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Insolvabilité au Canada : jurisprudence, tendances et changements en 2023

26 avril 2024

Plusieurs décisions judiciaires notables et mises à jour législatives importantes pour les prêteurs commerciaux, les entreprises et les professionnels de l’insolvabilité ont marqué l’année 2023. Le présent bulletin résume les principaux développements survenus en 2023 et met en lumière les points saillants à connaître en 2024.

1. Régime de priorité

En 2023, plusieurs affaires et mises à jour législatives ont soulevé des questions importantes concernant le régime de priorité dans le cadre des procédures d’insolvabilité.

Priorités environnementales

Dans les provinces de l’Ouest, les tribunaux ont continué d’examiner l’effet et l’interprétation appropriée de l’arrêt de la Cour suprême du Canada (la « CSC ») rendu dans l’affaire Orphan Well Association c. Grant Thornton Ltd. (l’« arrêt Redwater »), qui a conclu que les obligations de remise en état des actifs pétroliers et gaziers en fin de vie doivent être financées en priorité par rapport aux réclamations des créanciers garantis et non garantis de la société débitrice.

Dans l’affaire Qualex-Landmark Towers Inc. v. 12-10 Capital Corp., la Cour du Banc du Roi de l’Alberta (la « CBRA ») s’est penchée sur la question de savoir si l’arrêt Redwater pouvait être appliqué en faveur d’une partie privée en ce qui a trait aux frais de réparation de dommages liés à l’environnement. 12-10 Capital Corp. (« 12-10 ») a acheté un bien où l’environnement était déjà contaminé. Le propriétaire d’un bien voisin, Qualex, a allégué que la contamination s’était propagée à son bien et a cherché à recouvrer ses frais de réparation auprès de 12-10. Qualex a par la suite demandé une ordonnance de saisie-arrêt à l’égard du produit de toute vente future des terrains de 12-10 et à ajouter les créanciers hypothécaires inscrits des terrains de 12-10 (c.-à-d. les créanciers garantis de 12-10) à titre de défendeurs ou d’intimés dans le cadre de sa demande de recouvrement. La CBRA a accordé le redressement demandé par Qualex, préservant la capacité de Qualex de réclamer une indemnisation pour ses frais de réparation en priorité par rapport aux créanciers garantis de 12-10 en cas de vente. La Cour d’appel de l’Alberta a annulé la décision de la CBRA le 8 avril 2024. Elle a confirmé que la super priorité décrite dans l’arrêt Redwater ne s’étend pas aux obligations environnementales des parties privées.

Dans l’affaire Re Mantle Materials Group Ltd., Mantle Materials Group, Ltd. (« Mantle ») a demandé une charge prioritaire pour un financement temporaire dans le cadre de ses procédures de proposition en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la « LFI ») afin de financer l’exécution de travaux de remise en état environnementale sur certaines de ses gravières. Cette charge prioritaire a fait l’objet d’une opposition de la part d’un créancier garanti de Mantle, qui détenait une sûreté grevant l’équipement qu’il a financé avant les procédures de proposition, lequel équipement était utilisé dans une autre gravière. Le créancier garanti a fait valoir que sa créance garantie ne devrait pas être subordonnée aux frais de réparation de dommages liés à l’environnement et que, selon la bonne interprétation de l’arrêt Redwater, les obligations de fin de vie ne doivent être acquittées qu’au moyen d’actifs grevés par l’obligation de fin de vie spécifique ou liés à celle-ci.

La CBRA a rejeté l’interprétation du créancier garanti et a accordé la charge prioritaire, concluant que l’application de l’arrêt Redwater ne se limite pas au secteur pétrolier et gazier et que les actifs assujettis à la priorité énoncée dans l’arrêt Redwater comprennent tous les actifs liés à l’entreprise, et non seulement le bien particulier, desquels découlent les obligations de remise en état environnementale. La demande d’autorisation d’appel de cette décision a été refusée.

