Le 20 mai 2025, la Commission d’accès à l’information du Québec (la « CAI ») a rendu une décision concernant l’utilisation par une société de livraison, 13859380 Canada Inc. (faisant affaire sous le nom Crane Supply) (la « société »), d’un système de vidéosurveillance dans ses véhicules de livraison (le « système »). La CAI a conclu que la société n’avait pas suffisamment minimisé la collecte de renseignements personnels au moyen du système et lui a ordonné de prendre des mesures pour rendre son utilisation du système conforme à la législation québécoise en matière de protection des renseignements personnels dans le secteur privé.
Contexte
La société est un distributeur-grossiste de produits destinés au secteur de la construction qui exerce ses activités à l’échelle du Canada. Son parc de véhicules comprend des véhicules lourds (soit des véhicules à plateau de trois, cinq et dix tonnes), ainsi que des camionnettes. La société a installé le système dans tous ses véhicules afin de collecter des images de l’intérieur et de l’extérieur de ces derniers; cependant, la décision de la CAI ne porte que sur le volet du système qui touche l’intérieur des cabines. Le système collectait des images du moment où le véhicule était mis en marche et jusqu’à 20 minutes après l’arrêt du moteur. Le système comportait des fonctionnalités pilotées par l’intelligence artificielle qui permettaient de détecter certains événements et de générer des rapports en lien avec ces derniers. Un rapport pouvait être généré, par exemple, si le chauffeur utilisait un téléphone portable alors que le véhicule se déplaçait, si le chauffeur fumait dans la cabine, si la vitesse du véhicule excédait de plus de 20 km/h la vitesse légale permise, ou s’il y avait une possible collision impliquant le véhicule.
À la suite de la réception d’une plainte, la CAI a mené une enquête sur l’utilisation du système par la société. Au terme de son enquête, la CAI a transmis à l’entreprise un préavis d’ordonnance. Dans ce préavis, la CAI a informé la société qu’elle ne s’opposait pas à l’utilisation par cette dernière du système à l’intérieur de ses véhicules lourds, puisque les objectifs poursuivis dans le cadre de cette utilisation sont importants, légitimes et réels. Cependant, elle avait l’intention d’ordonner à la société de cesser de collecter des images de l’intérieur de ses camionnettes en raison du fait que cette collecte ne comportait pas le caractère « réel » requis par la loi. La CAI a donné à la société l’occasion de présenter ses observations en réponse au préavis avant de rendre une décision définitive en l’espèce, laquelle décision a porté finalement sur l’utilisation du système à l’intérieur des véhicules lourds et des camionnettes.
Décision de la CAI
En vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (la « Loi »), une entreprise qui, en raison d’un intérêt sérieux et légitime, recueille des renseignements personnels doit, avant cette collecte, déterminer les fins de celle-ci et ne doit recueillir que les renseignements nécessaires aux fins déterminées avant la collecte. Pour justifier la nécessité d’une telle collecte, l’entreprise doit démontrer (i) le caractère légitime, réel et important des objectifs qu’elle poursuit dans le cadre de la collecte; et (ii) la proportionnalité de l’atteinte à la vie privée que constitue cette collecte en lien avec les objectifs poursuivis.
Caractère légitime, réel et important des objectifs poursuivis
Selon la société, l’utilisation du système avait pour fins d’assurer la sécurité des conducteurs et des biens de la société; de prévenir et de détecter les infractions au Code de sécurité routière du Québec; de défendre la société et ses conducteurs; de mener des enquêtes en cas d’incident/accident; et de perfectionner la formation des conducteurs (les « fins »). La CAI a déterminé que les fins étaient légitimes, réelles et importantes, et ce, tant pour les véhicules lourds que pour les camionnettes.
