La Cour fédérale (la « Cour ») a récemment annulé la directive d’une inspectrice d’Environnement et Changement climatique Canada (l’« inspectrice ») donnée en vertu de la Loi sur les pêches (la « directive ») qui désignait la société ainsi que son président et ses directeurs de l’environnement présents sur les lieux en lien avec des allégations de rejet de substances nocives dans des eaux où vivent des poissons.
Bien que la question ait finalement été renvoyée à l’inspectrice pour que celle-ci rende une nouvelle décision, l’affaire Terrapure BR Ltd. c. Canada (Procureur général) (l’« affaire Terrapure ») souligne le risque pour les dirigeants et les directeurs des opérations d’une société d’être personnellement désignés dans une directive exigeant des mesures correctives immédiates et imposant des obligations de conformité directes à ces personnes. Pour en savoir davantage sur la culpabilité d’une personne relativement à des infractions environnementales, consultez le Bulletin Blakes d’août 2023 intitulé Le haut dirigeant d’une société minière trouvé coupable d’infractions environnementales.
De plus, cette décision confirme que la directive de l’inspectrice doit être fondée sur une interprétation raisonnable de ce qui constitue une « substance nocive » et que les mesures correctives, y compris les exigences de suivi, doivent être raisonnables. Une exigence qui oblige une entreprise à cesser ses activités en attendant les résultats d’échantillonnage est déraisonnable.
LA DIRECTIVE : CONTEXTE ET CONCLUSIONS
Terrapure BR Ltd. (« Terrapure Ltd. ») exploite un établissement de recyclage de batteries au plomb-acide dont les eaux usées traitées sont évacuées dans le réseau d’égout pluvial municipal qui se déverse dans la Voie maritime du Saint-Laurent. L’inspectrice a conclu avoir des motifs raisonnables de croire que Terrapure Ltd. déversait des substances nocives, y compris du sulfate, dans des eaux où vivent des poissons et a donné la directive à la société et à certains employés. Aux termes de cette directive, ils devaient :
- cesser le rejet immédiat de l’effluent;
- prendre toutes les mesures nécessaires afin de se conformer à la Loi sur les pêches;
- élaborer un plan d’action;
- suivre l’effluent final au moyen d’essais de toxicité hebdomadaires;
- mettre en œuvre les mesures proposées par la société dans le plan d’action.
La société et les personnes visées ont contesté la directive en demandant un contrôle judiciaire.
LA DÉCISION DE LA COUR SUR LA DIRECTIVE
Dans l’affaire Terrapure, la Cour a annulé la directive et l’a renvoyée à l’inspectrice pour qu’elle rende une nouvelle décision. La Cour a conclu que la directive était déraisonnable parce que l’inspectrice avait adopté une interprétation trop large de « substance nocive » et imposé des exigences de suivi si lourdes que la société aurait dû cesser ses activités en attendant les résultats des essais.
Bien que la Loi sur les pêches définisse largement l’expression « substance nocive », la Cour a statué que l’interprétation de la définition doit être raisonnable. De plus, les exigences de suivi ou les mesures correctives imposées à une société du fait qu’elle a violé la Loi sur les pêches, énoncées dans une directive, doivent être raisonnables et conformes au cadre législatif applicable.
La Cour a conclu que l’interprétation de l’inspectrice et les exigences de suivi étaient déraisonnables pour les raisons suivantes :
- Le raisonnement de l’inspectrice quant à la raison pour laquelle l’effluent rejeté contenait une « substance nocive », en particulier du sulfate, était incompatible avec les régimes législatifs ou les preuves applicables et n’était pas suffisamment justifié par ceux-ci.
- Les exigences de suivi de la directive étaient trop lourdes et imposaient la « norme de l’absence totale de rejet » à Terrapure Ltd. Pour que cette norme soit maintenue, il aurait fallu que la société cesse ses activités, notamment le rejet de tous les effluents, ce qui dans les faits aurait entraîné la fermeture de l’établissement pendant une période prolongée.
- La directive contenait une séquence et un calendrier illogiques concernant les essais sur la truite arc-en-ciel, et il n’était pas nécessaire de prélever les échantillons en même temps.
Ces erreurs étaient suffisamment importantes pour rendre la directive déraisonnable.
Il convient de noter que la désignation des personnes par l’inspectrice ne constituait pas un problème pour la Cour. Le paragraphe 38(7.1) de la Loi sur les pêches permet aux inspecteurs de donner des directives exigeant des mesures correctives, et ils ont le pouvoir de donner ces directives à toute personne qui est responsable, à titre de propriétaire ou autrement, de l’activité ou qui est à l’origine de l’événement ou y contribue.
Terrapure Ltd. a contesté l’interprétation de ce paragraphe par l’inspectrice, mais la Cour n’était pas d’accord avec sa position. La Cour a plutôt précisé que des personnes peuvent être désignées lorsque leurs responsabilités, leur poste au sein de la société et leur pouvoir en font des destinataires appropriés. La Cour a conclu qu’il était raisonnable que l’inspectrice désigne dans la directive le président et la directrice de l’environnement de la société présente sur les lieux, compte tenu de leurs fonctions en matière de conformité environnementale, de leur pouvoir général afin de veiller au respect de la Loi sur les pêches et de leur présence sur les lieux.
Par conséquent, la Cour a rejeté entièrement l’argument de la société selon lequel le fait de désigner des personnes dans la directive était déraisonnable.
LEÇONS TIRÉES
L’affaire Terrapure met en lumière plusieurs points clés pour les sociétés et les personnes qui peuvent être assujetties à une directive des inspecteurs ou qui sont susceptibles de l’être, notamment les suivants :
- L’évaluation qui mène à désigner une substance comme étant « nocive » doit être motivée, logique et fondée sur des éléments de preuve. Les organismes de réglementation doivent fournir un raisonnement clair lorsqu’ils définissent la nocivité, en particulier dans les situations où la toxicité dépend de la concentration.
- Les exigences de suivi doivent être réalistes sur le plan opérationnel. Lorsqu’elles sont appliquées dans la pratique, les directives qui obligent une société à cesser ses activités dans l’attente d’un échantillonnage environnemental, en particulier lorsque des essais ultérieurs pourraient donner des résultats conformes, risquent d’être invalidées du fait qu’elles sont déraisonnables.
- Bien que ce soit rare et inhabituel, il ressort de cette décision que les sociétés peuvent s’attendre à ce que des membres du personnel soient désignés dans des directives d’inspecteurs lorsque leurs fonctions, leur pouvoir et leur présence le justifient. En outre, il n’est pas nécessaire que tous ces éléments soient réunis pour qu’une personne soit désignée; dans le cas qui nous occupe, l’une des personnes désignées, à savoir le président, ne participait pas directement aux activités sur les lieux ou aux activités liées à la conformité environnementale.
Pour en savoir davantage, communiquez avec l’un des auteurs du présent bulletin ou un autre membre de nos groupes Environnement ou Litige et règlement des différends.
Ressources connexes
Les communications de Blakes et de Classes affaires de Blakes sont publiées à titre informatif uniquement et ne constituent pas un avis juridique ni une opinion sur un quelconque sujet. Nous serons heureux de vous fournir d’autres renseignements ou des conseils sur des situations particulières si vous le souhaitez.
Pour obtenir l'autorisation de reproduire les articles, veuillez communiquer avec le service Marketing et relations avec les clients de Blakes par courriel à l'adresse [email protected].
© 2025 Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l.