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Actions collectives : la Cour d’appel de la Saskatchewan remet de l’« ordre » dans le rang des requêtes dispositives

15 février 2024

La Cour d’appel de la Saskatchewan (la « Cour ») a récemment rendu sa décision longuement attendue concernant l’ordre dans lequel une requête dispositive peut être entendue par rapport à une demande d’autorisation dans le contexte des actions collectives. La Cour a confirmé que les juges responsables de la gestion des instances (les « juges de gestion d’instance ») disposent d’un pouvoir discrétionnaire leur permettant de déterminer l’ordre pour le traitement des requêtes, même s’il en résulte le rejet d’une demande d’action collective sur le fond avant l’étape de l’autorisation.

Contexte

En 2016, le demandeur dans l’affaire Hoedel v. WestJet Airlines Ltd. a entrepris une action collective proposée contre WestJet et Air Canada dans le cadre de laquelle il alléguait que ces dernières avaient été de connivence lorsqu’elles ont introduit des frais pour les premiers bagages enregistrés en 2014. En 2018, WestJet et Air Canada ont présenté leurs défenses et ont demandé au tribunal de rejeter sommairement la procédure intentée (ensemble, la « requête en rejet sommaire »). Environ six mois plus tard, le demandeur a déposé une demande visant à faire autoriser l’action collective. WestJet et Air Canada ont alors demandé des directives au tribunal afin de savoir laquelle des requêtes serait entendue en premier entre la requête en rejet sommaire et la demande d’autorisation.

Audience relative à l’établissement de l’ordre des requêtes 

En 2021, la juge de gestion d’instance a tenu une audience dans le but d’établir l’ordre des requêtes. Ce faisant, elle a pris en considération les facteurs suivants :

  1. Était-il probable que le fait d’entendre la requête en rejet sommaire avant la demande d’autorisation de l’action collective donne lieu à de multiples séries de procédures devant divers paliers de tribunaux? La requête en rejet sommaire nécessiterait-elle la préparation d’un dossier important et/ou la réalisation d’un contre-interrogatoire sur les affidavits, détournant ainsi l’attention sur les ressources au détriment de l’autorisation?
  2. La requête en rejet sommaire concerne-t-elle une question qui sera de toute façon examinée lors de l’audience sur l’autorisation?
  3. Le tribunal dispose-t-il de tous les éléments de preuve nécessaires pour statuer sur la requête en rejet sommaire?
  4. Est-il probable que la requête en rejet sommaire ne permette de régler que certaines des réclamations formulées contre une partie des défendeurs?
  5. Le traitement de la requête en rejet sommaire pourrait-il éliminer l’ensemble des réclamations formulées contre les défendeurs?
  6. Le demandeur a-t-il agi promptement pour demander l’autorisation de l’action collective?
  7. Est-il probable que le fait de fixer la date de l’audience pour la requête en rejet sommaire après la date de l’audience sur l’autorisation augmentera davantage l’efficacité judiciaire dans les circonstances?

La juge de gestion d’instance a noté que, bien que les demandes d’autorisation soient souvent entendues en premier, il n’existe pas de règle de démarcation très nette (soit une règle ou une norme clairement définie) à cet effet. En fait, les juges responsables de la gestion des instances disposent d’un pouvoir discrétionnaire leur permettant d’entendre d’abord les requêtes dispositives si le fait de procéder ainsi peut mettre rapidement fin à un litige non fondé. Après avoir examiné les facteurs susmentionnés, notamment a) le fait que la requête en rejet sommaire pourrait entraîner le rejet de l’ensemble des réclamations formulées par le demandeur et b) le fait que le demandeur ait tardé à présenter la demande d’autorisation, la juge de gestion d’instance a déterminé que les requêtes en rejet sommaire présentées par WestJet et Air Canada seraient entendues en premier. 

