance des principaux créanciers;

  • la question de savoir si le prêt DE améliorerait ou non les probabilités de parvenir à un plan d’arrangement ou à un compromis viable;

  • la nature et la valeur des biens du débiteur;

  • la question de savoir si un créancier subirait un « préjudice important » en raison de la charge DE;

  • le rapport du contrôleur sur les prévisions de l’encaisse.

En plus de ce qui précède, lorsqu’un financement temporaire est demandé aux termes d’une ordonnance initiale, le tribunal doit également être convaincu que les modalités du prêt DE se limitent à ce qui est raisonnablement nécessaire à la continuation de l’exploitation de la société débitrice dans le cours normal des affaires pendant la période de la suspension initiale de 10 jours.

La LACC interdit expressément que la charge DE garantisse des obligations antérieures au dépôt. Cependant, des roulements dans le financement DE (« creeping roll-up DIP »), où la facilité DE sert en réalité à refinancer la facilité de crédit antérieure au dépôt, ont été autorisés dans certaines circonstances lorsque les créanciers touchés y consentent ou que le tribunal est convaincu que les parties prenantes ne subiront aucun préjudice.  Au cours de l’audition pour l’approbation du DE, la société débitrice soumettra un sommaire des modalités de prêt ou une convention de crédit DE à des fins d’approbation, accompagné d’un état projeté des flux de trésorerie et du rapport du contrôleur sur ces flux. De plus, le contrôleur fera part au tribunal de son opinion quant à la pertinence du prêt DE (à l’égard du montant et des modalités de celui‑ci).

Le Canada n’a pas adopté le concept américain de « protection adéquate » (adequate protection), qui vise à protéger les titulaires de privilèges ou de charges existants qui ont maintenant un rang inférieur aux charges superprioritaires, même si les tribunaux canadiens peuvent ordonner des mesures de protection afin de remédier au préjudice subi par les autres créanciers (p. ex. des intérêts ou des honoraires professionnels à payer, etc.). Les tribunaux canadiens n’ont pas non plus à accorder de « privilèges ou charges de remplacement » (replacement liens). La sûreté d’un créancier d’avant le dépôt de la demande, si elle a été accordée sur des biens acquis par la suite (comme c’est le cas habituellement), continue de s’appliquer et s’étend automatiquement aux actifs acquis par le débiteur après le dépôt de la demande, comme les stocks et les comptes clients étant donné que, comme il a été mentionné précédemment, le fait de demander la protection de la LACC ne crée pas de patrimoine distinct au plan légal.

d)   Autres charges prioritaires accordées dans l’ordonnance initiale. Les ordonnances initiales accordent habituellement des charges prioritaires sur celles des titulaires de privilèges ou de charges existants.  Par exemple, une charge administrative garantit le paiement des débours et des honoraires du contrôleur ainsi que des conseillers juridiques du contrôleur et du débiteur. Une charge en faveur des administrateurs et des dirigeants garantit une indemnisation de la part du débiteur contre les réclamations postérieures au dépôt de la demande et leur offre la protection et l’assurance requises pour assurer leur participation de manière continue tout au long des procédures en vertu de la LACC. Une charge en faveur des administrateurs et des dirigeants peut être accordée uniquement si ceux‑ci n’ont pas déjà souscrit une assurance adéquate à un coût raisonnable couvrant de telles responsabilités (ou si le débiteur est incapable de souscrire une telle assurance). Par conséquent, l’ordonnance initiale prévoit habituellement que l’indemnisation garantie ne peut être réclamée que si les administrateurs et les dirigeants n’ont pas souscrit une assurance. Ces charges prioritaires et la charge DE prendront généralement rang avant les réclamations des créanciers garantis d’avant le dépôt de la demande, pourvu qu’un avis soit donné aux créanciers garantis susceptibles d’être touchés par les charges prioritaires.

e)   Traitement des contrats (résiliations et cessions). La LACC permet la résiliation des contrats. Une résiliation s’apparente au rejet d’un contrat (contract rejection) aux termes du Chapitre 11.  Toutefois, le débiteur n’a pas à décider d’accepter ou de rejeter certains « contrats à exécuter » (executory contracts) (à l’exception des baux visant des aéronefs) ou des baux immobiliers, comme c’est le cas aux termes du Chapitre 11. Les mesures prises par les contreparties pour faire valoir des demandes d’indemnité à l’égard des contrats résiliés par le débiteur sont suspendues par l’ordonnance initiale. Comme c’est le cas pour les contrats rejetés aux termes du Chapitre 11, les contreparties aux contrats résiliés peuvent présenter une réclamation en dommages-intérêts non garantie et auront droit à leur quote‑part de toute distribution avec les autres créanciers chirographaires.

L’approbation de la résiliation par le contrôleur ou le tribunal est requise pour résilier un contrat. Toutes les résiliations approuvées par le contrôleur sont soumises à l’examen du tribunal si la contrepartie s’y oppose. Pour décider d’approuver ou non une résiliation, le tribunal évaluera un certain nombre de facteurs, notamment si la résiliation du contrat favorisera la conclusion d’un plan viable et si elle pourrait vraisemblablement causer de sérieuses difficultés financières à une partie au contrat.

La LACC prévoit une procédure de cession des contrats, avec l’approbation du tribunal, même si ceux‑ci comportent des restrictions à leur cession. Toutefois, à titre de condition pour une telle cession forcée, il faut remédier aux manquements d’ordre pécuniaire avant le dépôt de la demande.

f)    Traitement des licences de propriété intellectuelle. La LACC prévoit des protections pour les titulaires de licences de propriété intellectuelle, y compris les licences visant des marques de commerce, qui sont analogues aux protections prévues au paragraphe 365(n) du Code des É.‑U. Par conséquent, une résiliation ou une disposition n’a pas d’incidence sur le droit d’un titulaire de licence d’utiliser la propriété intellectuelle – y compris tout droit d’exclusivité – pendant la durée de la licence, à condition que le titulaire de licence continue de respecter ses obligations à l’égard de la propriété intellectuelle visée par la licence.

g)   Fourniture de marchandises après le dépôt de la demande. L’ordonnance initiale empêche habituellement une partie à un contrat de fourniture de marchandises ou de services de résilier le contrat. L’ordonnance initiale et les modalités de la LACC protègent ces fournisseurs en stipulant qu’aucune partie n’est tenue de continuer à fournir des marchandises ou des services à crédit ou de consentir par ailleurs des sommes d’argent ou du crédit à un débiteur. Ainsi, même si un fournisseur ne peut résilier son contrat par suite de la suspension des procédures en vertu de la LACC, il n’est pas tenu d’honorer ses obligations de fourniture après le dépôt de la demande sauf s’il a conclu des arrangements acceptables avec le débiteur, lesquels peuvent comprendre la remise d’un dépôt par le débiteur, s’il est payé d’avance ou au moment de la livraison ou s’il est désigné à titre de « fournisseur essentiel » (dont il est question ci‑après).

À la différence du Chapitre 11, qui prévoit une « réclamation prioritaire de nature administrative » (administrative priority claim) pour les fournisseurs à la suite de la requête, si le fournisseur d’un débiteur visé par la LACC choisit de fournir à crédit les marchandises ou les services et ne bénéficie pas d’une charge consentie en faveur d’un fournisseur essentiel, aucune priorité précise ne lui est accordée en vertu de la LACC pour la fourniture de marchandises de services après le dépôt de la demande. C’est pourquoi il est important pour les fournisseurs, après le dépôt de la demande, de s’assurer d’être réglés en espèces (à l’avance ou au moment de la livraison) ou d’être pleinement protégés par ailleurs par une charge ordonnée par le tribunal ou toute autre forme d’assurance financière, comme une sûreté, un dépôt à des fins de paiement ou une lettre de crédit émise par un tiers.

h)   Plans d’arrangement ou transaction. En règle générale, les ordonnances initiales dans le cadre des procédures en vertu de la LACC autorisent le débiteur à déposer un plan d’arrangement ou une transaction avec ses créanciers. Voir le paragraphe 2.7 du chapitre XVII, « Qu’est-ce qu’un plan d’arrangement? ».

2.6 - Comment les fournisseurs essentiels sont-ils traités?

Lorsqu’un vendeur fournit des biens ou des services tenus pour essentiels à l’exploitation continue de l’entreprise du débiteur, la cour peut déclarer un vendeur « fournisseur essentiel » et lui ordonner de continuer à fournir des biens ou des services selon des conditions compatibles avec le contrat de fourniture existant ou qu’elle juge autrement appropriées. Le cas échéant, la cour est tenue d’accorder une sûreté grevant tout ou partie des biens du débiteur pour garantir la valeur des biens ou des services fournis en application de l’ordonnance. Cette sûreté peut avoir priorité sur toute réclamation d’un créancier garanti du débiteur. Tout créancier susceptible d’être lésé par cette sûreté doit recevoir un préavis de la demande visant à faire déclarer un vendeur fournisseur essentiel.

Malgré l’existence de dispositions dans la LACC pouvant obliger un fournisseur à effectuer une livraison sans que le débiteur ait à payer les montants en souffrance antérieurs au dépôt de la demande, des cours ontariennes ont autorisé des paiements aux fournisseurs essentiels lorsque la fourniture continue de biens et de services ne pouvait être assurée autrement.

2.7 - Qu’est-ce qu’un plan d’arrangement?

Comme leurs dispositions équivalentes dans le Chapitre 11, un plan d’arrangement ou une transaction est une proposition faite aux créanciers du débiteur dans le but de leur offrir une plus grande valeur que celle qu’ils recevraient dans le cas d’une liquidation aux termes des procédures de faillite. Le plan d’arrangement vise habituellement à permettre au débiteur d’effectuer une transaction à l’égard de ses obligations et de poursuivre ses activités, bien que la nature et/ou la portée de l’entreprise puissent être grandement modifiées. Les plans peuvent, entre autres, prévoir :

  • le paiement d’un pourcentage de la valeur nominale d’une réclamation;

  • la conversion d’une dette en des capitaux propres du débiteur restructuré (ce qui pourrait nécessiter un plan d’arrangement parallèle en vertu de la loi sur les sociétés par actions fédérale ou provinciale applicable selon le lieu de constitution du débiteur) ou la création d’une nouvelle entité conçue pour remplacer l’entreprise du débiteur;

  • la création d’un fonds de liquidités ou de titres à distribuer aux créanciers du débiteur;

  • un plan de remboursement proposé comprenant le paiement d’une partie ou de la totalité de la dette accumulée sur une période prolongée;

  • une combinaison de ce qui précède.