Dans l’affaire Eye Hill (Rural Municipality) v. Saskatchewan (Energy and Resources), la Cour d’appel de la Saskatchewan (la « CAS ») a examiné l’application de l’arrêt Redwater dans la province de la Saskatchewan. Plusieurs municipalités rurales ont fait valoir que leurs réclamations au titre des impôts fonciers impayés devraient avoir priorité sur les réclamations du ministère de l’Énergie et des Ressources au titre des obligations en matière d’abandon et de remise en état, car le régime réglementaire de la Saskatchewan est différent de celui de l’Alberta et, par conséquent, l’arrêt Redwater ne s’applique pas. La CAS a confirmé que l’arrêt Redwater s’applique en Saskatchewan et que les réclamations d’insolvabilité liées aux obligations d’abandon et de remise en état ont priorité sur les réclamations pour les taxes municipales impayées.

Priorités prévues par la loi

Dans l’affaire Syndic de Chronometriq inc., la Cour d’appel du Québec (la « CAQ ») a confirmé que la fiducie réputée créée par la Loi de l’impôt sur le revenu pour garantir l’obligation des débiteurs de faire les versements prévus par la loi et la loi provinciale équivalente en faveur de la Couronne peut être subordonnée dans les procédures de proposition en vertu de la LFI de la même manière que cette fiducie réputée peut être subordonnée dans les procédures en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC »). Dans l’affaire Canada c. Canada North Group Inc., la CSC a conclu que les tribunaux chargés d’appliquer la LACC ont le pouvoir discrétionnaire d’accorder des charges super prioritaires ayant priorité de rang sur la fiducie réputée de la Couronne en vertu du vaste pouvoir discrétionnaire accordé aux tribunaux chargés d’appliquer la LACC aux termes de l’article 11 de la LACC. La CSC est restée muette sur l’applicabilité de ce principe aux procédures de proposition en vertu de la LFI. La CAQ a fait remarquer que les dispositions de la LFI relatives aux propositions ont le même but réparateur que celles de la LACC et que, dans la mesure du possible, les deux lois devraient être lues de façon harmonieuse. La LFI intègre des dispositions pratiquement identiques à celles de la LACC en ce qui concerne les charges ordonnées par les tribunaux. Par conséquent, la CAQ n’a trouvé aucun fondement pour faire une distinction entre les deux lois à ce sujet. La Couronne a demandé l’autorisation d’interjeter appel de cette décision devant la CSC.

En 2021, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario a nommé un séquestre pour Bridging Finance Inc. (« Bridging »), société qui a réuni des capitaux auprès d’investisseurs en vendant des parts de ses trois fonds. Dans l’affaire Ontario Securities Commission v. Bridging Finance Inc., un groupe de porteurs de parts a fait valoir qu’ils avaient une réclamation prioritaire par rapport aux porteurs de parts ordinaires en raison, notamment, des droits de résolution prévus par la loi. Cet argument était fondé sur l’article 130.1 de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario (la « LVMO »), qui prévoit que si une notice d’offre comporte une information fausse ou trompeuse, l’acheteur des valeurs mobilières offertes par la notice d’offre peut choisir d’exercer un droit d’action en résolution contre la société. À la cour de première instance, la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « CSJO ») a établi une distinction entre une mise sous séquestre en vertu de la LVMO, comme la mise sous séquestre de Bridging, et celles effectuées en vertu de la LFI et a conclu que, puisque le régime d’insolvabilité fédéral n’avait pas été mis en œuvre, les droits de résolution des porteurs de parts pouvaient être exercés malgré la procédure de mise sous séquestre. La CSJO a conclu que les demandeurs de la résolution devraient avoir la priorité pour s’assurer que leur recours est valable.

La Cour d’appel de l’Ontario (la « CAO ») a infirmé cette décision et a conclu que l’absence de libellé explicite dans la LVMO accordant une priorité au droit de résolution des porteurs de parts contrecarre leur argument. Ainsi, la Cour a confirmé que la loi conférant la priorité doit contenir un libellé explicite et non équivoque pour reconnaître un droit de priorité.

