Contrairement à la tendance axée sur les employés qui se dégage de la jurisprudence pour ce qui est de l’interprétation des contrats d’emploi et des ententes de rémunération, les tribunaux canadiens ont récemment rendu un certain nombre de décisions favorables aux employeurs.
Dans le présent bulletin, nous aborderons cinq décisions récentes qui pourraient marquer un tournant dans la jurisprudence liée au droit du travail.
Bertsch v. Datastealth Inc.
Dans la décision Bertsch v. Datastealth Inc., la Cour d’appel de l’Ontario (la « CAO ») a confirmé qu’une clause de congédiement limitant les indemnisations aux montants minimums prévus dans la législation sur les normes du travail s’appliquait si elle était conforme à la loi selon une interprétation raisonnable.
Dans la requête initiale, le juge a conclu que la clause de congédiement était claire, sans ambiguïté et exécutoire, excluant tout droit à des dommages-intérêts pour congédiement injustifié en common law. En expliquant sa décision, le juge a mentionné qu’aucune interprétation raisonnable ne permettrait d’en venir à la conclusion que la clause de congédiement ne respectait pas la législation sur les normes du travail.
En appel, l’appelant a fait valoir que, même si une personne formée en droit considérerait possiblement que la clause n’était pas ambiguë, une personne ordinaire pourrait être perplexe devant la clause en question. Par conséquent, il était d’avis que la clause n’était pas exécutoire et devait être écartée.
La CAO n’a pas souscrit aux arguments de l’appelant, ajoutant que [TRADUCTION] « dans cette affaire, le contrat n’utilise pas un jargon juridique susceptible de confondre une personne ne connaissant pas le droit ». La CAO a également confirmé que [TRADUCTION] « la question n’est pas de savoir si une personne ordinaire pourrait interpréter de façon incorrecte la clause de congédiement du contrat d’emploi, mais plutôt de savoir comment le contrat peut être interprété de manière raisonnable ».
La CAO a conclu que, lorsqu’elle était interprétée de manière raisonnable, la clause de congédiement en question n’était pas ambiguë et respectait les normes minimales garanties par la législation sur les normes du travail. Par conséquent, la clause de congédiement était exécutoire et ne donnait pas droit à des dommages-intérêts pour congédiement injustifié.
Li v. Wayfair Canada Inc.
Dans l’affaire Li v. Wayfair Canada Inc. (l’« affaire Li »), la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « CSJO ») a maintenu une clause de congédiement permettant à un employeur de congédier un employé « à tout moment » (at any time).
La CSJO a souligné que la clause de congédiement visait à limiter les droits de l’employé au seuil requis en vertu de la législation sur les normes de travail, et non d’utiliser le contrat pour s’en dégager. Même si la clause comprenait les mots « à tout moment », elle renvoyait également expressément aux normes du travail et prévoyait que l’employé conservait tous ses droits en vertu de la législation.
Une distinction a donc été établie par rapport à la disposition remise en question dans l’affaire Dufault v. The Corporation of the Township of Ignace (l’« arrêt Dufault »). En effet, dans l’arrêt Dufault, il est noté que la définition de l’expression « motif valable » (cause) ne renvoyait pas à la législation sur les normes du travail, et que la disposition sur les congédiements « sans motif valable » (without cause) n’accordait pas tous les droits prévus au minimum dans la législation. Or, ce n’était pas le cas dans l’affaire Li.
Après examen du contrat de travail dans son ensemble, la CSJO a conclu que ce dernier respectait les normes du travail et que la clause de congédiement s’appliquait.
Jones v. Strides Toronto
Dans l’affaire Jones v. Strides Toronto (l’« affaire Jones »), la CSJO a confirmé une nouvelle fois que le fait de mentionner dans une clause qu’un congédiement peut survenir « à tout moment » n’invalide pas automatiquement la clause en question.
