Dans l’affaire Opsis Services aéroportuaires inc. c. Québec (Procureur général) (l’« affaire Opsis »), la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a statué que la doctrine de l’exclusivité des compétences demeure une composante essentielle du régime constitutionnel fédéral canadien. La CSC a accueilli deux pourvois contre des jugements rendus en vertu de la Loi sur la sécurité privée (la « LSP ») du Québec, au motif que cette dernière ne s’appliquait pas aux appelantes qui sont deux entités sous réglementation fédérale, à savoir une entreprise offrant des services de sûreté aéroportuaire et une entreprise œuvrant dans le secteur du transport maritime international. Selon la CSC, les dispositions entravantes ne pouvaient être dissociées du régime général de la LSP. Elle a ainsi déclaré que la LSP était constitutionnellement inapplicable aux appelantes.
Contexte
Dans l’affaire Opsis, les deux décisions faisant l’objet d’un pourvoi concernaient des contraventions à la LSP, laquelle prévoit que les agences et agents de sécurité privée sont tenus d’être titulaires, respectivement, d’un permis d’agence ou d’agent délivré par le Bureau de la sécurité privée (le « Bureau ») du Québec (ci-après, les « titulaires de permis »). Le Bureau est un organisme d’autorégulation qui a l’autorité de délivrer et de révoquer des permis d’agence et d’agent, de dispenser des formations aux titulaires de permis, de donner des directives à ces derniers, ainsi que de veiller à l’application de la LSP et de ses règlements.
Opsis Services aéroportuaires inc. (« Opsis »), une entreprise offrant des services de sûreté aéroportuaire, avait obtenu le mandat d’exploiter le centre d’appels d’urgence de l’aéroport international Pierre-Elliot-Trudeau et d’assurer une surveillance caméra des emplacements intérieurs et extérieurs de cet aéroport. Services maritimes Québec inc. (« SMQ »), une entreprise du secteur du transport maritime international, assurait quant à elle la surveillance du terminal portuaire international de Pointe-au-Pic, situé à La Malbaie (au Québec), et contrôlait l’accès à cette installation. Chacune de ces entreprises (collectivement, les « appelantes ») a été accusée d’avoir contrevenu à la LSP au motif qu’elle exploitait une entreprise de sécurité privée et exerçait des activités de sécurité privée sans être titulaire d’un permis délivré à cet effet par le Bureau.
La doctrine de l’exclusivité des compétences a pour but de mettre le « contenu essentiel » d’une compétence exclusive fédérale ou provinciale, à savoir son « contenu minimum élémentaire et irréductible », à l’abri d’un empiètement de la part de l’autre ordre de gouvernement. Pour obtenir gain de cause dans une demande fondée sur la doctrine de l’exclusivité des compétences contestant une loi provinciale, le demandeur doit établir que l’application de cette loi cause une entrave, ou porte une « atteinte grave ou importante », au contenu essentiel d’un chef de compétence exclusif fédéral.
En vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement fédéral dispose d’une compétence exclusive en matière d’aéronautique, y compris en matière d’exploitation des aéroports, de navigation et de bâtiments ou navires. Devant les tribunaux d’instance inférieure, Opsis et SMQ soutenaient que la LSP ne s’appliquait pas à elles en raison de la doctrine de l’exclusivité des compétences. Dans chacun des cas, la Cour d’appel du Québec a conclu que la LSP ne causait pas d’entrave au contenu essentiel de la compétence fédérale relative à la réglementation des secteurs de l’aéronautique et du transport maritime international.
Arrêt de la CSC
Dans une décision unanime, la CSC a déclaré que la LSP était constitutionnellement inapplicable à Opsis et à SMQ en vertu de la doctrine de l’exclusivité des compétences. Elle a confirmé que cette doctrine continue de jouer un « rôle essentiel » en matière de fédéralisme canadien, en ce qu’elle permet de maintenir « un équilibre entre la nécessité d’une certaine souplesse intergouvernementale et le besoin de solutions prévisibles ».
La CSC a appliqué le critère à deux étapes relatif à la doctrine de l’exclusivité des compétences établi dans les affaires Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta et Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association. À la première étape de ce critère, la CSC a déterminé que la LSP empiétait sur le contenu essentiel de compétences fédérales exclusives. Dans le cas d’Opsis, la CSC a confirmé que la sécurité des aéroports faisait partie du contenu essentiel du chef de compétence exclusif du Parlement en matière d’aéronautique. Pour ce qui est de SMQ, la CSC a statué que, malgré l’absence d’un précédent explicite à cet égard, il ne faisait aucun doute que la sécurité des installations maritimes et de leurs opérations était au cœur du chef de compétence exclusif du Parlement quant à la navigation et aux bâtiments ou navires.
À la seconde étape du critère, la CSC a statué que l’application de la LSP entraverait des compétences fédérales exclusives. Elle a déterminé que l’exigence pour les agences de sécurité privée d’obtenir un permis en vertu de la LSP n’était pas suffisante pour établir l’existence d’une entrave. Cependant, les pouvoirs dont dispose le Bureau en vertu de la LSP pour suspendre, révoquer ou refuser de renouveler un permis, ainsi que pour donner des directives à des titulaires de permis d’agence, pourraient causer une entrave à une compétence fédérale. La CSC a noté que le Bureau avait le pouvoir discrétionnaire d’établir des normes de comportement et d’assujettir les titulaires de permis à ces dernières, la violation desdites normes par un titulaire pouvant entraîner la suspension ou la révocation de son permis. Par conséquent, le Bureau, en tant qu’organisme provincial, aurait le dernier mot sur la manière de mener les activités de sécurité dans les aéroports et les installations portuaires..
La CSC s’est appuyée sur ces déterminations pour infirmer la conclusion de la Cour d’appel du Québec selon laquelle l’exercice par le Bureau de ses pouvoirs de suspension ou de révocation de permis pour une contravention à ses normes de comportement représenterait une entrave hypothétique ou spéculative. La CSC a plutôt déterminé que le pouvoir dont dispose le Bureau « de suspendre, de révoquer ou de refuser de renouveler [un] permis d’agent (…) révèle clairement la potentialité d’une entrave ».
Enfin, la CSC a statué que la LSP était entièrement inapplicable aux appelantes. Selon elle, les sections de la LSP qui accordent au Bureau le pouvoir de déterminer par règlement des normes de comportement et de les appliquer , ainsi que le pouvoir de donner des directives, sont indissociables du reste de cette loi. Ces éléments entravants constituent des volets essentiels du mandat du Bureau en vertu de la LSP, à savoir la réglementation et la supervision des activités de sécurité privée.
Points à retenir
- L’affaire Opsis vient affirmer que la doctrine de l’exclusivité des compétences demeure une composante essentielle du régime constitutionnel fédéral canadien de sorte qu’il se pourrait que les tribunaux commencent à appliquer cette doctrine plus fermement.
- Bien que la doctrine de l’exclusivité des compétences soit réservée généralement aux situations auxquelles s’appliquent des précédents, l’existence de précédents n’est pas requise. Cette doctrine peut être invoquée d’une manière structurée dans de nouvelles situations en l’absence de précédents.
- Même lorsque seules certaines parties d’une loi provinciale portent atteinte au contenu essentiel d’une compétence fédérale exclusive, les tribunaux peuvent déterminer que cette loi est entièrement inapplicable aux entreprises fédérales lorsque les dispositions entravantes ne peuvent être dissociées du reste de la loi.
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