Priorités des pensions

Le 27 avril 2023, le projet de loi C-288, la Loi sur la protection des pensions (la « LPP »), a reçu la sanction royale. La LPP modifie à la fois la LFI et la LACC en élargissant les protections superprioritaires accordées aux réclamations relatives aux pensions dans le cadre des procédures d’insolvabilité d’un employeur débiteur. Les protections comprennent maintenant les montants requis pour financer tout passif non capitalisé ou déficit de solvabilité des régimes de retraite à prestations déterminées de compétence fédérale ou provinciale. Le 27 avril 2027, les modifications apportées à la LFI et à la LACC découlant de la LPP commenceront à s’appliquer aux régimes de retraite à prestations déterminées qui existaient déjà le 27 avril 2023. La LPP s’appliquera immédiatement à tout régime de retraite à prestations déterminées créé après cette date. Voir notre publication d’avril 2023 intitulée Cinq points, 5 minutes : Procédures d’insolvabilité : nouvelles protections pour les régimes de retraite pour obtenir un résumé complet de la LPP et de ses incidences.

2. Ordonnances de dévolution inversée

Alors qu’il était rare auparavant, le recours aux ordonnances de dévolution inversée (« ODI ») s’est accru, surtout depuis 2020. En 2022, la CSJO a clarifié les facteurs pertinents à l’attribution d’une ODI dans l’affaire Harte Gold Corp. (l’« affaire Harte Gold ») (dont il est question dans notre bulletin portant sur celle-ci). En 2023, les tribunaux de tout le pays ont continué d’examiner les circonstances appropriées dans lesquelles utiliser une ODI.

Dans l’affaire Forage Subordinated Debt LP v. Enterra Feed Corporation, la CBRA a conclu qu’une ODI constitue un recours possible dans le contexte d’une mise sous séquestre. En l’espèce, la CBRA a conclu qu’elle avait compétence pour accorder une ODI en raison de l’interaction du paragraphe 13(2) de la Judicature Act (Alberta), du paragraphe 192(1) de la Business Corporation Act (Alberta) (l’« ABCA ») et de l’article 64 de la Personal Property Security Act (Alberta) (la « PPSA »). Plus précisément, la CBRA a souligné le vaste pouvoir conféré au tribunal en vertu de la Judicature Act de prendre toute mesure que le tribunal juge souhaitable. La CBRA a également noté que les changements fondamentaux à la structure d’entreprise nécessaires à une ODI étaient possibles grâce à une ordonnance de réorganisation en vertu de l’ABCA, qui est disponible lorsqu’une société fait l’objet d’une procédure de réorganisation (y compris une ordonnance de mise sous séquestre). Enfin, la CBRA a souligné le pouvoir du tribunal de rendre toute ordonnance nécessaire pour assurer la protection de l’intérêt de toute personne dans une garantie aux termes de la PPSA comme fondement au pouvoir d’accorder une ODI.

Dans les affaires In the Matter of CannaPiece Group Inc(l’« affaire CannaPiece ») et PaySlate Inc. (Re) (l’« affaire PaySlate »), la CSJO et la Cour suprême de la Colombie-Britannique (la « CSCB ») ont chacune refusé d’accorder une ODI, ce qui donne un aperçu des circonstances dans lesquelles un tel recours pourrait être refusé.

Dans l’affaire CannaPiece, la CSJO a refusé d’approuver une ODI pour la première fois depuis l’affaire Harte Gold. CannaPiece avait deux principaux créanciers : l’un détenait une sûreté sur l’équipement précis qu’il avait financé et l’autre détenait une sûreté générale de premier rang (le « créancier garanti »), sous réserve uniquement de la participation du bailleur de l’équipement dans l’équipement. Le créancier garanti a fait une offre dans le cadre du processus de vente et a été choisi comme soumissionnaire retenu. Sa soumission comprenait une ODI aux termes de laquelle le bailleur de l’équipement verrait ses réclamations, mais non l’équipement, transférées à ResidualCo., éteignant ainsi sa sûreté. De plus, l’offre-paravent d’un tiers prévoyait la prise en charge de la dette du créancier garanti. Compte tenu du préjudice causé au bailleur de l’équipement et de la possibilité de présenter une offre moins préjudiciable, la CSJO a refusé d’approuver l’ODI.