Les plans peuvent prévoir des distributions qui varient en fonction des catégories de créanciers (voir l’alinéa 2.7.4 du chapitre XVII, « Comment les créanciers approuvent‑ils le plan? »). Cependant, tous les membres d’une même catégorie doivent être traités également.

2.7.1 - Qui peut présenter un plan?

Le débiteur, un créancier, un syndic en matière de faillite ou un liquidateur du débiteur peut présenter un plan. En pratique, les plans sont presque toujours présentés par le débiteur, mais ils peuvent également être présentés par un créancier, habituellement avec le consentement du débiteur. Contrairement au Chapitre 11, la LACC ne prévoit pas de période d’« exclusivité » où seul le débiteur peut présenter un plan.

La présentation d’un plan constitue une procédure généralement accordée par les tribunaux. Toutefois, des cours ont déjà refusé d’autoriser un débiteur à présenter un plan, ce qui allait à l’opposé des ordonnances précédemment rendues dans la même procédure, en précisant que, même si le plan devait être approuvé par les créanciers, il ne pourrait pas être homologué par la cour.

2.7.2 - Quelles réclamations peuvent faire l’objet d’une transaction?

Les réclamations de créanciers garantis comme celles de créanciers chirographaires peuvent faire l’objet d’une transaction dans le cadre d’un plan. La LACC exige l’approbation de la Couronne (soit du gouvernement fédéral ou de la province visée) pour tout plan qui ne prévoit pas le remboursement, dans les six mois, de la totalité des sommes dues à la Couronne relativement aux retenues à la source des employés. Les plans doivent également prévoir le paiement de certaines réclamations de prestations de retraite et de salaire (voir le paragraphe 4.3 du chapitre XVII, « Ordre de priorité en cas de liquidation »).

La LACC permet aussi d’effectuer une transaction à l’égard des réclamations contre des administrateurs, sous réserve de certaines restrictions. Par exemple, les transactions ne peuvent viser les réclamations relatives aux droits contractuels d’un ou de plusieurs créanciers ni les réclamations fondées sur des allégations de fausse représentation à l’égard de créanciers ou de conduite injustifiée ou abusive de la part d’administrateurs.

Par ailleurs, les cours ont soutenu que les plans établis en vertu de la LACC peuvent prévoir des libérations en faveur de tierces parties, soit des parties autres que le débiteur lui-même sous la protection de la LACC et ses administrateurs et dirigeants. Les libérations en faveur de tierces parties sont possibles, entre autres, lorsqu’elles sont nécessaires à la restructuration du débiteur, que les réclamations faisant l’objet des libérations ont un lien rationnel avec la visée du plan, que le plan ne pourrait réussir sans ces libérations et que les bénéficiaires de celles‑ci jouent un rôle concret et réaliste dans le cadre du plan. Toutefois, les cours ont souligné que les libérations en faveur de tierces parties doivent constituer l’exception, et non la règle, et ne devraient pas être accordées comme s’il s’agissait d’une mesure courante. Les libérations ont souvent pour objet de lier le créancier visé ainsi que ses dirigeants, ses administrateurs, ses actionnaires, les membres de son groupe et d’autres parties qui pourraient ne pas avoir reçu un avis des procédures. Les cours ont aussi exprimé certaines réserves quant à la portée de ces libérations.

2.7.3 - Comment les créanciers prouvent-ils leur réclamation?

La LACC ne délimite pas de période à l’intérieur de laquelle les créanciers visés sont tenus d’établir la preuve de leurs réclamations. S’il est prévu qu’une distribution sera faite auprès de créanciers chirographaires dans le cadre d’un plan ou consécutivement à une vente d’actifs, le débiteur cherchera habituellement à obtenir une ordonnance relative à la procédure de réclamation qui établit le processus servant à soumettre et à déterminer les réclamations de créanciers et la date limite pour le dépôt de la preuve de réclamations après laquelle les réclamations non soumises dans le cadre de ce processus seront à jamais interdites et éteintes. Il pourrait y avoir une date limite différente pour les réclamations reliées à la restructuration découlant de la résiliation, du non‑respect ou de la violation de contrats après la date de dépôt de la requête. Cette ordonnance fixe aussi le processus utilisé pour régler les réclamations contestées, qui comprend souvent la désignation d’un agent préposé aux réclamations pour traiter tout différend au moyen d’un processus sommaire du type de l’arbitrage. D’ordinaire, le contrôleur administre la procédure de réclamation en consultation avec le débiteur.

Le Code des É.‑U. prévoit que les intérêts non échus à la date du dépôt ne font pas partie d’une réclamation garantie ou non garantie. En vertu de la LACC, toutefois, les intérêts postérieurs au dépôt de la demande s’accumulent à l’égard des réclamations garanties. Cependant, il est généralement accepté que les intérêts postérieurs au dépôt de la demande ne font pas partie des réclamations non garanties, à moins que la totalité de ces réclamations soit intégralement payée.

2.7.4 - Comment les créanciers approuvent-ils le plan?

Les créanciers sont répartis en différentes catégories en fonction de leur « intérêt commun », principe qui s’apparente à l’exigence du Code des É.‑U. voulant que les réclamations au sein d’une catégorie donnée soient « essentiellement similaires » (substantially similar). Bien que les créanciers chirographaires soient généralement regroupés dans une seule catégorie, certains d’entre eux, tels que des locateurs, peuvent être classés dans une catégorie distincte fondée sur un ensemble de droits juridiques différents. Le plan doit être adopté par voie de résolution spéciale, soutenue par une double majorité dans chaque catégorie de créanciers : 50 % plus une voix du nombre total de voix exprimées par les créanciers de la catégorie et 662/% de la valeur totale des réclamations des créanciers votant dans chaque catégorie.

Une « adhésion forcée » (cram-down) permet, dans certaines circonstances, l’adoption d’un plan d’arrangement même s’il a été rejeté par une catégorie de créanciers de rang inférieur. Contrairement au Chapitre 11, la législation canadienne ne renferme pas le concept d’« adhésion forcée » au Canada. Le plan doit plutôt être approuvé à la majorité requise par chaque catégorie de créanciers à laquelle il est proposé. Cela dit, selon certains, un moyen plus souvent utilisé, appelé « ordonnance de dévolution inversée », permet d’obtenir un résultat semblable à l’adhésion forcée (voir le paragraphe 2.11 du chapitre XVII, « Qu’est-ce qu’une ordonnance de dévolution inversée? »).

2.7.5 - Qu’advient-il lorsque les créanciers n’approuvent pas le plan?

Si les créanciers n’approuvent pas le plan, le débiteur ne devient pas automatiquement failli (autrement dit, un syndic de faillite n’est pas automatiquement nommé à l’égard de ses actifs). Le débiteur, ou une partie prenante, peut soumettre un nouveau plan ou un plan modifié. Cependant, si le plan est rejeté, alors il est probable que les créanciers garantis ou chirographaires importants du débiteur tentent de lever la suspension pour exercer contre le débiteur les recours dont ils peuvent autrement se prévaloir, notamment en tentant de déposer une requête en faillite contre le débiteur ou en nommant un séquestre.

2.7.6 - Comment la cour approuve-t-elle le plan?

Une fois le plan approuvé par les créanciers, il doit être soumis à la cour pour qu’elle l’approuve. Cette procédure est appelée « audience sur l’homologation » (sanction hearing) et est l’équivalent de l’audience sur la confirmation (confirmation hearing) prévue par le Chapitre 11. La cour n’est pas tenue d’homologuer un plan, même si les créanciers l’ont approuvé. Néanmoins, l’approbation des créanciers représente un facteur dont le poids est considérable lorsque la cour détermine si le plan est « juste et équitable » et s’il mérite qu’elle l’approuve.

2.7.7 - Qui est lié par le plan et comment celui‑ci est-il mis en œuvre?

Une fois homologué par la cour, le plan lie tous les créanciers dont les réclamations font l’objet d’une transaction aux termes de celui‑ci. Même si toutes les approbations nécessaires des cours ont été obtenues, le plan (et les libérations éventuelles qu’il prévoit) ne peut pas entrer en vigueur tant que certaines conditions, telles que la négociation des documents définitifs, la disposition de certains actifs, la réalisation du financement de sortie, l’obtention des approbations des organismes réglementaires ou l’expiration des périodes d’appel, ne sont pas remplies. À partir du moment où toutes les conditions sont remplies, le plan peut être mis en œuvre. Ce jour est couramment appelé « date de mise en œuvre » et est attesté par un certificat présenté à la cour par le contrôleur qui confirme que toutes les conditions requises à la mise en œuvre du plan ont été remplies.

2.8 - Certaines opérations avec le débiteur antérieures au dépôt de la demande peuvent‑elles être annulées?

La LACC contient des dispositions relatives à l’examen de certaines opérations antérieures au dépôt de la demande, y compris les traitements préférentiels et les « opérations sous-évaluées » (voir l’alinéa 4.1.6 du chapitre XVII, « Un syndic peut-il annuler certaines opérations antérieures à la faillite? »), en intégrant par renvoi dans la LACC les concepts d’évitement de la LFI qui ne s’appliquaient jusque‑là qu’aux cas de faillite (c’est-à-dire dans les procédures du type de celles visées par le Chapitre 7).

Comme c’est le cas du syndic dans une procédure de faillite (voir le paragraphe 4.1.6 du chapitre XVII), sauf disposition contraire du plan d’arrangement, le contrôleur désigné dans le cadre de procédures engagées en vertu de la LACC (et non le débiteur) est habilité à contester les paiements préférentiels ou les dispositions de biens effectués par le débiteur pour une contrepartie manifestement inférieure à la juste valeur marchande.

