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Changement d’approche envers les investissements étrangers dans le contexte de la COVID-19

5 juin 2020
Balado disponible en anglais avec retranscription en français ci-dessous. 

Les choses ne sont toujours pas comme avant pour les investisseurs étrangers qui cherchent à acquérir des sociétés canadiennes. Vu l’importance des enjeux, nous avons demandé à Julie Soloway et à Navin Joneja de faire le point sur la situation actuelle dans ce secteur et sur ce à quoi il faut s’attendre.

Retranscription

Mathieu : Bonjour, je m’appelle Mathieu Rompré.

Peggy : Et je m’appelle Peggy Moss. Vous écoutez l’épisode 7 du balado Continuité de Blakes.

Mathieu : Notre discussion d’aujourd’hui portera sur la concurrence et les investissements étrangers au Canada.

Peggy : Nous allons examiner les répercussions de la pandémie sur les sociétés qui cherchent à investir au Canada et la façon dont les organismes de réglementation réagissent dans ce contexte particulier.

Mathieu : Il y a tellement de choses à dire sur le sujet. En ce moment, ça passe ou ça casse, je dirais, pour les sociétés, qu’elles soient étrangères ou canadiennes. Mais regardons la situation de plus près.

Peggy: Souhaitons d’abord bienvenue à Julie Soloway et à Navin Joneja, tous les deux associés ainsi que membres du groupe Concurrence, antitrust et investissement étranger.

Mathieu : Julie, le gouvernement canadien a récemment publié un énoncé de politique au sujet de l’application de la Loi sur Investissement Canada pendant la pandémie. Pouvez-vous nous dire quels sont les principaux éléments de cet énoncé de politique?

Julie : Merci, Mathieu. En fait, le 18 avril, le gouvernement canadien a avisé les sociétés étrangères qu’il resserrait le contrôle exercé sur certaines opérations. Les investissements dans des sociétés liées à la santé publique ou à la fourniture de biens et de services essentiels, par exemple, feront l’objet d’un examen plus approfondi sous le régime de la Loi sur Investissement Canada. Nous nous attendons à ce que cette décision ratisse assez large et s’étende aux investissements dans les secteurs de l’énergie, des services publics, des technologies de l’information, des télécommunications, de l’alimentation, de l’eau, des transports et peut-être bien d’autres.

Le gouvernement a également annoncé qu’il allait surveiller de près les sociétés d’État et les investisseurs ayant des liens étroits avec des États étrangers. Il craint que la situation actuelle conduise à des comportements opportunistes en matière d’investissement; c’est-à-dire qu’il s’inquiète de la possibilité que, pendant la pandémie, alors que l’évaluation de certaines sociétés canadiennes a chuté, des sociétés étrangères puissent en profiter pour essayer d’acquérir des sociétés sous les seuils d’examen fixés. C’est pourquoi le gouvernement recommande que les investisseurs étrangers déposent des avis d’investissement au moins 45 jours avant la clôture de leur opération dans le but d’atténuer le risque que celle-ci fasse l’objet d’un examen après la clôture. Il serait sage que les investisseurs, dès le début du processus, se préparent à la possibilité que l’opération qu’ils envisagent soulève des préoccupations relatives à la sécurité nationale et, dans l’éventualité où il serait considéré qu’elle comporte réellement des risques, ceux-ci devraient établir une stratégie proactive pour répondre à ces éventuelles préoccupations.

Peggy : Navin, pourriez-vous nous donner une idée de l’impact que cela aura sur les délais d’approbation?

Navin : Comme Julie l’a mentionné, le principal impact de cet énoncé de politique sera probablement une augmentation du nombre d’avis d’investissement déposés avant la clôture et une hausse des interactions avec le gouvernement précédant ces dépôts, par rapport au nombre d’avis déposés suivant les clôtures. En gros, en vertu de la Loi sur Investissement Canada, après le dépôt d’un avis d’investissement, le gouvernement a 45 jours pour dire à l’investisseur s’il va ou non entreprendre un processus d’examen relatif à la sécurité nationale. Auparavant, il n’était pas rare que ces avis soient déposés après la clôture de l’opération, principalement parce que la probabilité qu’un examen relatif à la sécurité nationale soit tenu était assez rare, et facile à prévoir, de sorte que les avis étaient déposés avant la clôture seulement dans des circonstances extrêmes. Toutefois, à la suite de cette annonce, et comme les examens relatifs à la sécurité nationale deviennent de plus en plus fréquents et importants, les investisseurs ont maintenant tendance à déposer des avis avant la clôture de leur opération. De cette manière, ils n’ont qu’à attendre la fin de la période de 45 jours pour avoir la certitude que leur investissement ne fera pas l’objet d’un examen relatif à la sécurité nationale ou, si leur investissement devait faire l’objet d’un examen relatif à la sécurité nationale, ils peuvent ainsi gérer la situation avant de réaliser l’opération en question. Un autre fait intéressant est que le gouvernement propose d’adopter une loi qui permettrait de prolonger les délais pour les examens relatifs à la sécurité nationale. L’une des principales conséquences de ce projet de loi est que la période d’attente de 45 jours dont se servent les parties pour s’assurer que leur investissement ne sera pas soumis à un examen relatif à la sécurité nationale pourrait également être prolongée. Donc, si ce projet de loi est adopté, il ajoutera à l’incertitude, et cela rejoint ce que disait Julie à propos du fait que les parties devraient envisager divers scénarios dans la convention d’opération dès le début du processus de planification, et se préparer notamment à la possibilité que leur investissement fasse l’objet d’un examen relatif à la sécurité nationale.

Mathieu : Julie, revenons à vous, pourquoi apporter de tels changements? On a un peu l’impression que le gouvernement fédéral a fait cette annonce pour faire croire qu’il maîtrise la situation. Est-ce seulement de la poudre aux yeux?