Dans l’affaire PaySlate, la CSCB a également refusé d’accorder une ODI. La CSCB a fourni des indications supplémentaires sur les facteurs qui devraient être pris en compte pour déterminer si une ODI doit être accordée :

  1. des circonstances extraordinaires doivent exister;
  2. les créanciers devraient avoir la possibilité de se faire entendre dans le cadre de la stratégie de redressement;
  3. les tribunaux doivent garder à l’esprit que l’acquéreur dans le cadre d’une ODI obtient la totalité de la valeur future des activités du débiteur et que les ODI suppriment la possibilité de négociations qui pourraient entraîner une plus grande valeur pour un groupe plus large de créanciers;
  4. une justification fondée sur des données probantes devrait expliquer pourquoi une ODI est au moins équivalente aux résultats obtenus en vertu des mécanismes prévus par la loi.

Compte tenu de ces facteurs, la CSCB a conclu que l’opération proposée ne répondait pas aux exigences d’approbation au moyen d’une ODI. Sur le plan de la procédure, la CSCB a noté que PaySlate n’avait pas donné d’avis de l’opération d’ODI aux contreparties contractuelles dont les droits seraient compromis aux termes de l’opération. La CSCB n’était pas convaincue que l’ODI visait à préserver la continuité de l’entreprise de PaySlate — PaySlate avait l’intention de mettre fin à l’emploi de la moitié de son effectif dans le cadre de l’opération. Enfin, la CSCB a conclu que la preuve soumise concernant la valeur des attributs fiscaux de PaySlate était insuffisante pour déterminer s’il existait une solution de rechange viable à l’opération d’ODI qui pourrait être meilleure pour les créanciers.

Les affaires CannaPiece et PaySlate soulignent l’importance de l’équité (tant sur le plan de la procédure qu’entre les créanciers) et d’un dossier probant solide établissant la valeur et la supériorité de l’ODI par rapport à d’autres options lorsqu’une demande d’émission d’une ODI est présentée.

3. Modèle de procédure unique

Dans notre rapport de juillet 2023 intitulé Principaux développements dans la jurisprudence canadienne en matière d’insolvabilité en 2022, nous avons discuté des décisions rendues en 2022 dans l’affaire Mundo Media Ltd. (Re) et l’affaire Peace River Hydro Partners c. Petrowest Corp., où la CAO et la CSC ont toutes deux réitéré l’importance du modèle de procédure unique dans les procédures d’insolvabilité.

En 2023, dans l’affaire Alderbridge Way GP Ltd. (Re) (l’« affaire Alderbridge »), la CSCB a continué de mettre l’accent sur le modèle de procédure unique en ordonnant que plusieurs actions connexes soient instruites dans le cadre d’une procédure en vertu de la LACC malgré l’opposition des débiteurs.

Ce modèle prévoit que les différends concernant une société insolvable doivent être traités dans le cadre d’une seule procédure d’insolvabilité, plutôt que d’être fragmentés en différentes procédures. Dans l’affaire Alderbridge, un créancier garanti des débiteurs visés par la LACC a demandé que plusieurs demandes entre défendeurs présentées par lui-même et les débiteurs visés par la LACC soient entendues dans le cadre de la procédure en vertu de la LACC. Les débiteurs se sont opposés à cette demande parce que les actions portaient sur des différends entre créanciers ou sur le montant d’une dette, qui ne sont pas au cœur de la procédure en vertu de la LACC, dont l’objet était un processus de vente.