2.9 - Comment les créanciers garantis sont-ils touchés par une réorganisation aux termes de la LACC?

La LACC ne prévoit pas d’ordre de priorité pour la distribution du produit de réalisation. Comme il est mentionné ci-dessus, les sûretés sur les biens grevés vendus, ainsi que la priorité relative de ces sûretés, sont conservées sur le produit de la vente conformément à l’ordonnance d’approbation et de dévolution des actifs. Toutefois, outre les réclamations des bénéficiaires de charges prioritaires ordonnées par un tribunal, dont il est question ci-dessus, certaines réclamations prioritaires ont préséance sur celles des créanciers garantis.

Par exemple, les réclamations pour salaires impayés et cotisations de retraite non effectuées sont superprioritaires quant au produit réalisé dans le cadre d’une réorganisation aux termes de la LACC, comme dans le cadre d’une liquidation aux termes de la LFI. Ces réclamations doivent donc être réglées en priorité lors de la distribution du produit d’une vente réalisée aux termes de la LACC, et le règlement de celles-ci doit être prévu dans un plan aux termes de la LACC.  Voir le paragraphe 4.3.2 du chapitre XVII, « En quoi consistent les réclamations « superprioritaires »? ».

2.10 - Comment le droit de compensation s’applique-t-il sous le régime de la LACC?

Le droit de compensation est expressément préservé aux termes de la LACC. Les tribunaux ont interprété ce droit comme le fait de permettre à une société débitrice ou à un tiers d’opérer compensation des obligations antérieures au dépôt sur des obligations antérieures au dépôt. Toutefois, le droit d’une société débitrice ou d’un tiers d’opérer compensation des obligations antérieures au dépôt sur les obligations postérieures au dépôt peut faire l’objet de la suspension des procédures régulièrement accordée dans le cadre des ordonnances initiales qui amorcent les procédures en vertu de la LACC. Le juge surveillant a le pouvoir discrétionnaire de permettre la compensation des obligations antérieures au dépôt sur les obligations postérieures dans des circonstances exceptionnelles.

2.11 - Qu’est-ce qu’une ordonnance de dévolution inversée?

Plutôt qu’une ordonnance de dévolution classique, un tribunal chargé de l’application de la LACC peut également, si certains critères sont remplis, rendre une « ordonnance de dévolution inversée » (une « ODI ») qui permet le transfert des passifs et/ou des actifs « non voulus » de la société débitrice à une entité nouvellement constituée (une « entité résiduelle ») ou à une filiale existante, avant l’acquisition des actions de la société débitrice existante par un acheteur.

Il s’agit du contraire (ou de l’« inverse ») d’une ordonnance de dévolution ordinaire puisque les actifs désirables demeurent dans la société débitrice, tandis que les passifs et les actifs indésirables sont transférés à une autre entité de sorte que la société débitrice (et ses actifs désirables) puisse être acquise par un acheteur libre et quitte des passifs indésirables et des actifs indésirables. Les ODI sont de plus en plus utilisées dans le but de simplifier les restructurations de sociétés débitrices qui possèdent des atouts précieux, comme des licences ou des permis gouvernementaux, ou encore des attributs fiscaux, qu’il serait difficile, voire impossible, de transférer dans le cadre d’une vente d’actifs ordinaire.

2.12 - Quelles sont les exigences relatives à la divulgation des intérêts économiques?

Tout intéressé dans le cadre d’une procédure aux termes de la LACC peut demander au tribunal d’ordonner à tout autre intéressé de divulguer tout intérêt économique qu’il a dans le débiteur. Le terme « intérêt économique » comprend tout droit qui grève un bien ou la contrepartie payée pour l’obtention d’un droit ou d’un intérêt. Pour décider s’il rend l’ordonnance, le tribunal doit prendre en considération, entre autres, les facteurs suivants : (i) la question de savoir si le contrôleur acquiesce à la divulgation proposée; (ii) la question de savoir si la divulgation proposée favorisera la conclusion d’un plan viable; et (iii) la question de savoir si la divulgation proposée causera un préjudice sérieux à tout intéressé.

3. Restructurations aux termes de la LFI

3.1 - Quelle est la différence entre une restructuration aux termes de la LACC et une restructuration aux termes de la LFI?

Un débiteur insolvable peut également procéder à une restructuration de ses affaires en vertu des dispositions de proposition de la LFI. Il existe plusieurs similitudes entre les dispositions relatives à la proposition de la LFI et celle de la LACC. Les éléments clés d’une proposition de restructuration sont sensiblement les mêmes que ceux faisant partie d’un plan de restructuration aux termes de la LACC, puisque la proposition et le plan prévoient la transaction ou l’arrangement visant des réclamations contre le débiteur. Les restrictions et limites de base qui s’appliquent au plan aux termes de la LACC s’appliquent aussi à une proposition aux termes de la LFI. En outre, le financement DE, les charges DE, la cession de contrats, la résiliation de contrats, l’octroi d’autres charges prioritaires et la capacité de vendre des actifs purgés de tout privilège ou priorité et de toute charge se trouvent tous dans les procédures de proposition en vertu de la LFI.

La différence principale entre une réorganisation aux termes de la LACC et celle effectuée en vertu de la LFI réside dans le fait que le processus de proposition de la LFI comporte plus d’étapes procédurales établies selon des règles, des lignes directrices et un calendrier d’exécution stricts. Une procédure aux termes de la LACC, en comparaison à une procédure de proposition aux termes de la LFI, est plutôt axée sur la discrétion et l’impartialité. La LACC demeure la loi de choix lors de réorganisations de toute complexité pour des débiteurs qui dépassent le seuil d’endettement minimal de 5 M$ CA. Les sociétés débitrices et autres parties intéressées importantes qui peuvent supporter le processus de réorganisation préfèrent habituellement la flexibilité de la LACC au régime plus strict de la LFI. En outre, une proposition aux termes de la LFI doit s’adresser aux créanciers non garantis et être approuvée par ceux-ci, alors que la LACC peut servir aux transactions sur des réclamations de créanciers garantis, sans toucher aux réclamations non garanties.

3.2 - Qui peut faire une proposition?

Une personne insolvable, un failli, un séquestre (relativement à une personne insolvable), un liquidateur des biens d’une personne insolvable ou un syndic de l’actif d’un failli peut faire une proposition. Une personne insolvable est une personne qui n’est pas un failli, mais qui est insolvable selon l’encaisse ou le bilan. Le terme « personne » comprend des sociétés par actions, des sociétés de personnes et d’autres entités juridiques.

3.3 - Où peut-on déposer une proposition?

La proposition est déposée auprès d’un syndic autorisé et, dans le cas d’une faillite, d’un syndic de l’actif, et des copies des documents pertinents doivent être déposées chez le séquestre officiel dans la localité du débiteur. La localité d’un débiteur désigne le lieu principal où, selon le cas : a) il a exercé ses activités au cours de l’année précédant l’ouverture de sa faillite; b) il a résidé au cours de l’année précédant l’ouverture de sa faillite; c) se trouve la plus grande partie de ses biens, dans les cas non visés aux alinéas a) ou b). L’« ouverture de la faillite » s’entend du premier des dépôts suivants : une cession volontaire en faillite, une proposition, un avis d’intention de déposer une proposition, une procédure introduite sous le régime de la LACC ou la première requête à l’égard de laquelle une ordonnance de faillite est rendue contre un débiteur.

3.4 - Comment les procédures de proposition sont-elles intentées?

Les procédures de proposition sont intentées en déposant auprès du bureau local du séquestre officiel un avis d’intention de déposer une proposition. La plupart des débiteurs amorcent le processus de proposition en déposant un avis d’intention, qui prévoit une suspension automatique des procédures pendant une période initiale de 30 jours (sous réserve de prolongations de 45 jours à la fois, pour un total de six mois (pendant lesquels une proposition doit être présentée), si un tribunal détermine que le débiteur agit de bonne foi et avec toute la diligence voulue). Une fois la proposition déposée, la suspension sera maintenue jusqu’à l’assemblée des créanciers pour voter à ce sujet.

La suspension s’applique aux créanciers garantis et non garantis (à moins que le créancier garanti publie un avis de son intention de mettre à exécution sa garantie, aux termes de l’article 244 de la LFI, pourvu que la période d’avis prévue ait expiré ou qu’elle ait fait l’objet d’une renonciation par le débiteur).

L’avis d’intention a pour but d’offrir au débiteur une période de stabilité pour négocier une proposition avec ses créanciers, avec l’aide d’un syndic de la proposition assigné au moment du dépôt de l’avis d’intention. Par ailleurs, cet avis doit contenir une liste des créanciers possédant une réclamation de 250 $ CA ou plus. Dans les cinq jours suivant le dépôt de l’avis d’intention, le syndic doit en envoyer une copie à chaque créancier connu. Dans les 10 jours suivant le dépôt de cet avis, le débiteur doit préparer un état projeté de l’évolution des flux de trésorerie.

3.5 - Quelle est la portée de la suspension aux termes d’un avis d’intention?

La suspension des procédures en vertu d’un avis d’intention empêche un créancier d’agir contre un débiteur et assure que personne ne mette fin à une entente en raison de l’insolvabilité du débiteur ou du dépôt d’un tel avis. Un propriétaire ne peut mettre fin à un bail à cause d’arriérés de location antérieurs au dépôt. Cependant, un créancier peut demander de lever la suspension en démontrant qu’elle lui cause un préjudice sérieux ou il peut s’opposer à une prolongation de la suspension en démontrant, entre autres, que le débiteur n’agit pas de bonne foi et avec toute la diligence voulue. La suspension comporte des limites semblables à celles dont il a été question ci‑dessus relativement à une suspension aux termes de la LACC.

3.6 - Qu’arrive-t-il si la suspension n’est pas prolongée?

Si la prolongation d’une suspension n’est pas accordée, le débiteur est réputé avoir automatiquement fait une cession de ses biens en vertu de la LFI.

3.7 - Quel rôle joue le syndic de la proposition?

