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Comportements et accords anticoncurrentiels : Le Bureau de la concurrence lance une consultation sur ses lignes directrices

18 novembre 2025

Principaux points à retenir

Bien qu’elles ne soient pas encore finalisées, les nouvelles lignes directrices que propose le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») quant aux comportements et accords anticoncurrentiels fournissent des indications précieuses sur la façon dont le Bureau abordera l’application des dispositions pertinentes de la Loi sur la concurrence (la « Loi »), notamment ce qui suit :

  • le Bureau semble vouloir adopter une approche plus simple et plus singulière lorsqu’il examinera un agissement aux termes des dispositions relatives aux comportements et accords anticoncurrentiels; il précise que les dispositions relatives à l’abus de position dominante seront celles sur lesquelles il s’appuiera principalement pour traiter les comportements unilatéraux;
  • le Bureau confirme qu’en l’absence d’autres facteurs, le seuil applicable à la part de marché pour conclure à un pouvoir de marché au titre des dispositions relatives à l’abus de position dominante demeure à 50 % dans le cas d’une entreprise individuelle et à 65 % dans le cas d’un groupe d’entreprise (dominance conjointe), le seuil étant réduit à 30 % au titre de toutes les autres dispositions;
  • les écosystèmes numériques et les grandes entreprises de technologie retiennent particulièrement l’attention du Bureau;
  • la combinaison de plusieurs lignes directrices antérieures distinctes peut entraîner des conséquences non voulues sur la façon dont les nouvelles lignes directrices proposées s’appliqueront aux comportements visés par un examen mené aux termes des dispositions pertinentes de la Loi;
  • les entreprises devraient examiner et mettre à jour leurs politiques de conformité actuelles afin de tenir compte des modifications apportées à la législation et à l’évaluation des risques auxquels elles s’exposent.

Aperçu

Le 31 octobre 2025, le Bureau a publié aux fins de consultation ses propositions de Lignes directrices en matière d’application de la loi quant aux comportements et accords anticoncurrentiels (les « nouvelles lignes directrices »), qui expliquent comment il entend appliquer les dispositions sur les comportements unilatéraux (art. 75 à 79) et celles sur les accords ou arrangements anticoncurrentiels (art. 90.1) de la Loi (les « dispositions sur les CAAC »).

Les nouvelles lignes directrices remplaceront les lignes directrices sur l’abus de position dominante (les « lignes directrices sur l’abus de position dominante »), les parties des lignes directrices sur la collaboration entre concurrents (les « lignes directrices sur la collaboration entre concurrents ») qui concernent le régime civil et les lignes directrices sur le maintien des prix (les « lignes directrices sur le maintien des prix »). Elles actualiseront par ailleurs les indications du Bureau à la lumière des modifications importantes apportées à la Loi de 2022 à 2024. La période de consultation prend fin le 29 janvier 2026.

Bien que les nouvelles lignes directrices visent des dispositions de la Loi en particulier, elles présentent d’abord l’approche générale du Bureau en ce qui a trait au pouvoir de marché, aux comportements anticoncurrentiels et leurs effets, ainsi qu’aux mesures correctives, vraisemblablement pour établir un point de départ commun officiel lors de l’examen d’un comportement susceptible de contrevenir à l’une ou l’autre des dispositions sur les CAAC. En s’appuyant sur cette approche, les nouvelles lignes directrices indiquent que les dispositions de la Loi relatives à l’abus de position dominante et aux accords ou arrangements anticoncurrentiels constituent les principales dispositions civiles en matière d’application de la loi. Les nouvelles lignes directrices traitent des comportements dans les écosystèmes numériques et présentent une approche plus sophistiquée à l’égard du pouvoir de marché. Bien qu’elles soient dans l’ensemble conformes aux lignes directrices antérieures du Bureau, il y a des écarts notables, comme il est expliqué ci-après.

Tendance notable – Attention particulière accordée à la technologie

Les nouvelles lignes directrices témoignent clairement d’un effort du Bureau d’intégrer au champ d’application de ces dernières les comportements dans les écosystèmes numériques et les comportements des grandes entreprises de technologie, notamment en :

  • introduisant les liens technologiques, la complémentarité et les effets de réseau entre les produits parmi les facteurs à prendre en considération au moment de déterminer un marché de produits;
  • ajoutant l’accès aux données comme exemple de barrière à l’entrée ou à l’expansion;
  • incluant « fabriquer des produits qui ne sont pas technologiquement compatibles avec ceux d’autres fournisseurs » comme exemple d’induction d’exclusivité.