Dans le cadre de son examen de la demande, la CSCB a confirmé que le modèle de procédure unique s’appliquait de façon générale. La CSCB a statué qu’elle avait compétence pour trancher les questions relatives à la validité et à la priorité des dettes et des sûretés, y compris les questions entre créanciers et entre débiteurs et créanciers, en vertu des articles 11 et 20 de la LACC. La CSCB a également conclu que le fait de statuer sur les actions dans le cadre de la procédure en vertu de la LACC contribuerait aux objectifs réparateurs de la LACC. Le litige était au premier plan de la procédure de restructuration et pouvait avoir une incidence défavorable sur la capacité du contrôleur de vendre les actifs des débiteurs s’il n’était pas réglé. Par conséquent, la CSCB a ordonné que les actions connexes soient instruites dans le cadre de la procédure en vertu de la LACC en dépit des objections des débiteurs visés par la LACC.

4. Regroupement des patrimoines

En 2022, la Cour du Banc de la Reine du Manitoba (la « CBRM »), telle qu’elle était appelée alors, a rendu la rare décision dans l’affaire White Oak Commercial Finance LLC v. Nygard Holdings (USA) Limited d’ordonner le regroupement des patrimoines de neuf entités canadiennes et américaines liées qui composent le groupe Nygard. En 2023, la Cour d’appel du Manitoba (la « CAM ») a confirmé cette décision. Ce faisant, la CAM a fait remarquer, dans un commentaire incident, que les patrimoines d’entités solvables peuvent, dans les circonstances appropriées, être regroupés pour l’essentiel avec ceux de sociétés insolvables du même groupe.

Les débiteurs font partie d’un groupe de plusieurs entités sous la propriété et le contrôle directs ou indirects de Peter Nygard. À la suite d’accusations criminelles portées contre Peter Nygard en 2020, les débiteurs ont été mis sous séquestre. En fin de compte, seulement trois des neuf débiteurs avaient des actifs réalisables importants. Le séquestre a demandé et obtenu une ordonnance visant à regrouper les patrimoines des débiteurs, ce qui a entraîné la répartition des coûts et la distribution du produit net de la mise sous séquestre sur une base collective.

En 2023, deux des neuf débiteurs qui alléguaient être solvables, soit Nygard Properties Ltd. (« NPL ») et Nygard Enterprises Ltd. (« NEL »), ont interjeté appel de la décision de la CBRM. La CAM s’est penchée sur deux principaux motifs d’appel : 1) NPL est une entité solvable sans créancier, et le tribunal ne peut ordonner le regroupement des patrimoines de sociétés solvables avec ceux de sociétés insolvables, et 2) un préjudice à NPL. NPL a fait valoir qu’elle était un créancier garanti des autres entités du groupe Nygard. Puisqu’elle était garante, ses actifs ont été utilisés pour payer la dette d’autres entités du groupe Nygard à leur créancier garanti, ce qui, selon NPL, lui donnait un droit prioritaire sur le produit net de la mise sous séquestre en raison de droits de subrogation.

La CAM a rejeté les deux arguments et a confirmé la décision du tribunal de première instance. La CAM a confirmé que le critère prépondérant en matière de regroupement de patrimoines provient de la décision Redstone Investment Corporation (Re) et exige que le tribunal applique les principes suivants :

  1. Existe-t-il des éléments qui pointent vers un regroupement, comme l’entrelacement des fonctions opérationnelles et d’autres points communs à l’échelle du groupe?
  2. Les avantages du regroupement l’emportent-ils sur le préjudice subi par certains créanciers?
  3. Le regroupement est-il juste et raisonnable dans les circonstances?

La CAM a distingué le cas du groupe Nygard des cas où le regroupement des patrimoines est rejeté, notant que le regroupement est refusé généralement en raison du deuxième facteur, à savoir le préjudice causé à un créancier en particulier. La CAM a constaté que NPL est un débiteur dans le cadre de la mise sous séquestre et qu’elle est détenue et contrôlée par les mêmes personnes que les autres débiteurs. Aucun des créanciers tiers objectifs ne s’est opposé au regroupement des patrimoines. De l’avis de la CAM, la deuxième partie du critère de la décision Redstone tenait compte du préjudice aux créanciers tiers.

