Le 23 avril 2025, dans l’affaire Insurance Corporation of British Columbia v. Ari (décision disponible uniquement en anglais), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « CACB ») a confirmé une décision de première instance octroyant, dans le cadre d’une action collective, des dommages-intérêts globaux de 15 000 $ CA à chaque membre du groupe, et ce, sans preuve de préjudice, pour une violation de la Privacy Act de la Colombie-Britannique (la « Loi »). La question dont la CACB était saisie, à savoir si des dommages-intérêts généraux, plutôt que des dommages-intérêts symboliques, pouvaient être octroyés en raison d’une atteinte à la vie privée sans preuve de préjudice, était nouvelle. Cette décision de la CACB s’ajoute à d’autres jugements rendus récemment par cette dernière qui ont confirmé l’importance du caractère des droits relatifs à la vie privée en tant que droits « quasi constitutionnels » et qui ont clarifié la portée des causes d’action qu’il est possible de faire valoir en vue de protéger ces droits. Pour en savoir davantage sur ces jugements, consultez notre Bulletin Blakes du 30 juillet 2024 intitulé Fuite de données : La CACB clarifie la portée potentielle des recours à l’encontre des consignataires de données en matière de protection du droit à la vie privée.
Décision de première instance
Une employée (l’« employée ») de l’assureur automobile public de la Colombie-Britannique, l’Insurance Corporation of British Columbia (« ICBC » ou la « défenderesse »), a consulté illégalement les renseignements personnels de 78 clients de l’ICBC dans la base de données de cette dernière. L’employée a ensuite vendu les renseignements personnels de 45 de ces clients à des criminels, lesquels ont mené subséquemment des attaques sous forme d’incendies criminels et de tirs d’armes à feu à l’encontre de 13 clients. Le demandeur a obtenu l’autorisation d’exercer une action collective au nom de toutes les personnes dont les renseignements personnels avaient été consultés illégalement, ainsi que de toutes les personnes qui résident avec elles, y compris, sans s’y limiter, celles qui avaient été victimes des attaques susmentionnées.
Dans le cadre d’un procès sommaire, la Cour suprême de la Colombie-Britannique (la « CSCB ») a statué que la conduite de l’employée constituait une violation de la Loi et que l’ICBC était responsable du fait d’autrui. Elle a ensuite procédé à l’évaluation des dommages-intérêts pour l’ensemble du groupe. Le demandeur souhaitait obtenir, pour chacun des membres du groupe, 25 000 $ CA à titre de dommages-intérêts non pécuniaires pour violation de la Loi, tout dommage supplémentaire, pécuniaire ou non pécuniaire, devant être prouvé dans le cadre d’une phase de la procédure consacrée aux questions individuelles. La défenderesse soutenait que le montant de base (baseline) des dommages-intérêts non pécuniaires applicables à tous les membres du groupe pour le simple fait (the mere fact) d’une atteinte à la vie privée devait se limiter à 500 $ CA par membre. Compte tenu de la gravité de l’atteinte, la CSCB a conclu que des dommages-intérêts à hauteur de 15 000 $ CA par membre s’inscrivaient plutôt dans la catégorie de dommages-intérêts modestes ou symboliques (modest or nominal). Elle a établi ce montant à titre de dommages-intérêts globaux.
Décision de la CACB
Dans une décision rédigée par le juge en chef, la CACB a confirmé le montant des dommages-intérêts octroyés par la CSCB, rejetant ainsi l’argument de la défenderesse selon lequel seulement des dommages-intérêts symboliques pouvaient être accordés pour une simple atteinte à un droit sans preuve de préjudice précis. Elle a statué que des dommages-intérêts généraux peuvent être accordés lorsque la gravité de l’atteinte à un droit est telle qu’elle exige une défense du droit en cause, une forme de dissuasion contre toute nouvelle atteinte et une indemnisation du préjudice causé aux intérêts intangibles du demandeur.
Pour ce qui est des droits à la vie privée, lesquels sont « quasi constitutionnels », la CACB a conclu qu’une atteinte à de tels droits entraîne nécessairement une perte, dès lors que le droit à la vie privée du demandeur – et plus précisément le droit de ce dernier de contrôler l’accès à ses renseignements personnels – a été enfreint, et ce, indépendamment de toute souffrance morale ou de tout bouleversement pouvant être causé par ladite violation. Lorsqu’une atteinte à la vie privée est sérieuse, intentionnelle et commise à des fins illégitimes, il appartient au juge de déterminer s’il est nécessaire d’accorder des dommages-intérêts, autres que des dommages-intérêts techniquement symboliques, à titre d’indemnisation pour le préjudice inhérent causé aux droits à la vie privée du demandeur. En revanche, si l’atteinte à la vie privée est commise par inadvertance, ou encore si elle est superficielle, passagère ou négligeable, il pourrait être approprié d’accorder uniquement des dommages-intérêts techniquement symboliques pour souligner le tort.
En l’espèce, la CACB a souscrit à la conclusion du juge de première instance selon laquelle l’approche proposée par la défenderesse banaliserait les droits importants et quasi constitutionnels protégés par la Loi, minerait l’intention législative qui sous-tend l’ensemble du régime de cette dernière, et ferait en sorte que le choix du législateur de rendre le délit de protection de la vie privée passible d’une réparation en justice sans preuve de dommage ne revêtirait qu’une valeur purement symbolique. Elle a noté que, bien que le montant des dommages-intérêts accordés, soit 15 000 $ CA, se situe à l’extrémité supérieure de la fourchette des dommages-intérêts appropriés pour ce genre d’affaires, la gravité de l’atteinte le justifiait. La CACB a souligné qu’il ne s’agissait pas d’une affaire où l’atteinte avait résulté d’un piratage commis par un tiers ou d’une erreur de bonne foi, mais elle s’est gardée de se prononcer sur ce qui constituerait des dommages-intérêts appropriés dans de telles circonstances.
Cette décision rendue par la CACB confirme que, dans le cadre d’une action collective, d’importants dommages-intérêts peuvent être accordés à l’ensemble du groupe pour une atteinte intentionnelle à la vie privée en fonction de la gravité de l’atteinte, et ce, même en l’absence de preuve de préjudice.
Pour en savoir davantage à ce sujet, communiquez avec un membre de notre groupe Litige et règlement des différends.
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