Le Bureau ayant déjà exprimé le souhait de mener une enquête sur les grandes entreprises de technologie, ces derniers développements laissent supposer qu’il souhaite prendre des mesures pour assurer la conformité de ces entreprises à la Loi.

Pouvoir de marché

Le concept de pouvoir de marché est central à l’analyse que fait le Bureau des comportements et accords anticoncurrentiels. Dans les lignes directrices actuelles, l’approche préconisée par le Bureau relativement au pouvoir de marché est adaptée à la disposition pertinente de la Loi; les nouvelles lignes directrices élargissent considérablement l’approche du Bureau en :

  • élargissant ce qui est entendu par la « capacité d’exclure » des concurrents d’un marché (aux fins de déterminer le pouvoir de marché), afin d’inclure non seulement le retrait complet des concurrents existants d’un marché et le fait de dissuader les concurrents d’entrer ou de prendre de l’expansion, mais aussi de les rendre moins efficaces;
  • traitant la capacité d’exclure et les effets du comportement ou de l’accord anticoncurrentiel comme des indicateurs directs (plutôt qu’indirects) d’un pouvoir de marché;
  • ajoutant les « opinions, stratégies et comportements commerciaux » comme facteurs utilisés pour l’établissement de la dimension géographique et de la dimension du produit;
  • considérant les points de vue d’entrants potentiels qui ont choisi de ne pas pénétrer un marché comme preuve de barrières à l’entrée ou à l’expansion;
  • incluant les mesures d’utilisation, d’attention ou d’engagement comme des fondements acceptables pour le calcul des parts de marché;
  • introduisant de nouveaux facteurs pour évaluer les barrières à l’entrée ou à l’expansion, notamment la réputation et l’apprentissage par la pratique.

Abus de position dominante (articles 78 et 79 de la Loi)

Les nouvelles lignes directrices nous rappellent la position du Bureau quant aux dispositions relatives à l’abus de position dominante, qui ont été modifiées à trois reprises de 2022 à 2024 afin d’élargir la portée des comportements visés, d’assouplir le critère permettant de prouver l’abus de position dominante, d’introduire un droit d’accès au Tribunal de la concurrence (le « Tribunal ») pour les parties privées et d’augmenter considérablement les sanctions administratives pécuniaires (les « SAP »).

Selon ce que laissent entendre les nouvelles lignes directrices, bien que le Parlement permette que des sanctions soient imposées en lien avec des comportements anticoncurrentiels même s’il n’y a aucune atteinte à la concurrence, la preuve qu’une pratique a eu pour effet de nuire à la concurrence (y compris un effet durable sur un marché) demeure un facteur déterminant dans la décision du Bureau de mener une enquête sur une entreprise dominante. L’analyse réalisée par le Bureau des effets anticoncurrentiels d’un comportement ou d’un accord est en grande partie semblable à ce qui était décrit dans les lignes directrices antérieures. Les nouvelles lignes directrices apportent toutefois des précisions sur le concept de « rendement concurrentiel supérieur » qui s’alignent sur la jurisprudence.

Dans le même esprit que les lignes directrices sur l’abus de position dominante, les nouvelles lignes directrices indiquent qu’une entreprise individuelle est plus susceptible d’être en position dominante si sa part de marché atteint 50 % et qu’un groupe d’entreprises est plus susceptible d’être en position de dominance conjointe s’il détient une part de marché combinée de 65 %. Il convient de noter que ces seuils ne s’appliquent pas aux comportements examinés aux termes des autres dispositions sur les CAAC. Les nouvelles lignes directrices indiquent par ailleurs que les entreprises sont plus susceptibles de détenir un pouvoir de marché si leur part de marché dépasse 30 %, et non 35 % comme le précisait les lignes directrices antérieures, ce qui est conforme à la présomption de la Loi selon laquelle le pouvoir de marché est de 30 % dans le cas de fusions.

Les nouvelles lignes directrices actualisent les types de comportements susceptibles de constituer un abus de position dominante afin d’y inclure l’autopréférence, les contrats faisant référence à des rivaux, l’établissement de prix inférieurs aux coûts, les prix excessifs et injustes, le partage de renseignements et les accords entre concurrents. Elles notent que l’ajout de l’autopréférence vise à traiter des problèmes dans les marchés numériques et des comportements auxquels s’adonnent certaines plateformes, précisant qu’il sera pertinent d’évaluer si l’entreprise contrôle l’accès au marché ou si elle fait du « multi-hébergement » dans de tels cas. Les indications données dans les nouvelles lignes directrices à l’égard de la disposition sur les prix excessifs et injustes récemment introduite dans la Loi viennent atténuer le changement induit par cette nouvelle disposition : elles précisent que les prix élevés doivent nuire au processus concurrentiel, ce qui n’est susceptible de se produire que s’ils sont fixés dans le cadre d’une autre forme de comportement anticoncurrentiel.