En ce qui concerne la solvabilité alléguée de NPL, la CAM a conclu sur les faits indiquant que NPL était, en fait, insolvable. La CAM a toutefois souligné qu’il n’y a pas d’obstacle absolu au regroupement des patrimoines de sociétés solvables avec ceux de sociétés insolvables. Si un tel obstacle existait, les groupes de sociétés pourraient isoler l’argent en inscrivant une dette dans une société et des actifs dans une autre, ce qui est à l’opposé des objectifs réparateurs de la législation en matière d’insolvabilité.

Veuillez consulter notre Bulletin Blakes de février 2024 intitulé Groupe Nygård : Examen approfondi du regroupement de patrimoines dans le cadre de procédures d’insolvabilité au Canada pour en savoir davantage sur le regroupement des patrimoines dans le cadre de procédures d’insolvabilité.

5. Compensation

Dans notre rapport de juillet 2023 intitulé Principaux développements dans la jurisprudence canadienne en matière d’insolvabilité en 2022, nous avons discuté de l’arrêt de la CAQ dans l’Arrangement relatif à Bloom Lake. Le 24 août 2023, la CSC a rejeté la demande de l’autorité fiscale d’autorisation d’appel de l’arrêt de la CAQ. Cet arrêt portait sur les remboursements d’impôt fédéral et provincial (les « CTI relatifs aux paiements pour dommages ») qu’une société insolvable a le droit de réclamer lorsqu’elle fait une distribution à des contreparties contractuelles dont le contrat a été résilié en raison de leur réclamation pour dommages-intérêts qui en découle. Les autorités fiscales ont tenté de qualifier les CTI relatifs aux paiements pour dommages de réclamations antérieures à l’ouverture des procédures pouvant faire l’objet de compensation contre des réclamations relatives à la taxe de vente qui étaient antérieures à l’ouverture des procédures et qui concernaient le débiteur. Cet argument était fondé sur le paragraphe 32(7) de la LACC, qui prévoit que des pertes découlant d’une résiliation sont réputées constituer une réclamation prouvable. Aux termes de l’alinéa 19(1)b) de la LACC, une réclamation prouvable est une réclamation antérieure à l’ouverture des procédures. Il était crucial de qualifier les CTI relatifs aux paiements pour dommages de réclamation antérieure à l’ouverture des procédures, car, dans l’arrêt Montréal (Ville) c. Restructuration Deloitte Inc., la CSC a conclu que les réclamations antérieures à l’ouverture des procédures ne pouvaient faire l’objet d’une compensation contre des réclamations postérieures à l’ouverture des procédures, sauf dans des circonstances exceptionnelles.

La CAQ a rejeté cet argument en se fondant sur une interprétation littérale des dispositions pertinentes de la Loi sur la taxe d’accise (Canada) et de la Loi concernant l’impôt sur la vente en détail (Québec) lesquelles portent sur les CTI relatifs aux paiements pour dommages en question. Dans les deux cas, les dispositions stipulent que lorsqu’un montant est versé en raison de la résiliation d’une entente concernant une fourniture taxable, la personne est réputée avoir payé pour cette fourniture, et l’inscrit est réputé avoir perçu la taxe, le jour auquel les dommages ont été payés. Par conséquent, ce n’est que lorsque la distribution intérimaire a été effectuée, aux termes du plan en vertu de la LACC, auprès des créanciers ayant des réclamations pour dommages découlant de la résiliation des contrats que le paiement pour la fourniture taxable est réputé avoir été effectué. C’est à ce moment que le droit du débiteur visé par la LACC à l’égard des CTI relatifs aux paiements pour dommages prend naissance. Les CTI relatifs aux paiements pour dommages constituaient donc des obligations postérieures à l’ouverture des procédures.

