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La Cour suprême du Canada confirme le cadre d’analyse applicable aux « changements importants »

9 décembre 2025

Dans un arrêt publié le 28 novembre 2025, la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a confirmé que le critère à deux étapes relatif à un « changement important » en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario (la « Loi ») s’applique aux obligations d’information occasionnelle. Ce faisant, la CSC a rejeté une norme plus étroite, déterminant qu’elle était incompatible avec le libellé et l’économie de la Loi.

Contexte factuel

Un actionnaire minoritaire (le « demandeur ») d’un émetteur assujetti (le « défendeur ») a intenté une action contre ce dernier en vertu des dispositions relatives aux obligations d’information sur le marché secondaire de la Loi. Le demandeur alléguait que le défendeur – une société minière exploitant une mine à ciel ouvert – avait manqué à ses obligations de divulgation en temps utile dans le cadre de la publication d’une série de communiqués de presse divulguant l’instabilité d’une paroi de la fosse de la mine, ainsi qu’un glissement rocheux survenu à cette mine. Le demandeur a demandé l’autorisation d’intenter une action en vertu du paragraphe 138.8(1) de la Loi (la « demande d’autorisation »). 

Décisions des tribunaux inférieurs

Le juge des motions a rejeté la demande d’autorisation, en concluant qu’il n’y avait aucune possibilité raisonnable que le demandeur puisse établir que l’instabilité de la paroi de la fosse ou le glissement rocheux entrainait un changement « de position, d’orientation ou de direction » auprès des activités commerciales, de l’exploitation ou du capital du défendeur et ne constituait donc pas un « changement important » au sens de la Loi. Selon le juge des motions, l’instabilité des parois de fosse et les glissements rocheux constituaient des risques inhérents à l’exploitation de mines à ciel ouvert et ne menaçaient pas la viabilité du défendeur.

La Cour d’appel de l’Ontario (la « CAO ») a infirmé la décision rendue par le juge des motions, en statuant que ce dernier avait appliqué une interprétation indûment étroite du terme « changement ». En s’appuyant sur la jurisprudence de la CSC dans les affaires Danier Leather et Theratechnologies, la CAO a déterminé que l’analyse d’un changement important comporte deux étapes : 1) s’il y a eu un changement, quelle qu’en soit l’ampleur, dans les activités commerciales, l’exploitation ou le capital de l’émetteur; et 2) si, du point de vue d’un investisseur raisonnable, ce changement est important (collectivement, le « critère à deux étapes »). 

Arrêt de la CSC

Le juge Jamal, au nom de huit membres de la CSC (les « juges majoritaires »), a confirmé la décision de la CAO et a rejeté l’appel, confirmant ainsi le critère à deux étapes et son application en l’espèce. Les juges majoritaires ont présenté les observations et conclusions clés qui suivent :

  • Sens du terme « changement » : Les juges majoritaires ont rejeté l’interprétation étroite qu’avait faite le juge des motions des termes « changement », « activités commerciales », « exploitation » et « capital », en soulignant que la législature ontarienne avait intentionnellement laissé ces termes non définis afin qu’ils puissent prendre leur sens selon des contextes factuels divers. Le fait d’imposer une norme plus étroite en matière de divulgation minerait l’objectif de la Loi visant à réduire l’asymétrie informationnelle au moyen de la divulgation en temps utile. 

Les juges majoritaires ont confirmé que le terme « changement » doit être interprété selon son sens ordinaire et contextuel; il n’est pas nécessaire qu’un événement soit fondamental, transformateur ou structurel. Les questions relatives à l’ampleur d’un événement doivent être abordées à la deuxième étape de l’examen — soit l’analyse de l’importance d’un changement — et non à la première étape, laquelle a pour but de déterminer si un changement a eu lieu.

  • Distinction entre faits importants et changements importants : Les juges majoritaires ont confirmé la distinction fondamentale entre les faits importants et les changements importants. Un fait important concerne de l’information au sujet d’un émetteur à un moment donné; un tel fait est abordé dans le cadre des obligations d’information continue qui incombent à l’émetteur. Un changement important, quant à lui, survient entre deux moments dans le temps et il doit être divulgué « sans délai ». Les juges majoritaires ont noté que le critère à deux étapes aide à préserver cette distinction essentielle.
  • Critère d’autorisation : Les juges majoritaires ont clarifié que le demandeur doit établir une possibilité raisonnable ou réaliste, et non pas simplement une possibilité, que l’action soit accueillie au procès, basée sur une analyse plausible des dispositions législatives applicables et des éléments de preuve crédibles à l’appui de la demande. Les juges majoritaires ont précisé toutefois qu’une analyse plausible doit tout de même se fonder sur une interprétation correcte — et non simplement défendable — du régime législatif.

En appliquant leur articulation du critère à deux étapes et du critère d’autorisation, les juges majoritaires ont conclu qu’aux termes de la première étape du critère à deux étapes, les répercussions opérationnelles de l’événement susmentionné, même si elles sont temporaires et découlent d’un environnement minier à risque élevé, étaient suffisantes pour constituer plausiblement un changement dans l’exploitation du demandeur. L’ampleur de l’événement — soit l’objet de la deuxième partie du critère à deux étapes — avait été établie, car aucune partie n’a contesté le fait que l’importance de l’événement pouvait être démontrée plausiblement au procès. L’autorisation de faire valoir la cause d’action avait été dûment accordée. 

L’unique juge dissidente de la CSC, la juge Côté, a déterminé que le pourvoi devait être accueilli. Elle a conclu que seuls les changements aux aspects essentiels ou de haut niveau des activités commerciales, de l’exploitation ou du capital d’un émetteur pouvaient constituer un « changement ». Selon elle, l’interprétation des juges majoritaires brouillait la distinction entre les faits importants et les changements importants. De plus, cette interprétation avait pour effet d’élargir de façon excessive les obligations d’information des émetteurs assujettis.

Conclusion

La CSC a refusé d’approuver une interprétation étroite ou précise du terme « changement important » figurant à la Loi et a confirmé qu’il y a lieu de continuer d’appliquer le critère à deux étapes pour évaluer les changements importants en vertu de la Loi et des autres lois provinciales homologues. La CSC a également clarifié les exigences en matière de preuve et d’analyse au stade de l’autorisation.

Les émetteurs devraient tenir compte de ces conclusions lorsqu’ils évaluent leurs obligations d’information. En particulier, l’approche large et contextuelle confirmée par la CSC souligne l’importance de faire preuve de prudence dans la détermination des changements importants et de fonder ces évaluations sur les faits et les circonstances propres à un événement donné. Cet arrêt de la CSC influencera également l’approche que prendront les émetteurs pour se défendre contre des actions en application de la loi relativement à leurs obligations d’information sur le marché secondaire, lorsque ces actions sont fondées plus précisément sur des allégations de non-respect des obligations d’information occasionnelle.

Pour en savoir davantage, communiquez avec l’un des auteurs ou un membre de nos groupes Litiges en valeurs mobilières ou Marchés des capitaux.

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