Le syndic de la proposition, choisi par le débiteur, a de nombreuses obligations d’origine législative, notamment celles d’aviser tout créancier connu du dépôt d’un avis d’intention, de déposer un état projeté de l’évolution des flux de trésorerie accompagné d’un rapport du syndic quant à son caractère raisonnable ainsi que de convoquer une assemblée des créanciers. Lors de cette assemblée, le syndic doit présenter la situation financière du débiteur et la cause des difficultés financières de ce dernier. Il doit également déposer la demande finale auprès du tribunal de la faillite en vue d’obtenir son approbation de la proposition, si celle‑ci a été acceptée par les créanciers.

En plus de ses obligations prévues par la loi, le syndic joue un rôle de superviseur et de conseiller afin d’aider le débiteur dans l’élaboration de sa proposition de même que dans ses négociations avec les créanciers et autres parties intéressées importantes.

3.8 - Comment les créanciers prouvent-ils leur réclamation?

Aux termes de la LFI, tout créancier doit remplir un formulaire de preuve de réclamation prévu par la loi afin de prouver sa réclamation. Bien qu’il n’existe aucun délai prédéterminé de présentation des réclamations, un créancier ne peut voter à une assemblée des créanciers visant l’approbation d’une proposition, ou participer aux distributions offertes en vertu de la proposition, s’il n’a pas soumis de preuve de réclamation avant l’assemblée ou les distributions.

3.9 - Comment les créanciers approuvent-ils la proposition?

Le vote sur une proposition a lieu lors de l’assemblée ou des assemblées des créanciers convoquées pour cette raison. Le syndic de la proposition doit, dans les 21 jours suivant le dépôt de la proposition, convoquer l’assemblée visant à considérer la proposition et un avis d’au moins 10 jours doit être donné à chaque créancier.

Comme pour un plan aux termes de la LACC, une proposition doit être approuvée par une double majorité de créanciers (50 % plus un selon le nombre de créanciers, représentant 662/3 % en valeur des réclamations conférant droit de vote) dans chaque catégorie de créanciers votant sur la proposition pour lier les créanciers. Cependant, la proposition faite à une catégorie de créanciers garantis qui la rejettent peut tout de même entrer en vigueur si la ou les catégories de créanciers non garantis l’acceptent. La catégorie de créanciers garantis ayant voté contre la proposition ne sera pas liée par celle‑ci. Ces créanciers pourront exécuter leur garantie conformément aux modalités de celle-ci.

3.10 - Qu’arrive-t-il si des créanciers non garantis n’approuvent pas la proposition?

Si la proposition est rejetée par une catégorie de créanciers non garantis ayant un droit de vote à ce sujet, le débiteur est réputé avoir fait une cession de ses biens en vertu de la LFI en date du premier des événements suivants à survenir : (i) la date de dépôt de l’avis d’intention du débiteur; (ii) la date de la première requête pour une ordonnance de faillite en attente; et (iii) la date du dépôt de la proposition par le débiteur.

3.11 - Comment le tribunal approuve-t-il la proposition?

En plus de devoir être approuvée par les créanciers, la proposition doit l’être par le tribunal. Dans les cinq jours suivant l’acceptation de la proposition par les créanciers du débiteur, le syndic de la proposition doit demander une audience du tribunal en vue de faire approuver la proposition. Il doit donner un avis de 15 jours au débiteur, au séquestre officiel et à chaque créancier qui a prouvé sa réclamation contre le débiteur. Il doit ensuite déposer un rapport relatif aux conditions de la proposition et à la conduite du débiteur au moins deux jours avant la date de l’audience

3.12 - Qu’arrive-t-il si le tribunal n’approuve pas la proposition?

Si le tribunal n’approuve pas la proposition, le débiteur sera réputé avoir fait une cession de ses biens en vertu de la LFI en date du premier des événements suivants à survenir : (i) la date de dépôt d’un avis d’intention; (ii) la date de l’émission de la première requête pour une ordonnance de faillite rendue; et (iii) la date du dépôt d’une proposition par le débiteur.

3.13 - Qui est lié par une proposition et comment est-elle mise en place?

Si une proposition est approuvée, elle lie tout créancier non garanti ainsi que les catégories de créanciers garantis compris dans la proposition ayant voté en faveur de la proposition selon les majorités exigées. Une proposition peut être mise en place sensiblement de la même manière qu’un plan aux termes de la LACC. Dans les cas où les créanciers non garantis ont voté en faveur d’une proposition tandis que certains créanciers garantis ne l’ont pas fait, la proposition peut techniquement avoir été approuvée, mais elle deviendra inexécutable si ses conditions et sa mise en place exigeaient que les créditeurs garantis soient liés par celle-ci.

3.14 - Qu’arrive-t-il si un débiteur manque à ses obligations en vertu de la proposition?

Si un débiteur manque à ses obligations en vertu de sa proposition, et que les inspecteurs (les représentants des créanciers qui peuvent être nommés par les créanciers dans certains cas) ou les créanciers eux-mêmes (en l’absence d’inspecteurs) ne font pas abstraction du défaut, le syndic de la proposition doit informer les créanciers ainsi que le séquestre officiel de la situation. Dans ces circonstances, une requête peut être présentée au tribunal pour qu’il ordonne l’annulation de la proposition. Si une telle ordonnance est accordée, le débiteur fait automatiquement faillite.

4. Liquidations

Au Canada, les deux façons les plus courantes de liquider une société insolvable sont d’entreprendre des procédures de faillite en vertu de la LFI ou de nommer un séquestre. Par ailleurs, des débiteurs se sont aussi placés (et se placent de plus en plus ces derniers temps) sous la protection de la LACC afin de procéder à leur liquidation, avec ou sans dépôt de plan, et dans la plupart des cas, avec l’appui et la collaboration de leurs principaux créanciers garantis.

4.1 - Faillite

4.1.1 - De quelle façon les procédures de faillite sont-elles initiées?

La procédure juridique de faillite (dont l’effet est semblable à celui du Chapitre 7 du Code des É.‑U.) peut être initiée de l’une des trois façons suivantes :

  1. Involontairement, par le dépôt, contre le débiteur, d’une requête en faillite par un (ou plusieurs) des créanciers non garantis de celui‑ci auprès du tribunal compétent dans le district judiciaire de la localité du débiteur (voir le paragraphe 3.3 du chapitre XVII, « Où peut-on déposer une proposition? »). Pour qu’un créancier puisse déposer une requête en faillite, sa dette non garantie doit dépasser 1 000 $ CA et il doit faire valoir que le débiteur a commis un « acte de faillite » au cours des six mois précédant le dépôt de la requête. Les actes de faillite sont énumérés dans la LFI, l’acte le plus couramment invoqué étant que le débiteur est incapable d’honorer ses obligations au fur et à mesure de leur échéance; toutefois, le seul fait que le créancier allègue que le débiteur a cessé d’acquitter ses obligations courantes à son égard ne constitue pas un motif suffisant. Le débiteur a le droit de s’opposer à la requête à son encontre, auquel cas le tribunal déterminera si une ordonnance de faillite devrait être rendue.

  2. Volontairement, par le débiteur procédant à une cession de ses biens au profit de ses créanciers en général déposée auprès du séquestre officiel dans la localité du débiteur. Afin de procéder à une cession volontaire, le débiteur doit être une « personne insolvable » (c’est‑à‑dire qu’il doit être insolvable compte tenu de ses flux de trésorerie ou de son bilan). Les sociétés par actions, les sociétés de personnes et les fiducies de revenu sont des « personnes » pouvant effectuer une cession en cas d’insolvabilité. Pour procéder à une cession, une personne doit résider au Canada, y exercer des activités ou y avoir des biens, et sa dette doit s’élever à au moins 1 000 $ CA.

  3. En cas d’échec du processus de proposition en vertu de la LFI présenté par le débiteur à ses créanciers, notamment à la suite du rejet de la proposition par une catégorie de créanciers non garantis ou par le tribunal, ou en cas de défaut aux termes de la proposition ou de l’annulation subséquente, auquel cas une cession est réputée avoir eu lieu. Voir les paragraphes 3.6 (« Qu’arrive-t-il si la suspension n’est pas prolongée? »), 3.10 (« Qu’arrive‑t‑il si des créanciers non garantis n’approuvent pas la proposition? »), 3.12 (« Qu’arrive-t-il si le tribunal n’approuve pas la proposition? ») et 3.14 (« Qu’arrive-t-il si un débiteur manque à ses obligations en vertu de la proposition? ») du chapitre XVII.

4.1.2 - Quelles conséquences entraîne l’initiation de la procédure de faillite?

Lorsqu’une société débitrice fait faillite, elle cesse d’avoir la capacité juridique de céder ses actifs ou de s’occuper par ailleurs de ses biens, lesquels sont dévolus à un syndic de faillite (sauf les biens détenus en fiducie, qui ne font pas partie des actifs de la société débitrice). La nomination d’un syndic de faillite est assujettie expressément aux droits des créanciers garantis. Les syndics de faillite sont des professionnels en insolvabilité agréés qui sont, dans la plupart des cas, des comptables agréés (contrairement aux États‑Unis où les syndics sont habituellement des avocats). Ils ne sont pas des représentants du gouvernement, mais ils sont autorisés et réglementés par le Bureau du surintendant des faillites. Dans le cadre d’une faillite volontaire, le débiteur nomme lui-même le syndic, mais la nomination doit être confirmée par les créanciers non garantis à la première assemblée des créanciers. Lorsqu’il s’agit d’une faillite involontaire, le créancier qui dépose la requête nomme le syndic, et celui‑ci doit également être approuvé à la première assemblée des créanciers. Les créanciers non garantis doivent recevoir un avis de convocation à la première assemblée des créanciers dans les plus brefs délais après la nomination du syndic.

4.1.3 - Quelles sont les fonctions du syndic?

Un syndic est un officier de justice et, à ce titre, il doit représenter les intérêts des créanciers non garantis de façon impartiale. Il lui incombe de saisir les biens du débiteur, d’en disposer et d’en distribuer le produit réalisé conformément aux priorités établies par la LFI (voir le paragraphe 4.3 du chapitre XVII, « Ordre de priorité en cas de liquidation »). Le syndic est tenu de donner un avis de faillite à tous les créanciers connus de la faillite. Il doit également convoquer une première assemblée des créanciers de la faillite dans un délai de 21 jours suivant sa nomination, à moins que ce délai ne soit prorogé par le séquestre officiel pour une période limitée ou que le tribunal ne le proroge ou n’y renonce par ailleurs.

