L’arrêt récemment rendu par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Terrassement St-Louis Inc. c. Hydro-Québec illustre certaines tensions qui peuvent exister entre, d’une part, les principes de liberté contractuelle et le respect de l’autonomie des parties et, d’autre part, la justice procédurale. En reconnaissant le caractère abusif d’une clause d’arbitrage rigide et onéreuse, la Cour d’appel réitère que l’efficacité procédurale ne peut primer sur le droit fondamental d’une partie à faire valoir ses prétentions devant une instance accessible et équitable. Cette décision soulève des considérations importantes dans la rédaction de contrats d’adhésion, notamment dans le cadre des marchés publics, dont la nécessité d’adapter les mécanismes de règlement des différends aux réalités économiques des cocontractants.
Dans cette affaire, Terrassement St-Louis inc. réclamait la somme de 253 128 $ à la société d’État appelante en vertu d’un contrat pour des travaux environnementaux octroyé suivant un processus d’appel d’offres public.
La position de la Cour d’appel
La Cour d’appel souligne que, dans le cadre d’un appel d’offres public, les conditions contractuelles essentielles, lesquelles incluent les clauses relatives à l’arbitrage et au choix du tribunal compétent, sont imposées unilatéralement par le donneur d’ouvrage, sans réelle possibilité de négociation par le soumissionnaire. Selon la Cour, c’est précisément cette absence de marge de manœuvre qui confère au contrat la qualification de contrat d’adhésion au sens de l’article 1379 du Code civil du Québec. La clause d’arbitrage en question est la suivante :
18.7.1 Clause d’arbitrage
Les parties conviennent que tout désaccord, différend ou toute réclamation relative au présent contrat ou découlant directement ou indirectement de son interprétation ou de son application sera tranché de façon définitive et exclusive par voie d’arbitrage, et à l’exclusion des tribunaux, selon les lois du Québec. À moins que les parties n’en décident autrement dans une convention d’arbitrage, l’arbitrage se déroulera sous l’égide de trois arbitres, sera confidentiel et sera conduit en français, à Montréal, conformément aux règles de droit et aux dispositions du Code de procédure civile du Québec en vigueur au moment de ce différend. La sentence arbitrale sera finale, exécutoire et sans appel et liera les parties.
La Cour constate que la clause s’applique uniformément, sans tenir compte du montant de la réclamation. Peu importe l’importance du litige, la procédure impose un arbitrage devant trois arbitres siégeant à Montréal, ce qui engendre des frais considérables. Pour Terrassement St-Louis inc., de tels coûts auraient pour effet de réduire à néant sa réclamation. S’appuyant sur le raisonnement de la juge de première instance, la Cour conclut que l’exigence d’un arbitrage de cette nature est démesurée et inappropriée dans un contexte où la somme en litige demeure relativement modeste. En d’autres termes, l’imposition d’un arbitrage obligatoire devant trois arbitres, à Montréal, mettrait l’intimée dans une situation si désavantageuse qu’elle aurait pour effet de forcer son désistement, la privant ainsi d’accès à la justice.
Ce faisant, la Cour d’appel est d’avis que la clause d’arbitrage avantage l’appelante Hydro-Québec de manière déraisonnable et prive l’intimée de son droit de faire adjuger sa réclamation.
La Cour d’appel relève également l’absence de mécanisme pour moduler la composition du tribunal arbitral selon le montant de la réclamation. De même, elle note que la clause d’arbitrage ne prévoit pas de procédure d’arbitrage accélérée ou simplifiée applicable selon la valeur du différend, ce qui, ensemble, participe au caractère abusif de la clause d’arbitrage.
En bref, dans l’arrêt Terrassement St-Louis Inc. c. Hydro-Québec, la Cour d’appel réitère l’importance de rédiger des clauses d’arbitrage suffisamment flexibles pour permettre de moduler l’arbitrage en fonction des caractéristiques propres à chaque différend, notamment la somme en jeu et les moyens des parties. Une clause d’arbitrage dont l’effet pratique est de restreindre l’accès à la justice d’un cocontractant pourrait être considérée comme abusive.
Un rappel de principes : flexibilité et proportionnalité
La Cour rappelle que l’examen du caractère abusif d’une clause contractuelle doit être réalisé à la lumière du contexte applicable, en tenant compte de la situation particulière du cocontractant et des conséquences pratiques de l’application de la clause.
Elle insiste sur la nécessité, pour les rédacteurs de contrats susceptibles d’être qualifiés de contrats d’adhésion, de prévoir des clauses d’arbitrage souples et proportionnées, n’ayant pas pour effet de restreindre l’accès effectif à la justice, et permettant par exemple :
- de réduire le nombre d’arbitres selon la valeur de la réclamation;
- de recourir à des procédures simplifiées ou accélérées; ou
- d’adapter le processus aux moyens réels des parties.
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