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La Cour suprême du Canada confirme certains droits collectifs autochtones protégés par la Charte

18 avril 2024

Le 28 mars 2024, la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a rendu sa décision tant attendue dans l’affaire Dickson c. Vuntut Gwitchin First Nation, au cours de laquelle elle s’est penchée sur deux questions nouvelles et donc non résolues jusqu’ici : soit (i) la mesure dans laquelle la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») s’applique aux gouvernements autochtones; et (ii) l’effet de l’article 25 de la Charte, aux termes duquel certains droits et libertés reconnus par la Charte « ne porte[nt] pas atteinte aux droits ou libertés – ancestraux, issus de traités ou autres – des peuples autochtones du Canada ». Cette décision de la CSC aura sans doute de vastes répercussions sur les nations autochtones autonomes et leurs membres partout au Canada, notamment dans le cadre de négociations avec la Couronne.

Contexte

Cindy Dickson, une citoyenne de la Vuntut Gwitchin First Nation (la « VGFN »), a contesté une disposition de la Constitution de la VGFN exigeant que le chef et les conseillers élus résident sur les terres désignées de la VGFN (les « terres désignées »), situées dans le nord du Yukon (l’« obligation de résidence »). Mme Dickson, qui vit à Whitehorse, a allégué que l’obligation de résidence violait ses droits à l’égalité en vertu de l’article 15 de la Charte.

La Cour suprême du Yukon a rejeté la revendication de Mme Dickson, affirmant que l’obligation de résidence ne violait pas la Charte. La Cour d’appel du Yukon a quant à elle conclu que même si l’obligation de résidence violait les droits à l’égalité de Mme Dickson, l’obligation de résidence était « protégée » par l’article 25 de la Charte.

Décision de la CSC

La CSC a confirmé les décisions des tribunaux d’instance inférieure ainsi que la validité constitutionnelle de l’obligation de résidence.

Plus précisément, la première question clé dont la CSC a été saisie était de savoir si la Charte s’appliquait ou non aux activités de la VGFN. Six des sept juges de la CSC ayant entendu l’affaire ont conclu que la Charte s’appliquait à la VGFN dans la mesure où cette dernière constitue un gouvernement par nature, et ce, pour plusieurs raisons. Il est notamment souligné que le Conseil de la VGFN est élu par des électeurs admissibles et est démocratiquement responsable. La VGFN dispose de pouvoirs généraux de taxation qui sont pratiquement identiques à ceux du Parlement ou des provinces. La VGFN a le pouvoir d’établir, d’appliquer et de faire respecter des règles de droit contraignantes pour ses citoyens et le public en général dans les limites des terres désignées. Enfin, la VGFN est reconnue en tant qu’entité juridique en vertu de la législation fédérale et tient au moins une partie de son pouvoir de légiférer d’un texte de loi fédéral.

La deuxième question clé était de savoir si l’article 25 de la Charte sert de « bouclier » pour protéger une conduite d’un gouvernement qui porte atteinte aux droits individuels garantis par la Charte (en l’occurrence, le droit de Mme Dickson à un traitement non discriminatoire par la VGFN). Il convient de noter qu’il s’agit de la toute première affaire pour laquelle un cadre est établi par la CSC relativement à l’application de l’article 25. Ce faisant, la CSC a entendu de solides arguments de la part de multiples intervenants au sujet de la mesure appropriée dans laquelle les droits collectifs autochtones sont protégés en cas de contestation par un membre de la nation autochtone. La CSC a en effet été plus divisée sur cette question, l’obligation de résidence de la VGFN ayant été maintenue par quatre des sept juges. Dans leur analyse, les juges majoritaires ont souligné que, premièrement, le tribunal devait être convaincu que la Charte était en jeu par suite de la création d’une distinction entre les membres qui vivent sur les terres désignées et ceux qui vivent ailleurs. Deuxièmement, la nation autochtone devait convaincre le tribunal que le droit contesté était un « droit ancestral, issu de traité ou autre » et que celui-ci protégeait ou reconnaissait la spécificité autochtone. Troisièmement, il devait y avoir un conflit « irréconciliable » entre le droit individuel et le droit collectif. Quatrièmement, le tribunal devait tenir compte des autres restrictions pertinentes, comme l’égalité de garantie des droits pour les deux sexes en vertu de l’article 28 de la Charte.

En se fondant sur ce cadre d’analyse, les juges majoritaires ont conclu que l’article 25 protégeait l’obligation de résidence, malgré la violation du droit à l’égalité de Mme Dickson garanti par la Charte.

Conclusion

La décision quasi unanime de la CSC selon laquelle la Charte s’applique à la VGFN indique clairement les résultats auxquels pourraient aboutir des affaires futures mettant en cause des gouvernements autochtones au Canada. En revanche, l’aboutissement d’autres affaires qui porteraient sur la protection des droits collectifs autochtones en vertu de l’article 25 de la Charte est plus incertain, compte tenu de la divergence des positions des juges de la CSC à l’égard de l’application de cet article. Il ne s’agit que de la deuxième affaire dans laquelle la CSC a examiné l’article 25 relativement à un aspect quelconque de ce dernier, ainsi que la toute première affaire dans laquelle elle a directement statué sur l’effet de cet article. Étant donné que l’autonomie gouvernementale des nations autochtones est de plus en plus reconnue et exercée, il y a lieu de s’attendre à ce que l’article 25 soit invoqué dans un plus grand nombre d’affaires à l’avenir.

Les auteurs du présent bulletin ont agi à titre de procureurs auprès de la British Columbia Treaty Commission, intervenante, devant la Cour suprême du Canada dans le cadre de cette affaire.

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