Le défendeur a fait valoir que les mots « à tout moment » n’avaient pas été considérés comme problématiques en soi dans l’arrêt Dufault. C’était plutôt le fait qu’ils étaient combinés à la mention selon laquelle l’employeur pouvait mettre fin à l’emploi « à son entière discrétion » (sole discretion) qui avait rendu la clause de congédiement invalide, puisque les normes du travail exigent du discernement dans certains cas.
La CSJO a souscrit à l’argument du défendeur et a confirmé que les mots « à tout moment » sans les mots « à son entière discrétion » ne violaient pas les normes du travail et ne faisaient pas en sorte que la clause de congédiement devenait inexécutoire.
Wigdor v. Facebook Canada Ltd.
Dans l’affaire Wigdor v. Facebook Canada Ltd., la CSJO a maintenu des conventions d’attribution d’unités d’actions incessibles (« UAI ») prévoyant la déchéance des UAI non acquises d’un employé pendant la période de préavis prévue dans la loi.
La juge a souligné que, en vertu de la législation ontarienne sur les normes du travail, l’employeur peut licencier un employé en lui versant un salaire au lieu d’un préavis (fondé sur le salaire normal de ce dernier) et en continuant de verser des cotisations au régime d’avantages sociaux pour le compte de celui-ci pendant la période prévue par la loi.
Or, la juge a confirmé que les UAI ne constituent ni un salaire ni des avantages sociaux au sens de la loi. Par conséquent, la disposition prévoyant la déchéance des UAI pendant la période de préavis n’allait pas à l’encontre de la législation, et pouvait s’appliquer.
Elle a par ailleurs précisé que les droits de l’employé concerné relativement aux UAI étaient régis par une entente distincte du contrat d’emploi et qu’ils ne faisaient pas partie des indemnités pouvant être touchées par cet employé aux termes de ce contrat, des normes du travail ou de la common law.
Aspen Technology, Inc. v. Wiederhold
Dans l’arrêt Aspen Technology, Inc. v. Wiederhold (l’« affaire Wiederhold »), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « CACB ») a maintenu une clause d’arbitrage prévue à un régime incitatif d’employé. Aux termes de ce régime, l’arbitrage devait se faire à Boston et était régi par la législation du Delaware.
Le tribunal inférieur a déclaré que la clause d’arbitrage était invalide pour les raisons suivantes : 1) la clause d’arbitrage modifiait les conditions d’emploi sans qu’elles soient étudiées de nouveau; 2) la clause d’arbitrage ainsi que la législation et le tribunal choisis, vont à l’encontre des normes du travail et de l’ordre public; et 3) le coût de l’arbitrage serait disproportionné par rapport au coût de la réclamation.
Cependant, la CACB a exprimé son désaccord et a maintenu la clause d’arbitrage pour les raisons suivantes :
- La clause d’arbitrage ne constitue pas une modification du contrat d’emploi exigeant une nouvelle étude. Elle se trouvait dans le régime incitatif au moment de l’embauche de l’employé, lequel régime était mentionné dans l’offre d’emploi.
- La preuve était insuffisante pour appuyer l’argument selon lequel l’application de la législation du Delaware était contraire à l’ordre public et privait l’employé des avantages obligatoires en vertu de la législation de la Colombie-Britannique sur les normes du travail.
- Le tribunal inférieur n’a pas constaté d’iniquité. La CACB a établi une distinction entre la présente affaire et la clause d’arbitrage visée dans l’affaire Uber Technologies Inc. c. Heller, et a conclu qu’il n’y avait pas de preuve que la clause était inique dans l’affaire Wiederhold.
Ces cinq décisions donnent à penser qu’une nouvelle tendance en droit de l’emploi se dessine au Canada. En effet, les tribunaux sont davantage disposés à maintenir les contrats de travail et convention de rémunération bien rédigés. Cependant, compte tenu de l’évolution rapide des lois dans ce domaine, il est prudent d’examiner régulièrement les modèles de contrat d’emploi et conventions de rémunération et de les rafraîchir en concertation avec des conseillers juridiques.
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