Appel

Le 13 décembre 2023, la Cour a reconnu que, historiquement, les demandes d’autorisation ont généralement été entendues en premier dans le cadre d’une éventuelle action collective. Toutefois, elle a noté que cette approche n’est pas « coulée dans le béton » et que, dans des circonstances appropriées, il peut être prudent de rendre une décision préliminaire avant l’étape de l’autorisation. Selon la Cour, ce serait particulièrement le cas lorsqu’une décision préliminaire a) est manifestement avantageuse pour toutes les parties, b) augmente l’efficacité judiciaire en restreignant les questions en litige, c) est urgente ou d) est nécessaire pour assurer le déroulement équitable d’une instance.

La Cour a fait remarquer que les cours d’appel d’autres ressorts canadiens ont elles aussi adopté une approche discrétionnaire quant à l’ordre dans lequel peut être entendue une requête dispositive par rapport à une demande d’autorisation d’action collective. À cet égard, la Cour a souligné que les cours d’appel de la Colombie-Britannique (British Columbia v. The Jean Coutu Group (PJC) Inc.) et de l’Alberta (Ravvin v. Canada Bread Company) sont allées jusqu’à rejeter catégoriquement la présomption selon laquelle une demande d’autorisation doit être la première question de procédure à être tranchée.

La Cour a noté que, bien qu’une requête en rejet sommaire ne convienne pas parfaitement dans un contexte d’action collective, un tribunal conserve néanmoins le pouvoir discrétionnaire d’entendre et de trancher toute autre requête qui est présentée en lien avec une éventuelle action collective avant l’étape de l’autorisation, y compris une requête qui porterait sur le bien-fondé des réclamations formulées. En s’appuyant sur une décision antérieure de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, la Cour a précisé que la question n’est pas de savoir si le tribunal a le pouvoir discrétionnaire d’entendre de telles requêtes, parce qu’il en a effectivement le pouvoir, mais plutôt de savoir s’il devrait le faire dans une situation particulière.

Enfin, la Cour a confirmé la décision de la juge de gestion d’instance, convenant que celle-ci avait focalisé son attention sur des questions d’efficacité, d’économie judiciaire et de délais, ainsi que sur la question de savoir s’il valait la peine de prendre le risque d’utiliser de façon inconséquente le temps de la cour et des parties si les requêtes de WestJet et d’Air Canada allaient être rejetées au bout du compte (la Cour ayant par ailleurs repris textuellement cette dernière question dans la décision de la juge de gestion d’instance pour en accentuer l’importance).

Principaux points à retenir

Plusieurs points ressortent de la décision de la Cour sur le l’établissement de l’ordre des requêtes :

  • l’approche discrétionnaire pour ce qui est d’établir l’ordre selon lequel les requêtes seront entendues dans une affaire donnée demeure celle privilégiée dans plusieurs provinces, dont la Saskatchewan, la Colombie-Britannique et l’Alberta;
  • conformément à l’approche discrétionnaire susmentionnée, les juges responsables de la gestion des instances disposent d’un pouvoir discrétionnaire pour établir l’ordre dans lequel les requêtes dispositives seront entendues dans certaines circonstances appropriées, que ce soit avant, après ou en même temps que l’étape de l’autorisation;
  • à court terme, les différends que peut susciter l’ordre dans lequel les requêtes devraient être entendues peuvent allonger et compliquer les procédures entourant une éventuelle action collective; toutefois, la possibilité que cela permettra d’éviter une demande d’autorisation coûteuse et inutile constitue un avantage à long terme qu’il convient de considérer;
  • certaines provinces, notamment l’Ontario, ont une loi statuant que les requêtes susceptibles de régler une instance en totalité ou en partie, ou de limiter les questions en litige à décider, doivent être entendues avant l’autorisation, à moins que le tribunal n’en ordonne autrement. Certes, cette disposition législative permet d’éviter les coûts associés, et le temps alloué, à la tenue d’une audience visant à établir l’ordre des requêtes dans le cadre d’une instance; cela dit, le temps nous dira si cette approche conduit à un processus judiciaire plus équitable ou plus efficace par rapport à l’approche discrétionnaire.

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