Les nouvelles lignes directrices abordent par ailleurs la question du croisement entre les dispositions sur les CAAC – en particulier en ce qui concerne l’abus de position dominante – et d’autres parties de la Loi, notamment les pratiques commerciales trompeuses.

Accords anticoncurrentiels (article 90.1 de la Loi)

L’analyse de la version modifiée de l’article 90.1 qui est proposée dans les nouvelles lignes directrices s’aligne en grande partie sur l’approche décrite dans les lignes directrices sur la collaboration entre concurrents.

Une différence notable, néanmoins, est l’introduction d’une présomption réfutable qui ne figure pas dans la Loi : lorsqu’un accord aura pour effet de nuire sensiblement à la concurrence, le Bureau présumera qu’un objectif important de cet accord est d’empêcher ou de diminuer la concurrence sur un marché, en l’absence de preuves crédibles du contraire.

Pour ce qui est de la définition d’un accord en vertu de l’article 90.1, les nouvelles lignes directrices introduisent un nouveau critère, précisant que les parties doivent parvenir à un consensus en ce qui concerne leurs intentions pour conclure un accord. Les lignes directrices sur la collaboration entre concurrents ne faisaient aucune mention de l’intention des parties et indiquaient seulement qu’un accord conclu entre des entreprises devait résulter d’une « rencontre des volontés » de ces dernières.

Refus de vendre (article 75 de la Loi)

Les nouvelles lignes directrices suivent de façon générale les indications limitées du Bureau sur l’article 75 ainsi que les décisions pertinentes du Tribunal.

Il y a néanmoins une exception notable. Les nouvelles lignes directrices notent que le Bureau se concentre souvent sur l’impact d’un refus de vendre sur les revenus de l’entreprise. Or, dans l’affaire Chrysler Canada Ltd. c. Canada, le Tribunal a déclaré qu’il ne suffit pas d’examiner les chiffres globaux des ventes et des bénéfices pour conclure que l’entreprise a été sensiblement gênée par le refus de vendre.

Étant donné que le sens conféré au terme « produit » à l’article 75 diffère de celui attribué aux autres dispositions sur les CAAC, les nouvelles lignes directrices soulignent qu’il n’est pas nécessaire pour le Bureau de définir la dimension du produit d’un marché pour identifier un produit au sens de l’article 75 et qu’un produit, pour l’application de l’article 75, peut être plus restreint que la dimension du produit d’un marché; la norme demeurant tout de même celle que le refus doit avoir pour effet de nuire à la concurrence sur un marché.

Maintien des prix (article 76 de la Loi)

Bien que les nouvelles lignes directrices soient essentiellement similaires aux lignes directrices sur le maintien des prix, elles précisent toutefois que le fait pour un fournisseur d’établir un prix de vente au détail maximum au-dessus du niveau de prix actuel peut soulever des préoccupations si cela facilite la coordination entre les détaillants ou a pour but d’établir des prix inférieurs aux coûts. Autre fait à noter : tous les renvois à la décision rendue par le Tribunal en 2013 dans l’affaire La commissaire de la concurrence c. Visa Canada Corporation et MasterCard International Incorporated, laquelle demeure un précédent de premier plan en ce qui concerne les dispositions relatives au maintien des prix de la Loi, ont été retirés des nouvelles lignes directrices.

Exclusivité, ventes liées et limitation du marché (article 77 de la Loi)

À l’exception des renvois faits dans les lignes directrices sur l’abus de position dominante, le Bureau n’a pas publié de lignes directrices spécifiques sur les comportements visés par l’article 77. Cela dit, les nouvelles lignes directrices indiquent que tout comportement visé par l’article 77 peut être examiné au titre des dispositions relatives à l’abus de position dominante, et que certains agissements (en particulier, l’exclusivité, les ventes liées et la limitation du marché) peuvent être examinés au titre des dispositions sur les accords anticoncurrentiels.

Pour en savoir davantage, communiquez avec l’un des auteurs du présent bulletin ou un autre membre de nos groupes Concurrence et antitrust ou Investissement étranger.

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