La CAI a effectué une analyse approfondie du caractère « réel » des fins pour déterminer si ces dernières étaient liées à un événement particulier ou à une question spécifique qui justifiait la collecte de renseignements personnels. La CAI a souligné que, lorsqu’il s’agit de vidéosurveillance, l’objectif d’assurer la sécurité ne devait pas servir de manière générique et se devait d’être rattaché à des situations concrètes ou à des risques spécifiques. Dans le cadre de cette analyse, la CAI a passé en revue diverses décisions de nature similaire en droit du travail et d’emploi, lesquelles notaient que les véhicules lourds sont intrinsèquement plus dangereux. Elle a également pris en compte des études sur la fréquence et la gravité des accidents impliquant des véhicules lourds et des camionnettes, ainsi que des statistiques fournies par la société au sujet des événements impliquant ses camionnettes. En réexaminant ses conclusions dans le préavis d’ordonnance selon lesquelles les fins poursuivies par la société pour ses camionnettes ne comportaient pas le caractère « réel » requis par la Loi, la CAI a indiqué qu’il était « de connaissance générale » que le fait de conduire un véhicule sur le réseau routier comporte une probabilité avérée qu’un accident survienne. De plus, sur l’ensemble des éléments de preuve produits, la CAI a retenu que, lorsque survient un accident, les camionnettes comportent statistiquement plus de risque d’entrainer un accident grave ou mortel que d’autres véhicules de type promenade.
Proportionnalité de la collecte
Dans le cadre de son analyse de la proportionnalité entre la collecte des renseignements personnels et les fins, la CAI a déterminé que la société n’avait pas suffisamment minimisé l’atteinte à la vie privée que représente cette collecte. La CAI a exprimé son désaccord relativement à certains éléments clés de l’utilisation du système par la société. Premièrement, le système collectait des images en continu et les conservait pour une durée allant jusqu’à 14 jours. Selon la CAI, il était possible de parvenir aux fins en limitant la collecte des images à un nombre restreint de secondes avant et après un incident donné. Deuxièmement, le système collectait et conservait des images non seulement lorsque le véhicule était en marche, mais aussi jusqu’à 20 minutes après l’arrêt du moteur. Étant donné la probabilité que les conducteurs prennent des pauses occasionnelles dans leur véhicule, la CAI a déterminé que les chauffeurs étaient susceptibles d’être filmés durant des périodes qui ne constituent pas du temps de travail.
La CAI a également exprimé son désaccord relativement à certains éléments du processus décisionnel de la société. Elle a noté qu’il n’y avait aucune indication que la société avait évalué la possibilité d’utiliser d’autres systèmes ou des paramétrages moins intrusifs. Elle a également relevé des incohérences entre les politiques de la société et les observations faites par cette dernière en réponse au préavis d’ordonnance (notamment, des incohérences relativement au fait que, selon la société, les images collectées n’étaient consultées qu’en cas d’accidents ou d’incidents graves).
Points à retenir
Il s’agit de la deuxième décision que rend la CAI au cours des derniers mois au sujet de l’utilisation de technologie de vidéosurveillance. Le niveau de rigueur avec lequel la CAI a examiné les faits et la preuve en l’espèce témoignent du fait qu’elle s’attend à ce que les entreprises au Québec qui ont l’intention d’utiliser des systèmes pouvant porter atteinte à la vie privée, tels que des systèmes de vidéosurveillance, évaluent à l’avance et en profondeur les répercussions de ces systèmes sur la vie privée. La CAI s’attend aussi à ce que ces entreprises ne déploient de tels systèmes que si elles ont déterminé (et sont en mesure de démontrer) que l’utilisation de ces systèmes (i) se fonde sur des fins légitimes, réelles et importantes; et (ii) est proportionnelle à ces fins, notamment en veillant à ce que toute atteinte à la vie privée soit réduite au minimum nécessaire à ces fins. La CAI a également souligné que les fins doivent être déterminées à l’avance et qu’elles doivent être formulées de façon uniforme dans les politiques et autres communications de l’entreprise.
Les entreprises qui utilisent des méthodes plus intrusives de collecte de renseignements personnels, telles que la vidéosurveillance, devraient passer en revue attentivement leurs politiques et pratiques et s’assurer d’être en mesure de démontrer leur conformité à la législation québécoise en matière de protection de la vie privée. Ce processus comprend la réalisation d'évaluations détaillées des facteurs relatifs à la vie privée avant le déploiement de ces méthodes; de plus, les entreprises ne devraient aller de l’avant avec le déploiement de ces méthodes que si les résultats des évaluations confirment qu’il est approprié de le faire.
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