À la première assemblée des créanciers, les créanciers titulaires de réclamations prouvées doivent confirmer la nomination du syndic. Ils peuvent également nommer des « inspecteurs » qui seront chargés d’agir en tant que superviseurs et donner des instructions au syndic. Un syndic ne peut accomplir certaines actions sans l’approbation d’un inspecteur; par exemple, il ne peut exercer les activités du failli ni vendre ou disposer des biens de celui‑ci. Pour ce faire, il doit obtenir l’approbation du tribunal avant la nomination d’inspecteurs ou en l’absence d’une telle nomination. À la première assemblée, les créanciers peuvent voter pour se faire dispenser de la présence d’un inspecteur. Si aucun inspecteur n’est nommé à la première assemblée des créanciers, le syndic peut exercer l’ensemble de ses pouvoirs de son propre chef, mais il ne peut pas disposer des actifs en faveur d’une partie liée à la faillite. Cette mesure ne peut être prise qu’avec l’approbation du tribunal

4.1.4 - De quelle façon un créancier peut-il prouver sa réclamation?

Lorsque des procédures de faillite sont entamées, les créanciers non garantis ne peuvent exercer de recours contre le failli ou les biens du failli, ni entreprendre ou poursuivre une action ou procédure aux fins du recouvrement d’une réclamation (à moins que le créancier n’obtienne une autorisation spéciale du tribunal). En règle générale, les créanciers garantis ne sont pas assujettis à cette suspension des procédures (voir l’alinéa 4.1.5 du chapitre XVI, « De quelle façon une faillite influence-t-elle les droits des créanciers garantis? »).

Un créancier peut faire valoir sa réclamation contre le débiteur en déposant auprès du syndic de faillite une preuve de réclamation prescrite par la loi. Un formulaire de preuve de réclamation est joint à l’avis de faillite envoyé par le syndic à tous les créanciers connus. Le créancier doit soumettre le formulaire rempli avant la première assemblée des créanciers s’il souhaite voter à l’égard de la requête afin de confirmer la nomination du syndic ou voter pour un inspecteur et/ou agir en tant qu’inspecteur dans le cadre de la faillite. Autrement, le créancier n’a qu’à soumettre sa preuve de réclamation avant la distribution du produit par le syndic (les créanciers connus recevront un avis avant la distribution), à moins d’une ordonnance contraire du tribunal.

Un syndic peut refuser de verser le montant indiqué dans la preuve de réclamation ou encore l’ensemble de la réclamation. Les réclamations contestées peuvent être réglées au moyen d’une procédure judiciaire si les parties ne parviennent pas à un règlement consensuel.

4.1.5 - De quelle façon une faillite influence-t-elle les droits des créanciers garantis?

Les droits d’un syndic de faillite sont expressément assujettis à ceux des créanciers garantis. En règle générale, une faillite n’a pas d’incidence sur les droits des créanciers garantis, sauf dans la mesure nécessaire afin de permettre au syndic de réaliser la valeur des biens donnés en garantie, en sus des sommes dues au créancier garanti. La LFI fournit au syndic certains outils à cet égard. Le syndic peut : enjoindre au créancier garanti de prouver sa garantie; demander au créancier garanti d’évaluer sa garantie; inspecter le bien donné en garantie, généralement afin de l’évaluer; et racheter le bien donné en garantie en versant au créancier garanti le montant de la valeur évaluée de la sûreté. En cas de rachat, le bien donné en garantie devient un actif du patrimoine failli. Par ailleurs, le tribunal peut rendre une ordonnance suspendant le droit d’un créancier garanti de réaliser sa garantie pendant une période maximale de six mois. Ce type d’ordonnance de suspension, rarement rendue, peut toutefois l’être lorsque le syndic a besoin de temps pour évaluer les biens donnés en garantie et établir s’il devrait exercer son droit de rachat.

Si le montant de la créance d’un créancier garanti excède la valeur du bien donné en garantie, ce créancier garanti peut participer au processus de faillite et déposer une preuve de réclamation à l’égard de l’insuffisance de sa sûreté, cette partie étant non garantie.

4.1.6 - Un syndic peut-il annuler certaines opérations antérieures à la faillite?

La LFI prévoit deux types d’opérations antérieures à la faillite pouvant être passées en revue et contestées, soit les opérations sous-évaluées et les traitements préférentiels. Une « opération sous-évaluée » s’entend de toute disposition de biens ou fourniture de services par le failli pour laquelle il n’a reçu aucune contrepartie ou en a reçu une qui était manifestement inférieure à la juste valeur marchande de celle qu’il a lui-même donnée. Si les parties n’ont pas de lien de dépendance, le syndic doit établir que l’opération sous-évaluée a eu lieu au cours de l’année précédant l’ouverture de la faillite, alors que le failli était insolvable et avait l’intention de frauder ou de frustrer un créancier ou d’en retarder le désintéressement. Lorsque le destinataire du transfert et le failli ont un lien de dépendance, la période pertinente d’examen est de cinq ans avant l’ouverture de la faillite (voir le paragraphe 3.3 du chapitre XVII, « Où peut-on déposer une proposition? »), mais les critères diffèrent selon le moment où, au cours de la période de cinq ans, l’opération remise en cause a eu lieu. Si les parties n’ont pas de lien de dépendance et que l’opération a eu lieu dans l’année du cas de faillite, le syndic n’a qu’à établir l’existence de l’opération et la contrepartie inadéquate. Il n’a pas à établir l’intention requise. Si l’opération remise en cause a eu lieu entre la deuxième année et la cinquième année, le syndic doit satisfaire aux exigences relatives à l’insolvabilité et à l’intention requise.

Si un tribunal détermine qu’une opération constituait une opération sous-évaluée, celle‑ci peut être annulée ou le syndic peut tenter d’obtenir un jugement à l’égard de la différence entre la valeur de la contrepartie reçue par le failli (le cas échéant) et la valeur de celle donnée par le failli.

Un traitement préférentiel vise un paiement effectué à un créancier d’avant le dépôt de la requête qui répond à certains critères. Lorsque le créancier n’a pas de lien de dépendance avec la personne insolvable, le syndic doit établir que l’opération concernée a eu lieu au cours des trois mois précédant l’ouverture de la faillite et que la personne insolvable envisageait de procurer au créancier une préférence par rapport à un autre créancier. Lorsque le créancier a un lien de dépendance avec la personne insolvable, le syndic doit établir que l’opération concernée a eu lieu au cours de l’année précédant l’ouverture de la faillite et que la personne insolvable envisageait de procurer au créancier une préférence sur un autre créancier. Si l’opération a eu pour effet de procurer une préférence, il existe une présomption réfutable selon laquelle elle aurait été effectuée dans le but de procurer au créancier une préférence. Si un tribunal établit qu’une opération constituait un traitement préférentiel, elle peut être annulée.

Le tribunal pourrait conclure que les administrateurs de la société débitrice sont solidairement responsables d’opérations qui comprennent :

  1. le paiement d’un dividende (autre qu’un dividende en actions), ou le rachat ou l’achat pour annulation d’actions du capital social de la société,
  2. le paiement d’une indemnité de départ ou de préavis, d’une prime d’encouragement ou de tout autre avantage à un administrateur, à un dirigeant ou à quiconque dirige ou supervise les activités commerciales et les affaires internes de la société, au cours de l’année précédant l’ouverture de la faillite.

Pour établir la responsabilité, le tribunal doit conclure que l’une ou l’autre des opérations susmentionnées a rendu la société débitrice insolvable ou a eu lieu à un moment où la société était insolvable. Cependant, les administrateurs peuvent se prévaloir d’une défense fondée sur la diligence raisonnable. En ce qui concerne la rémunération versée aux dirigeants, le tribunal doit également avoir conclu que le paiement était manifestement supérieur à la juste valeur marchande de la contrepartie reçue par la société et n’a pas été fait dans le cours ordinaire des affaires. Les administrateurs peuvent éviter d’engager leur responsabilité à cet égard en établissant que les paiements n’ont pas été faits en contravention des lois applicables ou qu’ils ont protesté contre les paiements, conformément aux lois applicables.

Outre ce qui précède, diverses lois provinciales analogues prévoient des mécanismes servant à contester les opérations qui favorisent un créancier au détriment d’autres créanciers et/ou qui sont réalisées lorsqu’une société est insolvable.

En règle générale, les syndics canadiens sont moins enclins à s’attaquer aux opérations antérieures à la faillite que leurs homologues américains, et les exigences techniques afin d’annuler ces opérations sont plus onéreuses au Canada qu’aux États‑Unis. Lorsque le syndic de faillite refuse ou néglige de prendre une action à l’égard d’une réclamation relative à un paiement préférentiel ou à une opération sous-évaluée, un créancier peut demander une ordonnance l’autorisant à intenter une telle action. Si le recours est autorisé, le créancier procède en son nom, à ses frais et risques; un avis doit toutefois être donné aux autres créanciers, qui peuvent se joindre à la procédure envisagée. Tout avantage provenant d’une procédure initiée par un créancier revient uniquement à celui ou à ceux qui ont initié la procédure, et le surplus, le cas échéant, doit être restitué au patrimoine du failli.

4.1.7 - De quels droits de reprise de possession les fournisseurs impayés jouissent-ils?

Les fournisseurs disposent d’un droit limité de reprise de stocks fournis à un débiteur failli ou à un débiteur assujetti à une mise sous séquestre. Les fournisseurs impayés peuvent reprendre possession des marchandises livrées 30 jours avant la date de la faillite ou de la mise sous séquestre. Une demande de reprise de possession écrite doit être envoyée dans les 15 jours de la date à laquelle l’acquéreur devient failli ou est mis sous séquestre. Les marchandises doivent pouvoir être identifiées, être dans le même état qu’au moment de leur livraison, être encore en la possession de l’acheteur, du syndic ou du séquestre et ne pas faire l’objet d’une promesse de vente à une personne sans lien de dépendance subséquente. En pratique, les fournisseurs trouvent qu’il est souvent difficile de satisfaire à toutes ces exigences de suivi.

