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La CSC clarifie la présomption de compétence fondée sur un contrat lié à un différend transfrontalier

Par Spencer Livingstone, Andrew Irwin et Adam Moghaddam (étudiant d'été)
24 septembre 2025

Dans l’affaire Sinclair c. Venezia Turismo (l’« affaire Sinclair »), la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a clarifié les circonstances dans lesquelles les tribunaux canadiens peuvent établir leur compétence à l’égard de différends internationaux ou interprovinciaux.

Un tribunal canadien peut être présumé compétent à l’égard d’un litige étranger si celui-ci est lié à un contrat conclu dans une province canadienne. Dans l’affaire Sinclair, la CSC a précisé les critères nécessaires à l’application de cette présomption et a renforcé la capacité des défendeurs à la réfuter. En confirmant la radiation de réclamations contre les défenderesses étrangères, la CSC a souligné que la compétence d’un tribunal doit être évaluée en fonction de chaque défendeur et que le fait d’avoir compétence à l’égard de l’un ne peut servir à établir la compétence à l’égard de l’autre.

Contexte

Pendant ses vacances en Italie, le demandeur, M. Sinclair, a communiqué avec le service de conciergerie de sa carte de crédit afin d’organiser son transport entre l’aéroport de Venise et son hôtel. Le service de conciergerie a alors engagé un tiers fournisseur de services de voyage qui, lui, a organisé un transport en bateau-taxi. Pendant le trajet, le bateau-taxi a fait un accident dont les membres de la famille Sinclair sont sortis avec plusieurs blessures. À la suite de cet incident, M. Sinclair et son épouse ont intenté une action en responsabilité civile délictuelle en Ontario afin d’obtenir des dommages-intérêts auprès de plusieurs défenderesses associées à l’incident, dont la société italienne qui a organisé le transport en bateau-taxi et celle qui est propriétaire dudit bateau-taxi (les « défenderesses italiennes »).

Aux termes de la décision rendue par la CSC en 2012 dans l’affaire Club Resorts Ltd. c. Van Breda (l’« arrêt Van Breda »), un tribunal canadien peut exercer sa compétence à l’égard d’un défendeur étranger s’il existe un « lien réel et substantiel » entre le différend et la province où l’action est intentée. Le test établi dans l’arrêt Van Breda contient deux volets : 

(1) Existe-t-il un « facteur de rattachement créant une présomption » qui lie le différend à la province?

(2) Dans l’affirmative, le lien réel et substantiel présumé avec la province est-il néanmoins réfuté en l’espèce, compte tenu des circonstances?(

Les Sinclair ont tenté de faire valoir que le facteur de rattachement créant une présomption réside dans le fait que le différend est lié à un contrat conclu en Ontario. Les défenderesses italiennes ont présenté une requête en radiation de la demande pour absence de compétence du tribunal saisi.

La juge des requêtes a conclu que le tribunal ontarien pouvait exercer sa compétence à l’égard des défenderesses italiennes. En se fondant sur le facteur du lien contractuel, la juge a déterminé que les contrats présents dans cette affaire, soit le contrat de titulaire de carte qui offrait aux Sinclair un accès à un service de conciergerie de voyage et le contrat intervenu entre le concierge et le tiers fournisseur, étaient des contrats conclus en Ontario et présentaient un lien suffisant avec le différend pour justifier la compétence d’un tribunal ontarien.

La Cour d’appel de l’Ontario a infirmé cette décision à l’unanimité, soulignant que même si le facteur s’appliquait à la première étape du critère établi dans l’arrêt Van Breda, la présomption était réfutée puisque les faits ne démontraient pas de lien réel et substantiel entre le différend et la province de l’Ontario. Les Sinclair ont alors interjeté appel devant la CSC.

Décision de la CSC

Parmi les juges de la CSC, une majorité de cinq juges (les « juges majoritaires ») s’est prononcée en faveur de la décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario, statuant que le tribunal ontarien n’avait pas compétence pour entendre l’affaire.

Les juges majoritaires ont réitéré que la compétence d’un tribunal doit être examinée en fonction de chaque défendeur. Le lien établi entre un contrat et un litige à l’égard d’un défendeur ne peut être utilisé pour « greffer » la compétence à un autre défendeur, tout comme des liens faibles éventuellement établis ne peuvent être regroupés pour établir la compétence. Pour chaque défendeur, la présomption de compétence fondée sur le facteur du lien contractuel ne s’applique que si le comportement en cause découle du contrat spécifique invoqué.

En appliquant ces principes, les juges majoritaires ont convenu que le contrat entre le titulaire de la carte de crédit, M. Sinclair, et la société émettrice de la carte avait été conclu en Ontario et que la première condition du test de l’arrêt Van Breda était donc satisfaite. Comme ce contrat avait conduit à la réservation du bateau-taxi et que la réservation de ce bateau-taxi avait mené à l’action intentée par M. Sinclair contre les défenderesses italiennes, le deuxième contrat était lui aussi suffisamment lié au litige pour établir une présomption de compétence en faveur du tribunal ontarien.

Les défenderesses italiennes ont néanmoins réussi à réfuter cette présomption. En effet, si la première étape du critère établi dans l’arrêt Van Breda vise à déterminer s’il existe un lien entre le contrat et la province concernée, la deuxième étape de ce critère porte quant à elle sur la force de ce lien. Suivant l’analyse de cette deuxième étape, les juges majoritaires ont conclu qu’il n’existait qu’un faible lien entre le contrat de titulaire de carte et le litige, ce dernier découlant d’un incident survenu en Italie, sur un bateau-taxi italien exploité par un ressortissant italien. Le seul lien entre le litige et la province de l’Ontario relevait du fait que M. Sinclair avait réservé le transport par le biais du service de conciergerie inclus dans le contrat ontarien afférent à sa carte de crédit. Ce contrat avait par ailleurs un faible lien avec les défenderesses italiennes, qui n’y étaient pas parties et n’avaient aucune raison de s’attendre à être poursuivies devant un tribunal ontarien.

Il convient de souligner que quatre juges de la CSC ont exprimé leur dissidence. Contrairement à la majorité, les juges dissidents ont déclaré que les défenderesses italiennes n’étaient pas parvenues à réfuter la présomption de compétence créée par les contrats ontariens. À leur avis, le lien entre ces contrats et le différend n’était pas assez faible pour priver un tribunal ontarien de sa compétence à l’égard de ce qu’ils auraient qualifié de « délits directement interreliés ».

Principaux éléments à retenir

  1. Dans les différends internationaux ou interprovinciaux, la compétence du tribunal doit être évaluée en fonction de chaque défendeur, l’existence d’un lien entre un défendeur et un tribunal canadien ne pouvant servir à fonder la compétence à l’égard des autres parties.
  2. Lorsqu’ils évaluent la compétence en fonction du facteur du lien contractuel, les tribunaux canadiens examinent attentivement les détails du contrat conclu dans le ressort en cause pour établir ou non l’existence d’un lien entre le contrat et le différend, puis ensuite la force de ce lien.
  3. Plusieurs contrats avec des liens faibles ne peuvent être regroupés pour établir la compétence d’un tribunal.

Pour en savoir davantage, communiquez avec l’un des auteurs du présent bulletin ou un autre membre de notre groupe Litige et règlement des différends.

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