Julie : Non, je ne crois pas que ce soit seulement une façade. Les partis de l’opposition tant à l’échelle internationale que nationale déploient des efforts pour mettre ces questions au premier plan. Si on regarde seulement ailleurs dans le monde, on constate que les annonces qui sont faites, les changements apportés et tout ce dont nous avons discuté précédemment, cadrent avec les mesures prises partout sur la planète. Par exemple, en Australie, des modifications temporaires ont été apportées au régime d’examen des investissements étrangers dans le but de permettre au gouvernement d’examiner un plus grand nombre d’opérations, peu importe la taille, et de faire passer le délai de 30 jours à six mois. L’Union européenne a quant à elle publié une mise à jour des lignes directrices visant les investissements effectués en Europe exhortant les États membres à prendre des mesures pour protéger les sociétés et les actifs essentiels dans les secteurs d’activités liés à la santé, en particulier les EPI, affirmant qu’il est impératif de protéger ces sociétés d’éventuelles acquisitions par des sociétés étrangères. La France, l’Allemagne et les Pays-Bas ont tous pris des mesures en conséquence. La politique de concurrence de l’Union européenne pointe du doigt la Chine en tant que région plus susceptible d’essayer de réaliser des opérations visant à acquérir des sociétés sous-évaluées en Europe, et les pays devraient encourager les investisseurs, les investisseurs européens, à lutter contre ces tentatives. Les États-Unis, bien qu’il n’y ait pas eu de changements juridiques officiels, ont également resserré la surveillance des investissements étrangers. Au Canada, en plus de ce dont Navin et moi avons déjà discuté, le Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie a récemment adopté une motion en vue de mener une étude sur la Loi sur Investissement Canada, qui serait réalisée durant le mois de juin. L’objectif du Comité est de formuler des recommandations au gouvernement concernant le caractère approprié des seuils actuels, compte tenu de la sous-évaluation de nombreuses sociétés partout au pays, et éventuellement recommander des mesures temporaires sur les investissements par les sociétés d’État de pays autoritaires. Il est évident que les initiatives prises visent à contrecarrer les plans d’investisseurs opportunistes qui pourraient vouloir profiter de la crise. Ces efforts sont en grande partie attribuables à la fougue des partis de l’opposition au Parlement. Ce sujet soulève en effet les passions là-bas.

Peggy : Quelles sont les conséquences pour les sociétés étrangères qui cherchent à acquérir des sociétés canadiennes?

Navin : Ces développements entraînent des considérations importantes que doivent prendre en compte les investisseurs étrangers et les sociétés canadiennes dans leurs projets de fusion ou d’acquisition. Sur le plan pratique, je crois que ces considérations peuvent être divisées en deux grandes catégories. D’abord, les parties à une opération doivent comprendre que les derniers développements élargissent considérablement les enjeux susceptibles de donner lieu à un examen en vertu de la Loi sur Investissement Canada et d’autres dispositions relatives à la sécurité nationale, particulièrement, ou encore les questions liées à ces enjeux. Il ne s’agit plus de prêter attention aux secteurs que l’on estime naturellement liés à la sécurité nationale, comme du matériel de défense ou des technologies extrêmement sensibles, etc. Les parties doivent prendre conscience que d’autres secteurs, comme les infrastructures essentielles, sont désormais également surveillés de plus près. À la suite de l’annonce dont a parlé Julie, les secteurs liés à la santé publique ainsi que, sans aucun doute, les sociétés touchées par les mesures prises en raison de la COVID devraient aussi réfléchir à la possibilité que leurs investissements fassent l’objet d’un examen en vertu de la Loi sur Investissement Canada. Cette réflexion et la planification qui en découle sont certainement des conséquences pratiques de ces annonces.

Ensuite, et nous souhaitons insister sur cette considération pratique, les parties doivent commencer à réfléchir à ces questions dès le début de la planification d’une opération. De cette façon, elles pourront faire une évaluation appropriée de la situation, gérer adéquatement certains enjeux, notamment atténuer le risque qu’un examen relatif à la sécurité nationale soit effectué, rédiger les conventions d’opérations et prévoir les retards possibles en raison de l’application de la Loi sur Investissement Canada, puis réfléchir à comment cela pourrait compromettre l’échéancier de l’opération envisagée. Heureusement, une planification précoce permet de se préparer à divers scénarios et de limiter les mauvaises surprises par la suite. Alors voilà, ce sont les deux grandes considérations d’ordre pratique que soulèvent selon moi les nouveaux développements en ce qui concerne la Loi sur Investissement Canada.

Peggy : Merci, Julie et Navin, d’avoir pris le temps de nous parler aujourd’hui. Vous nous avez aidés à y voir plus clair sur ce sujet compliqué.

Mathieu : Chers auditeurs, pour en savoir davantage sur ce sujet ou sur d’autres questions juridiques liées à la pandémie ou encore sur la manière dont nous nous sortons de cette crise avec succès, veuillez consulter notre site Web.

Peggy : D’ici la prochaine fois, prenez soin de vous et restez en sécurité.

À propos du balado Volume d’affaires de Blakes

Notre balado Volume d’affaires (anciennement Continuité) se penche sur les répercussions que peut avoir l’évolution du cadre juridique canadien sur les entreprises, et ce, dans notre réalité « post-COVID-19 » et dans l’avenir. Des avocates et avocats de tous nos bureaux discutent des défis, des risques, des occasions, des développements juridiques et des politiques gouvernementales dont vous devriez avoir connaissance. Nous abordons par ailleurs divers sujets qui vous importent et qui sont liés à la responsabilité sociale, comme la diversité et l’inclusion.

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