4.2 - Mises sous séquestre

4.2.1 - Qu’est-ce qu’un séquestre?

Un séquestre ou un séquestre-gérant est habilité à s’occuper des actifs d’une société débitrice, y compris à exploiter et à gérer l’entreprise de celle‑ci au lieu de la direction en place. Le séquestre peut aussi être habileté à fermer la société s’il conclut que la poursuite des activités pourrait éroder les recouvrements pour les créanciers ou si le financement est insuffisant pour poursuivre les activités. Le séquestre ne devient pas propriétaire des actifs de la société débitrice; toutefois, il peut être autorisé (sans y être tenu) dans son acte de nomination à prendre possession et à assumer la garde des actifs de même qu’à les vendre.

4.2.2 - De quelle façon un séquestre est-il nommé?

Un séquestre peut être nommé (i) en privé par un créancier garanti conformément aux modalités d’un contrat de garantie ou (ii) par ordonnance du tribunal.

a)   Séquestre privé : Un créancier garanti peut être habilité à nommer un séquestre aux termes de son contrat de garantie. Les fonctions du séquestre servent principalement les intérêts du créancier garanti l’ayant nommé. Il a également l’obligation générale d’agir en toute honnêteté, de bonne foi et selon des pratiques commerciales raisonnables et de se conformer aux exigences réglementaires en matière d’avis prévues dans les LSM provinciales.

En vertu de l’article 244 de la LFI, il incombe au créancier garanti de fournir un préavis de 10 jours annonçant son intention de mettre à exécution sa garantie et de nommer un séquestre, si ce séquestre doit être nommé pour la totalité ou la quasi-totalité du stock, des comptes clients ou des autres biens d’un débiteur insolvable acquis ou utilisés dans le cadre des affaires de ce dernier. En pratique, les prêteurs garantis publient habituellement un « préavis en vertu de l’article 244 » lorsque la garantie est mise à exécution, par souci de prudence. Un séquestre nommé à l’égard de la totalité ou de la quasi-totalité des actifs des catégories prévues à l’article 244 de la LFI doit être un syndic agréé en faillite qui, comme il est indiqué ci‑dessus, est habituellement un comptable. Tel qu’il est mentionné ci‑dessous, un séquestre intérimaire peut être nommé avant l’expiration de la période de préavis de 10 jours. Les séquestres privés n’existent pas au Québec.

b)   Séquestre nommé par le tribunal : Dans le cas d’un séquestre nommé par le tribunal, le séquestre est nommé par ordonnance du tribunal, habituellement à la demande d’un créancier garanti en vertu des règles de procédure de la province où l’entreprise du débiteur se trouve. Certains organismes de réglementation, notamment la Commission des valeurs de l’Ontario et l’Alberta Energy Regulator, ont également demandé et obtenu la nomination de séquestres par des tribunaux à l’égard de certaines entités réglementées, lorsque les circonstances le justifiaient. En règle générale, les tribunaux des provinces de common law (c’est-à-dire toutes les provinces, sauf le Québec) sont habilités à nommer un séquestre lorsque le tribunal est convaincu que cela est « juste ou opportun ». Les tribunaux sont également habilités à nommer des séquestres en vertu de la LFI, dont les pouvoirs s’appliquent à l’ensemble du Canada (la LFI étant une loi fédérale) et non à une province en particulier, comme c’est le cas des séquestres nommés en vertu des règles de procédure provinciales. Habituellement, le tribunal nomme un séquestre dans les cas plus complexes, notamment lorsqu’il existe des différends entre les créanciers ou entre le créancier et le débiteur, ou dans les cas où il semble évident dès le départ que l’aide du tribunal sera nécessaire de façon continue. La nomination d’un séquestre par le tribunal est généralement assortie d’une suspension complète des procédures empêchant le créancier d’intenter une action contre le débiteur, les biens du débiteur et le séquestre, et prévoyant une plateforme plus stable afin de procéder à la réalisation (voir l’alinéa 4.2.4 du chapitre XVII, « De quelle façon les créanciers peuvent-ils faire valoir leurs réclamations dans le cadre d’une mise sous séquestre? »).

Les pouvoirs d’un séquestre nommé par le tribunal lui sont conférés par ordonnance du tribunal et par toute loi particulière régissant ses pouvoirs. Le séquestre est un officier de justice et a des obligations envers tous les créanciers du débiteur. Il suit les directives et les instructions du tribunal, et non celles du créancier qui a demandé sa nomination initialement. Dans la plupart des cas, l’ordonnance du tribunal nommant le séquestre confère à ce dernier de vastes pouvoirs semblables à ceux qui sont normalement conférés à un séquestre privé aux termes d’un contrat de garantie, même si certaines actions, telles que les ventes d’actifs importants, exigent habituellement une approbation particulière du tribunal. Par ailleurs, le séquestre nommé par le tribunal peut normalement se prévaloir d’une superpriorité lorsqu’il contracte un emprunt, semblable au financement DE sous le régime de la LACC.

c)   Séquestre intérimaire : Un « séquestre intérimaire » qui reçoit un mandat temporaire et restreint peut être nommé par le tribunal au cours de la fenêtre de 10 jours suivant l’envoi d’un préavis aux termes de l’article 244. Le tribunal peut enjoindre au séquestre intérimaire de prendre possession de tout ou partie des biens du débiteur, d’exercer sur ces biens ainsi que sur l’entreprise du débiteur le degré de contrôle que le tribunal estime indiqué, de prendre des mesures conservatoires et de disposer sommairement de ces biens. Cependant, les séquestres intérimaires ne sont pas autorisés à emprunter des fonds.

Le séquestre intérimaire demeure en fonction jusqu’à celui des événements ci‑après qui se produit le premier : a) la prise de possession par un séquestre ou un syndic des biens du débiteur, et b) l’expiration de la période de 30 jours suivant la date de la nomination du séquestre intérimaire ou de la période précisée par le tribunal, ou dans le cas où une mise sous séquestre intérimaire coïncide avec une proposition, après que le tribunal a approuvé la proposition.

4.2.3 - Quelles exigences de déclaration incombent à un séquestre?

Aux termes de leur nomination, certaines obligations incombent aux séquestres privés et aux séquestres nommés par le tribunal. Un séquestre doit aviser tous les créanciers connus de sa nomination et, à différentes étapes de l’administration de son mandat, préparer et distribuer les rapports provisoires et définitifs concernant la mise sous séquestre. Ces rapports, déposés auprès du Bureau du surintendant des faillites, peuvent être mis à la disposition de tous les créanciers. Un séquestre nommé par le tribunal doit également faire rapport au tribunal, aux moments et aux intervalles exigés, tout en continuant à s’acquitter de son mandat.

4.2.4 - De quelle façon les créanciers peuvent-ils faire valoir leurs réclamations dans le cadre d’une mise sous séquestre?

Lorsqu’un séquestre est nommé par le tribunal, le tribunal suspendra habituellement les procédures afin d’empêcher les créanciers d’exercer tout droit ou recours sans avoir obtenu son autorisation préalable. Cette suspension s’apparente généralement à la suspension générale des procédures prévue dans la LACC et sa portée est beaucoup plus vaste que celle de la suspension des procédures prévue par la loi lorsqu’une société fait faillite.

En règle générale, lorsqu’un séquestre a réalisé les actifs du débiteur, il tentera d’en distribuer le produit aux créanciers conformément à leurs droits et à leur priorité, après avoir obtenu l’autorisation du tribunal. Si seuls les créanciers garantis recouvrent des sommes, un processus de réclamations pourrait ne pas être nécessaire. S’il subsiste des fonds excédentaires après avoir acquitté toutes les créances garanties, le séquestre peut procéder à un processus de réclamations approuvé par le tribunal ou solliciter l’approbation du tribunal afin de céder les biens du débiteur en vertu de la LFI et de traiter les réclamations non garanties en se servant des procédures de faillite (voir le paragraphe 4.1 du chapitre XVII, « Faillite »).

4.3 - Ordre de priorité en cas de liquidation

4.3.1 - En quoi consistent les réclamations « superprioritaires »?

Les créanciers garantis ont priorité de rang sur les créanciers non garantis en cas de liquidation; toutefois, certaines réclamations superprioritaires prescrites par la loi auront préséance sur celles des créanciers garantis.

Salaires impayés : La LFI accorde une priorité à certains ouvriers (la priorité ne s’applique pas aux dirigeants ni aux administrateurs de la société débitrice), jusqu’à concurrence de 2 000 $ CA par employé, pour le salaire impayé (y compris l’indemnité de vacances, mais à l’exclusion de l’indemnité de cessation d’emploi) gagné jusqu’à six mois avant la nomination d’un séquestre ou l’ouverture de la faillite. La priorité est garantie au moyen d’une charge sur l’actif à court terme de la société débitrice, lequel est constitué essentiellement des stocks et des comptes clients. Si le séquestre ou le syndic règle la réclamation de l’ouvrier, la réclamation garantie est réduite en conséquence. L’obligation de payer les salaires accumulés mais non versés a la même priorité à l’égard du produit réalisé dans le cadre d’une vente ou d’un plan en vertu de la LACC, étant donné qu’un plan doit prévoir que ces réclamations prioritaires seront acquittées.

LPPS : La Loi sur le Programme de protection des salariés établit un programme géré par le gouvernement fédéral par l’intermédiaire duquel les employés ayant le droit de réclamer une priorité pour tout salaire impayé sont indemnisés directement par le gouvernement, jusqu’à concurrence de 8 278,83 $ CA en 2023. Le gouvernement est subrogé dans les droits de l’employé impayé à l’égard des sommes payées aux termes de ce programme et obtient une réclamation prioritaire contre les actifs à court terme de la société débitrice d’un montant correspondant à la rémunération réellement payée, jusqu’à concurrence d’un montant maximal de 2 000 $ CA par employé. Tout solde en sus de cette somme n’a pas priorité sur les créanciers garantis.

