Sauter la navigation

La Cour suprême du Canada refuse d’autoriser l’appel dans deux affaires d’arbitrage

28 octobre 2025

Le 18 septembre 2025, la Cour suprême du Canada a refusé d’autoriser l’appel dans deux affaires d’arbitrage bien en vue.

D’abord, la Cour suprême a rejeté la demande d’autorisation d’appel dans l’affaire États-Unis mexicains c. Vento Motorcycles, inc. (l’« affaire Vento »). Dans l’affaire Vento, la Cour d’appel de l’Ontario a annulé une sentence prononcée par un tribunal arbitral en raison d’une crainte raisonnable de partialité à l’endroit d’un des arbitres. La conclusion dans l’affaire Vento, selon laquelle une crainte raisonnable de partialité de la part d’un membre de la formation annulera la décision prise sur le fond par l’ensemble de la formation, conserve donc sa validité.

La Cour suprême a également rejeté des demandes d’autorisation d’appel distinctes présentées par l’Inde et par Airports Authority of India (« AAI ») dans l’affaire République de l’Inde, et al. c. CCDM Holdings, LLC, et al. (l’« affaire Inde/Devas »). Les demandeurs ont tenté de contester le jugement de la Cour d’appel du Québec concernant l’exécution de sentences arbitrales dans le contexte de différends entre un investisseur et un État.

La décision rendue dans l’affaire Vento a déjà fait l’objet d’un précédent Bulletin Blakes, que l’on peut consulter ici : La Cour d’appel de l’Ontario annule une sentence arbitrale en raison d’une crainte raisonnable de partialité. Le reste du présent bulletin porte sur l’affaire Inde/Devas.

Contexte

En 2011, Antrix Corporation Ltd., société d’État de l’Inde, a résilié une entente conclue avec Devas Multimedia Private Ltd. À la suite de cette résiliation, les investisseurs de Devas Multimedia Services Ltd. (« Devas ») ont engagé une procédure d’arbitrage contre l’Inde en vertu de l’Accord bilatéral d’investissement de 1998 (l’« ABI ») entre l’Inde et la République de Maurice pour expropriation illégale de leurs investissements et violation de l’obligation de traitement juste et équitable par l’Inde. Les parties se sont soumises à l’arbitrage et le tribunal a déclaré que l’Inde avait contrevenu à l’ABI et a accordé aux investisseurs des dommages-intérêts de plus de 111 M$ US.

Les investisseurs de Devas ont ensuite demandé la reconnaissance et l’exécution de la sentence arbitrale au Québec. Le 24 novembre 2021, la Cour supérieure du Québec a autorisé la saisie avant jugement des fonds détenus par l’Association du Transport Aérien International (« ATAI »), établie à Montréal, pour le compte d’AAI, société d’État indienne, considérée comme l’alter ego de l’Inde (la « saisie contre AAI »).

Toutefois, cette décision a ensuite été infirmée dans l’affaire CC/Devas (Mauritius) Ltd. c. Republic of India, 2022 QCCS 7. Le 1er juin 2022, l’Assemblée nationale du Québec a adopté le projet de loi intitulé Loi concernant l’Association du Transport Aérien International (la « Loi concernant l’ATAI »), qui protège contre la saisie certains montants détenus par l’ATAI, dont les fonds détenus au bénéfice d’AAI, avec application rétroactive au 5 mai 2022. Le 6 septembre 2022, la Cour supérieure du Québec a conclu que la Loi concernant l’ATAI rendait la saisie avant jugement inopposable pour toutes les sommes d’argent reçues, perçues et détenues par l’ATAI au bénéfice d’AAI depuis le 5 mai 2022 (voir CC/Devas (Mauritius) Ltd. c. Republic of India, 2022 QCCS 3272).

Le 23 décembre 2022, la Cour supérieure du Québec a rejeté la requête de l’Inde visant à faire rejeter la demande de reconnaissance et d’exécution des sentences arbitrales en raison de l’immunité des États, citant en particulier l’exception de renonciation prévue à l’alinéa 4(2)a) de la Loi sur l’immunité des États (L.R.C. (1985), ch. S-18) (voir CC/Devas (Mauritius) Ltd. c. Republic of India2022 QCCS 4785).

Les appels de toutes les décisions ont été accueillis et tranchés ensemble par la Cour d’appel du Québec.

Rétablissement de la saisie contre AAI

La Cour d’appel du Québec a rétabli la saisie de 37,5 M$ US qui avait été annulée par la Cour supérieure du Québec. Elle a statué que les créanciers répondaient aux critères d’une saisie avant jugement et que rien dans la Loi sur l’immunité des États n’empêchait les tribunaux du Québec d’autoriser la saisie avant jugement ex parte des actifs d’un État.

La Cour d’appel du Québec a également conclu que la Loi concernant l’ATAI s’appliquait immédiatement aux saisies visant des fonds détenus par l’ATAI après le 5 mai 2022, conformément à l’intention du législateur. Toutefois, les saisies de fonds détenus avant le 5 mai 2022 sont restées valides.

Renonciation à l’immunité

La Cour d’appel du Québec a confirmé que l’Inde avait renoncé à son immunité de juridiction en vertu de l’alinéa 4(2)a) de la Loi sur l’immunité des États puisqu’elle avait ratifié la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères (la « Convention de New York ») (voir S.R.C. 1985, ch. 16 (2e suppl.), 330 R.T.N.U. 3 et [1986] R.T.C. no 43) en concluant avec la République de Maurice un accord bilatéral d’investissement qui comprenait des dispositions de règlement des différends en arbitrage et en participant à de telles procédures d’arbitrage sans se réserver le droit de réclamer l’immunité.

La Cour d’appel du Québec a également noté que le fait de soumettre un différend à l’arbitrage comprend intrinsèquement le processus subséquent de reconnaissance et d’exécution devant les tribunaux nationaux.

Principaux points à retenir de l’affaire Inde/Devas

  1. La décision confirme la possibilité pour les créanciers de demander et d’obtenir la saisie ex parte d’actifs d’un État étranger après une procédure d’arbitrage, mais avant la procédure de reconnaissance et d’exécution et avant d’obtenir une décision d’un tribunal concernant l’immunité de juridiction.
  2. La décision de la Cour d’appel du Québec confirme également qu’il est possible pour un État de renoncer à son immunité. Les circonstances exactes dans lesquelles une telle renonciation survient demeurent toutefois quelque peu nébuleuses. Dans l’affaire Inde/Devas en particulier, la Cour d’appel du Québec s’est appuyée sur le fait que l’Inde (i) a ratifié la Convention de New York; (ii) a conclu un accord bilatéral d’investissement; et (iii) a participé à la procédure d’arbitrage sans réserver ses droits. Un tribunal pourrait rendre une  autre décision en l’absence de certains de ces facteurs.

Pour en savoir davantage, communiquez avec l’un des auteurs ou avec un autre membre de nos groupes Arbitrage ou Arbitrage aux termes de traités sur l’investissement.

Plus de ressources