6. Doctrine de l’attribution d’un acte à une société

Dans notre rapport de juillet 2023 intitulé Principaux développements dans la jurisprudence canadienne en matière d’insolvabilité en 2022, nous avons décrit les décisions rendues dans les affaires Ernst & Young Inc. v. Aquino (l’« affaire Aquino ») et Golden Oakes Enterprises v. Scott (l’« affaire Golden Oaks ») par la CAO, qui portent toutes deux sur l’application de la doctrine de l’attribution d’un acte à une société dans le contexte de l’insolvabilité. Selon cette doctrine, les actions d’une personne peuvent être imputées à la société qu’elle représente. Notre Bulletin Blakes de juillet 2023 intitulé Attribution d’un acte à une société : principales différences entre les affaires Aquino et Golden Oaks résume ces deux affaires. Dans les affaires Aquino et Golden Oakes, la CAO met l’accent sur le pouvoir discrétionnaire du tribunal d’insolvabilité d’appliquer la doctrine et les considérations d’intérêt public supplémentaires qui s’appliquent dans le contexte de l’insolvabilité.

Dans l’affaire Aquino, le contrôleur de Bondfield Construction Company (« Bondfield »), nommé par le tribunal, et le syndic de faillite du membre de son groupe ont réclamé le recouvrement des fonds en s’appuyant sur l’article 96 de la LFI et l’article 36.1 de la LACC concernant des opérations sous-évaluées. Les opérations sous-évaluées découlaient d’un stratagème de facturation frauduleux, où des fournisseurs présentaient de fausses factures à la société pour des travaux n’ayant jamais été effectués. Compte tenu de la période pendant laquelle le stratagème frauduleux a été utilisé, les seules opérations pouvant être mises en cause étaient celles où (i) le cessionnaire avait un lien de dépendance avec le débiteur, et (ii) le débiteur avait l’intention de frauder ou de frustrer un créancier ou d’en retarder le désintéressement. Les dirigeants de Bondfield ont soutenu que l’intention requise de frauder ou de frustrer un créancier ou d’en retarder le désintéressement n’avait pas pu être établie parce que Bondfield et sa société liée étaient suffisamment solides sur le plan financier pour survivre à la fraude.

La CAO a rejeté cet argument, estimant que, dans le contexte de l’insolvabilité, l’application de la doctrine de l’attribution d’un acte à une société doit tenir compte de l’objectif social de la législation en matière d’insolvabilité. En l’espèce, la façon d’éviter le résultat pervers de faire profiter les dirigeants du stratagème frauduleux aux dépens des créanciers était d’appliquer l’intention frauduleuse des dirigeants à Bondfield et à ses sociétés liées, en assujettissant les opérations aux exigences relatives à l’intention de l’article 96 de la LFI et de l’article 36.1 de la LACC.

Dans l’affaire Golden Oakes, la CAO a examiné la possibilité d’appliquer la doctrine relative à l’attribution d’un acte à une société dans le contexte d’une tentative d’un syndic de faillite de recouvrer des sommes perdues dans le cadre d’une combine à la Ponzi mise en place par la seule « âme dirigeante » de la société en question. Le syndic a intenté plusieurs actions au nom de la société en faillite contre des particuliers et des sociétés qui ont reçu des paiements frauduleux de la société dans le cadre de la combine à la Ponzi.

En Ontario, la Loi de 2002 sur la prescription des actions prévoit qu’en général un demandeur doit intenter son recours dans les deux ans suivant la découverte des faits donnant naissance à sa réclamation. Les défendeurs dans les actions ont soutenu que les demandes étaient prescrites puisque les paiements effectués par Golden Oaks remontaient à plus de deux ans avant l’introduction des actions.

La CAO a mis l’accent sur le résultat de l’application de la doctrine de l’attribution d’un acte à une société en l’espèce. L’application de la doctrine dans l’affaire Golden Oakes aurait permis d’imputer à la société la connaissance de la combine à la Ponzi par le dirigeant, faisant en sorte que la réclamation du syndic de faillite serait prescrite. Ceci permettrait finalement au dirigeant d’éviter les conséquences de ses actes frauduleux, n’accorderait aucun recours civil au profit des créanciers de Golden Oakes et minerait l’objectif lié aux politiques sociales qu’est la responsabilité des entreprises. La CAO a donc décidé de ne pas appliquer la doctrine relative à l’attribution d’un acte à une société.

La CSC a entendu l’appel de ces deux décisions ensemble le 5 décembre 2023, et la décision de cet appel est attendue en 2024.

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