Réclamations au titre d’un régime de retraite : La LFI prévoit une priorité pour les montants déduits mais non versés et pour les cotisations régulièrement prévues non versées (c’est-à-dire autres que les cotisations spéciales ou le déficit de capitalisation en soi) à un régime de retraite, en créant une charge prioritaire dont la valeur correspond à la somme due, sur l’ensemble des actifs de la société débitrice. Comme dans le cas des salaires impayés, l’obligation de financer les cotisations de retraite régulièrement prévues non versées a un rang prioritaire à l’égard du produit réalisé dans le cadre d’une vente en vertu de la LACC, et tout plan doit prévoir que ces réclamations prioritaires seront acquittées.

Dans les faits, les salaires non payés et les cotisations non versées ont la même priorité à l’égard du produit réalisé dans le cadre d’une vente en vertu de la LACC ou d’une vente en vertu des dispositions relatives à la proposition de la LFI, étant donné qu’une proposition ou un plan d’arrangement doit prévoir que ces réclamations prioritaires seront acquittées.

Si un régime de retraite a été liquidé, et n’est pas prorogé, et que la liquidation entraîne un déficit de liquidation, l’obligation de financer le déficit peut, aux termes de certaines lois provinciales, avoir priorité sur certains types de réclamations de créanciers garantis dans certaines circonstances.

Cotisations sociales : Avant de verser des distributions à des créanciers dans le cadre d’une procédure aux termes de la LACC, certaines autres réclamations prioritaires obligatoires selon la loi, telles que les retenues à la source de l’employé ou « cotisations sociales » (c’est-à-dire les retenues d’impôt sur le revenu, les primes d’assurance-emploi et les primes au titre du Régime de pensions du Canada) doivent également être payées.

Autres questions : Outre ceux énumérés ci‑dessus, il existe également d’autres privilèges ou charges d’origine législative et fiducies présumées en vertu des lois provinciales et fédérales ayant priorité sur les créanciers garantis dans un autre contexte qu’une faillite, mais qui sont traités comme des réclamations non garanties ordinaires à la suite d’une faillite (par exemple, les privilèges ou charges pour les taxes de vente provinciales et fédérales non versées). Les liquidations et les procédures de mise sous séquestre en vertu de la LACC sont souvent converties en procédures de faillite, en partie afin d’obtenir l’annulation de ces priorités.

4.3.2 - Que devient l’ordre de priorité après avoir honoré les superpriorités et la priorité des créanciers garantis?

Lorsque les réclamations superprioritaires et les réclamations des créanciers garantis prévues par la loi ont été acquittées, la LFI établit un plan de distribution pour les créanciers non garantis, selon l’ordre suivant :

  1. les frais d’administration de la faillite;

  2. un prélèvement du surintendant des faillites sur l’ensemble des paiements aux créanciers effectués par le syndic (qui est fixé actuellement à 5 % sur la première tranche de 1 M$ CA des distributions et qui suit une échelle mobile pour les sommes en sus de 1 M$ CA);

  3. les réclamations privilégiées, y compris les réclamations pour salaires en sus de la charge de 2 000 $ CA prévue par la loi, les réclamations des créanciers garantis d’un montant correspondant à la différence entre la somme que le créancier garanti a reçue et celle qu’il aurait reçue, n’eût été l’application des superpriorités relatives aux salaires et aux régimes de retraite, ainsi que les réclamations des locateurs jusqu’à concurrence des montants maximums prescrits par la loi;

  4. les réclamations non garanties ordinaires, au prorata;

  5. les ventes fondées sur l’hypothèse de continuité d’exploitation.

4.4 - Une entreprise insolvable peut-elle être vendue en tant qu’entreprise en exploitation?

Bien qu’une vente fondée sur l’hypothèse de continuité d’exploitation puisse être effectuée par un syndic de faillite ou un séquestre privé, une telle vente d’entreprise insolvable sera habituellement réalisée par un séquestre nommé par le tribunal ou par l’intermédiaire du processus de proposition en vertu de la LACC ou de la LFI.

4.5 - En quoi consiste le processus de vente dans le cadre d’une mise sous séquestre?

Pour procéder à la vente d’une entreprise fondée sur l’hypothèse de continuité d’exploitation, un séquestre nommé par le tribunal exigera généralement que le tribunal approuve un processus de commercialisation détaillé pour les actifs de la société, approbation qui peut être rétroactive dans le cas d’un processus de commercialisation réalisé avant le dépôt. Les exigences et les échéances du processus de commercialisation varieront en fonction de la nature de l’entreprise, de la valeur de l’actif, du taux de dépréciation de l’actif dans le cadre d’un processus de vente, du financement d’exploitation disponible ainsi que du bassin réel d’acquéreurs potentiels. Le séquestre nommé par le tribunal sélectionnera l’offrant ayant la meilleure offre en tenant compte notamment de la valeur offerte, des conditions de clôture, de la date de clôture, de la capacité de l’acquéreur de conclure l’opération et de tout rajustement possible du prix d’achat.

Même s’il n’existe aucune exigence prévue par la loi applicable au processus de soumission‑paravent au Canada, les tribunaux canadiens établissent régulièrement un processus de soumission-paravent par ordonnance du tribunal et les ventes de ce type sont courantes au Canada. Toutefois, à moins d’une autorisation particulière de la part du tribunal, la convention d’achat et de vente conclue avec l’adjudicataire ne sera pas assujettie à des surenchères comme c’est le cas dans le cadre du processus de soumission-paravent (stalking-horse process) en vertu du Chapitre 11.

Le séquestre, sur avis aux personnes intéressées, demandera au tribunal d’approuver la convention d’achat et de vente et de transférer à l’acquéreur les actifs purgés de tout privilège et de toute charge. Les privilèges et les charges grevant les actifs acquis seront conservés sur le produit de la vente et garderont le rang et la priorité qu’ils avaient sur les actifs acquis. Le produit net de la vente est habituellement détenu par le séquestre en attendant qu’une « ordonnance de distribution » du tribunal soit rendue autorisant le séquestre à verser les fonds aux créanciers conformément à leurs droits. Toutes les parties intéressées doivent recevoir un avis de dépôt d’une requête en vue d’obtenir une ordonnance de distribution, et les différends entre les créanciers quant à la priorité ainsi que la répartition des fonds sont habituellement traités dans le cadre de la requête de distribution, plutôt qu’à l’étape de l’approbation de la vente.

4.6 - Quelles sont les étapes d’un processus de vente en vertu de la LACC?

À l’instar de la vente réalisée en vertu de l’article 363 du Code des É.‑U., la LACC permet la vente d’une entreprise par le débiteur moyennant l’approbation du tribunal. L’approbation de la vente ainsi que les ordonnances de dévolution procurent à l’acquéreur l’assurance nécessaire qu’il acquerra les biens purgés de tout privilège et de toute charge.

Le processus de vente en vertu de la LACC ressemble au processus de vente par le séquestre, sauf que dans le premier cas, le débiteur contrôle lui-même le processus (sous la supervision d’un contrôleur), qu’il est le vendeur et qu’il doit faire approuver par le tribunal le processus, et ultimement, la vente elle‑même. En règle générale, le processus de vente est approuvé par tribunal, sur recommandation du contrôleur et avec l’appui des intervenants clés, y compris les prêteurs DE, lesquels exercent une grande influence sur celui‑ci. Le débiteur voudra également obtenir l’appui de son contrôleur. De plus, les tribunaux autorisent fréquemment le recours aux services d’un conseiller financier, d’une banque d’investissement ou d’un courtier pour mener le processus de vente au nom du débiteur.

Le tribunal doit être convaincu, entre autres, que le processus de vente est juste et raisonnable à la lumière de toutes les circonstances. La LACC décrit les facteurs qu’un tribunal doit considérer au moment de décider d’approuver ou non une vente hors du cours normal des affaires du débiteur. Ces facteurs comprennent notamment :

  • la question de savoir si le processus de vente était raisonnable vu les circonstances;

  • la question de savoir si le contrôleur a approuvé le processus de vente et la vente et s’il a établi que la vente serait plus profitable aux créanciers qu’une vente dans le cadre d’une procédure de faillite;

  • la mesure dans laquelle les créanciers ont été consultés;

  • les effets de la vente proposée sur les créanciers et les autres parties prenantes touchées;

  • la question de savoir si la contrepartie à recevoir pour les actifs est juste et raisonnable, compte tenu de leur valeur marchande;

  • dans le cas d’une vente à une partie liée, la question de savoir si des efforts de bonne foi ont été déployés afin de vendre les actifs à des parties non liées et si la contrepartie à recevoir est supérieure à toute autre offre qui serait reçue dans le cadre du processus de vente.

Le produit tiré de la vente peut être détenu par le contrôleur. Comme c’est le cas pour les ventes par des séquestres nommés par le tribunal, l’approbation de la vente et une ordonnance de dévolution prévoiront que les créanciers jouiront des mêmes priorités à l’égard du produit qu’à l’égard de l’actif avant la vente. Après l’approbation de la vente par le tribunal et la clôture, le tribunal autorisera la distribution du produit net aux créanciers, conformément à leurs priorités (dont il est question ci-dessous). S’il subsiste des fonds excédentaires pour les créanciers non garantis après le paiement des créanciers garantis, il arrive fréquemment que l’on demande l’autorisation du tribunal pour mettre le débiteur en faillite et pour faire distribuer le produit excédentaire par un syndic de faillite conformément aux priorités établies dans la LFI (voir le paragraphe 4.3 du chapitre XVII, « Ordre de priorité en cas de liquidation »).. La société débitrice peut également choisir de déposer un plan d’arrangement ou une transaction prévoyant la distribution du produit de la vente aux créanciers garantis et non garantis.

4.7 - Opération de vente-achat ou ventes préarrangées

Une société a également la possibilité de mettre en œuvre un processus de vente semblable à celui qui serait habituellement mis en œuvre dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité et de déterminer dans les faits un soumissionnaire ou un soumissionnaire-paravent retenu avant l’introduction de la procédure. En pareilles circonstances, l’objectif principal de la procédure d’insolvabilité (qu’il s’agisse d’une mise sous séquestre, d’une procédure en vertu de la LACC ou d’une proposition) serait de faire approuver l’opération par le tribunal ou de lancer un processus de vente abrégé afin de déterminer s’il y a des surenchères, dans le cas d’une soumission-paravent, et ensuite de distribuer le produit conformément à une ordonnance du tribunal ou à un plan. Avant d’approuver l’opération, le tribunal s’assurera que le séquestre, le contrôleur ou le syndic de la proposition proposé a exercé une fonction de surveillance ou de supervision dans le processus de vente antérieur à la procédure ou qu’il a par ailleurs examiné le processus et le juge raisonnable. Le séquestre, le contrôleur ou le syndic de la proposition proposé doit présenter une preuve que le processus de vente était conforme à ceux qui sont habituellement approuvés par les tribunaux dans de tels cas. Les sociétés débitrices, les acheteurs et les prêteurs s’intéressent souvent à de telles opérations de vente-achat, car celles-ci peuvent leur permettre d’économiser temps et argent. Étant donné que la procédure vise à mettre en œuvre une solution de continuité d’exploitation (plutôt que de simplement trouver une telle solution), le recours à ces opérations peut également atténuer les stigmates et les perturbations potentielles associés aux procédures d’insolvabilité officielles.

4.8 - Les offres basées sur créances par un créancier garanti sont-elles autorisées au Canada?

Il n’existe pas dans la LIF ou la LACC de procédure équivalant à celle prévue au paragraphe 363(k) du Code des É.‑U., qui autorise expressément un créancier garanti à faire une offre basée sur sa créance. Toutefois, les tribunaux autorisent habituellement de telles offres au Canada. Contrairement aux États‑Unis, il n’existe au pays aucune jurisprudence portant sur le droit contractuel d’un agent administratif ou agent de garantie de présenter une offre basée sur créance pour le compte d’un syndicat de prêteurs et de lier les prêteurs dissidents. Toutefois, on prévoit qu’un tribunal examinera les dispositions de la convention de placement pour compte et des documents relatifs à la sûreté pour déterminer la portée de la sûreté d’un placeur pour compte.

5. Cas d’insolvabilité en contexte international

Comme le Chapitre 11, la LACC prévoit la coordination des cas d’insolvabilité en contexte international. La LACC et la LFI comprennent des dispositions générales applicables à la reconnaissance des instances d’insolvabilité étrangères. Ces dispositions, qui font partie intégrante de la LACC et de la LFI, sont fondées sur la Loi type de la CNUDCI sur l’insolvabilité internationale (« Loi type »), qui est semblable au Chapitre 15 du Code des É.‑U. Dans la majorité des instances coordonnées en contexte international relatives aux cas importants d’insolvabilité commerciale, les dispositions de la LACC sur l’insolvabilité en contexte international s’appliquent plutôt que celles de la LFI. Les dispositions de la LACC sont donc résumées ci‑dessous.

5.1 - Quel est l’objectif de la Loi type?

La Loi type, telle qu’adoptée dans la LACC, vise à promouvoir :

  • la coopération entre les tribunaux et les autres autorités compétentes au Canada et celles de territoires étrangers dans les affaires d’insolvabilité internationale;

  • une plus grande certitude juridique dans le commerce et les investissements;

  • l’administration équitable et efficace des procédures d’insolvabilité internationale, de manière à protéger les intérêts de tous les créanciers et des autres parties intéressées, y compris la société débitrice;

  • la protection des biens de la société débitrice et l’optimisation de leur valeur;

  • le redressement des entreprises en difficultés financières, de manière à protéger les investissements et préserver les emplois.

5.2 - Qui peut présenter une demande de reconnaissance d’une instance?

Un représentant étranger peut demander à un tribunal canadien de reconnaître une instance étrangère à l’égard de laquelle il agit comme représentant étranger. Avant cette nomination, le candidat au titre de représentant étranger peut demander qu’une ordonnance provisoire prévoyant la suspension des procédures soit rendue en vue de protéger les actifs de la société débitrice durant la période entre l’introduction d’une instance étrangère et la date de la nomination par le tribunal étranger du représentant étranger, après quoi il peut demander la reconnaissance totale de l’instance étrangère.

5.3 - Qu’est-ce qu’un représentant étranger?

Un représentant étranger est une personne ou un organe, y compris à titre provisoire, autorisé dans le cadre d’une instance étrangère concernant une société débitrice à : a) surveiller des biens ou des affaires financières de la société débitrice aux fins de réorganisation; ou b) à agir en tant que représentant dans le cadre de l’instance étrangère.

Compte tenu du deuxième critère, une société débitrice peut elle-même être représentant étranger, à la condition qu’elle ait été dûment autorisée à agir en tant que tel. Le représentant étranger est tenu, notamment, d’aviser le tribunal canadien de tout changement important relatif à l’évolution de l’instance étrangère reconnue et de tout changement important lié à son autorité d’agir comme représentant étranger.

5.4 - Qu’est-ce qu’une instance étrangère?

Une instance étrangère est une procédure judiciaire ou administrative intentée dans un ressort à l’extérieur du Canada et portant sur les intérêts collectifs des créanciers habituellement en vertu d’une loi sur la faillite ou l’insolvabilité selon laquelle les activités et les affaires financières de la société débitrice sont soumises au contrôle ou à la surveillance d’un tribunal étranger aux fins de réorganisation ou de liquidation. La procédure prévue au Chapitre 11 du Code des États-Unis constitue une instance étrangère.

5.5 - Quelles preuves doit-on présenter devant le tribunal canadien afin de faire reconnaître une instance?

Dans le cadre d’une demande de reconnaissance, certains documents de base doivent être fournis : a) une copie certifiée conforme du document d’introduction de l’instance étrangère, habituellement une ordonnance du tribunal; b) une copie certifiée conforme du document autorisant le représentant étranger à agir en tant que tel, habituellement une ordonnance du tribunal; et c) une déclaration faisant état de toutes les instances étrangères concernant la société débitrice qui sont connues du représentant étranger. En l’absence des preuves mentionnées ci‑dessus, le tribunal se réserve le droit d’accepter toute autre preuve qu’il juge satisfaisante.

5.6 - Quel est le pouvoir discrétionnaire d’un tribunal canadien afin de reconnaître l’instance étrangère?

Si le tribunal est convaincu que la demande de reconnaissance d’une instance étrangère vise une instance étrangère et que le demandeur est un représentant étranger dans le cadre de celle‑ci, le tribunal doit reconnaître, par ordonnance, l’instance étrangère en cause. Le tribunal ne peut pas user de son pouvoir discrétionnaire à cet égard. Toutefois, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de décider quelle dispense est accordée relativement aux instances reconnues (voir le paragraphe 5.9 du chapitre XVII, « Quelles sont les obligations d’un tribunal canadien une fois la reconnaissance accordée? »). En outre, l’ordonnance accordant la reconnaissance précisera si l’instance est une « instance étrangère principale » ou une « instance étrangère secondaire ».

5.7 - Qu’est-ce qu’une instance étrangère principale?

Une instance étrangère sera considérée comme une instance « principale » si elle a lieu dans le ressort où le débiteur a ses principales affaires. Il existe une présomption réfutable selon laquelle le siège social du débiteur est le lieu où le débiteur a ses principales affaires. Au moment de reconnaître une instance étrangère principale, le tribunal devra rendre une ordonnance a) accordant la suspension des procédures jusqu’à ce que le tribunal ait rendu une ordonnance à l’effet contraire, et b) empêchant la société débitrice de vendre des actifs au Canada hors du cours normal de ses affaires. Les ordonnances de reconnaissance seront toutefois assujetties aux modalités que le tribunal jugera appropriées. Les ordonnances de reconnaissance doivent également être conformes aux autres ordonnances pouvant être rendues en vertu de la LACC.

5.8 - Qu’est-ce qu’une instance étrangère secondaire?

Une instance étrangère secondaire s’entend d’une instance étrangère qui n’est pas une instance étrangère principale. Contrairement au Chapitre 15 du Code des É.‑U, il n’est aucunement obligatoire qu’une société débitrice ait un « établissement » dans un ressort étranger pour que l’instance soit reconnue comme une instance « secondaire ». Si le tribunal reconnaît que l’instance étrangère est une instance secondaire, la suspension n’est pas automatique. Toutefois, le tribunal peut, à sa discrétion, ordonner une suspension si cela est nécessaire afin de protéger les biens du débiteur ou les intérêts des créanciers.

5.9 - Quelles sont les obligations d’un tribunal canadien une fois la reconnaissance accordée?

Si une ordonnance reconnaissant une instance étrangère est rendue, le tribunal doit collaborer, dans toute la mesure du possible, avec le représentant étranger et le tribunal étranger participant à l’instance étrangère.

Cette collaboration peut se traduire, notamment, par la nomination d’une personne chargée d’agir suivant les instructions du tribunal, habituellement appelée l’« agent d’information », ayant les mêmes obligations d’information que le contrôleur en vertu de la LACC, et par la coordination des procédures concurrentes concernant la même société débitrice.

5.10 - Quelles règles le tribunal peut-il appliquer?

Aucune disposition dans la LACC n’empêche le tribunal, à la demande d’un représentant étranger ou de toute autre personne intéressée, d’appliquer des règles de droit ou d’equity relatives à la reconnaissance des ordonnances étrangères en matière d’insolvabilité et de prêter assistance au représentant étranger, dans la mesure où cela n’est pas incompatible avec les dispositions de la LACC.

De plus, rien dans la LACC n’empêche un tribunal canadien de refuser de prendre une mesure qui serait contraire à l’ordre public. Par exemple, dans certaines circonstances, les tribunaux canadiens ont reconnu des « roulements dans le financement DE » (roll-up DIP) approuvés par des tribunaux américains lors de démarches visant la reconnaissance de procédures, quand bien même de tels roulements n’auraient pas été permis au cours d’une procédure plénière en vertu de la LACC. La disposition analogue prévue au Chapitre 15 du Code des É.‑U. se rapporte à tout élément qui est « manifestement » contraire à l’ordre public. Cela laisse entendre que l’on demande aux tribunaux américains de faire preuve d’encore plus de souplesse que leurs homologues canadiens, lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est contraire à l’ordre public.