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Les F&A et la COVID-19 : mise à jour stratégique

22 mai 2020
Certaines des dispositions que nous commençons à voir dans les modalités et les négociations des opérations sont des choses qu’un acheteur chevronné n’aurait même pas mises sur la table il y a trois mois.
Rory ffrench, associé du groupe Fusions et acquisitions de Blakes
Balado disponible en anglais avec retranscription en français ci-dessous.

Dans cet épisode de notre balado, les avocats de Blakes, Rory ffrench et Cassandra Brown, abordent des questions et des préoccupations liées au marché, de l’évolution des prévisions en matière de fusions et acquisitions jusqu’aux occasions stratégiques et à l’approche du gouvernement à l’égard de la concurrence et des investissements étrangers en période de la COVID-19.

Retranscription

Mathieu : Bonjour, je m’appelle Mathieu Rompré.

Peggy : Et je m’appelle Peggy Moss. Voici le sixième épisode du balado Continuité de Blakes.

Mathieu : Fusionner ou ne pas fusionner, telle est la question. Il reste à voir si cette pratique est plus noble en période de pandémie...

Peggy : Merci, Shakespeare Rompré, c’est toute une entrée en matière.

Mathieu : Merci, je suis assez fier de cette trouvaille.

Peggy : Mais il n’y a pas de raison d’être théâtral. Nos invités sont pragmatiques et francs sur ce qui nous attend dans le domaine des fusions et acquisitions au Canada.

Mathieu : Alors, sans plus attendre, tendons le micro aux associés de Blakes, Rory ffrench, de notre groupe Capital-investissement, et Cassandra Brown, de notre équipe Concurrence et antitrust.

Peggy : Bonjour Rory. Merci de te joindre à nous. Nous sommes ici pour parler du marché actuel des fusions et acquisitions. Beaucoup de choses ont changé au cours des derniers mois. Pouvons-nous supposer que toutes les prévisions du début de l’année sont désormais une chose du passé?

Rory : Nous avons eu un marché des fusions et acquisitions très fort au Canada pendant un certain nombre d’années maintenant, et au tout début de l’année, les gens prévoyaient à peu près la même chose. Les résultats du premier trimestre étaient généralement conformes à ces prévisions. Donc, tout le monde était très optimiste, et tout se passait bien. Mais chaque fois que de telles prévisions sont formulées, elles sont toujours accompagnées de mises en garde, du type « oh, mais vous ne savez jamais quel type d’incertitudes pourrait naître ni quel type d’événements pourrait se produire » et manifestement, nous vivons beaucoup ce type d’incertitude.

Les premières données concernant les résultats du deuxième trimestre suggèrent que nous allons assister à un déclin significatif du volume des opérations, et je peux vous dire que, sur le terrain, c’est vraiment ce que nous voyons. Ce n’est pas comme s’il ne se passait plus rien. On voit encore des opérations qui étaient déjà bien avancées avant l’apparition de la COVID-19. Ces opérations-là finissent par être conclues, par être signées. En fait, j’ai fait partie de quelques opérations qui sont passées à la vitesse supérieure à la lumière de l’émergence de la COVID-19. Les vendeurs stratégiques continuent de vendre leurs actifs secondaires. Les fonds de capital-investissement et les sociétés de portefeuille continuent d’effectuer des opérations d’ajout.

Il y a donc toujours des opérations en cours, mais nous avons certainement constaté un ralentissement, car les gens cherchent à préserver un peu de capital pour s’assurer que leurs entreprises existantes continuent de fonctionner et s’assurer que leurs sociétés de portefeuille sont en bonne santé et prêtes à poursuivre la croissance future des opérations.

Mathieu : Quels grands changements au marché des fusions et acquisitions as-tu remarqués depuis le début de la pandémie?

Rory : Le changement le plus notable est probablement le grand pas en arrière dans la mentalité de la dynamique du marché des vendeurs. Je présente régulièrement l’Étude sur les opérations de capital-investissement de Blakes, et l’un des facteurs clés dont nous parlons souvent avec les clients est le fait qu’avec toutes ces diverses conditions favorables aux vendeurs, il y a une tendance dans les modalités des opérations qui font que celles-ci vont être encore plus favorables aux vendeurs. Les vendeurs ont des attentes très élevées quant à la valeur de leur entreprise. Ils essaient d’obtenir des sorties sans engagement ou presque, et vous avez des acheteurs qui sont prêts à se lancer.

Certaines des dispositions que nous commençons à voir dans les modalités et les négociations des opérations sont des choses qu’un acheteur chevronné n’aurait même pas mises sur la table il y a trois mois, mais maintenant cela fait vraiment partie de la discussion et, au final, on les retrouve dans les ententes négociées.

Mathieu : Pourrais-tu en dire plus à ce sujet? Comment le climat actuel et l’incertitude du marché affectent-ils les opérations?

Rory : Du point de vue de la vérification diligente, je pense que vous voyez les acheteurs regarder, et regarder de façon très détaillée, du côté des vendeurs, du côté des acheteurs, à la fois du point de vue des opérations commerciales et des perspectives financières, en essayant d’évaluer, dans le cas des vendeurs, comment se sont-ils comportés ? Les acheteurs potentiels pour l’entreprise étaient-ils peu nombreux? L’entreprise sera-t-elle capable de passer à travers cette première vague, à travers la deuxième vague, à travers une troisième vague potentielle de COVID-19. Y a-t-il des problèmes et des obstacles qui doivent être surmontés? La vérification diligente juridique va de pair avec cela. Certains vont examiner de plus près les engagements en matière d’emploi, les autres engagements contractuels et les ententes. Est-ce qu’il y a de la flexibilité qui permet de gérer ces types d’incertitudes futures qui peuvent encore surgir et les augmentations ou diminutions des activités qui en résultent.

Du côté de l’évaluation, je pense qu’il est facile de dire « les évaluations sont difficiles en ce moment. » Les prévisions vont dans tous les sens, et donc vous avez des acheteurs et des vendeurs qui ont des difficultés à s’entendre sur ce que devrait être le prix de l’opération. Vous avez aussi le problème des vendeurs qui arrivent sur le marché en s’étant mentalement fiés aux évaluations qu’ils pensaient qu’ils auraient obtenues pour leur entreprise il y a quelques mois. C’est difficile pour eux de s’en détacher et d’accepter un prix plus bas aujourd’hui, alors que seulement quelques mois se sont écoulés. Je pense que c’est la vraie raison pour laquelle vous voyez à nouveau une forte émergence des clauses d’indexation. C’est quelque chose qui aurait été un sujet assez tabou, disons-le, il y a quelque temps. Et maintenant, nous voyons une réelle résurgence des clauses d’indexation parce que l’on constate qu’il s’agit d’un vrai moyen d’essayer de combler l’écart de valorisation.

Et enfin, du côté du financement, ce n’est pas que le financement par emprunt n’est plus disponible, mais je crois qu’on pourrait dire qu’il est probablement disponible en plus petits montants ou à des conditions moins favorables qu’il y a quelques mois. Et je pense donc que l’on voit des acheteurs essayer d’être plus créatifs, que ce soit en utilisant des billets de financement par le vendeur ou en envisageant de plus grandes proportions de capitaux propres pour financer leur prix d’achat avec des idées de refinancement à venir quand les conditions de la dette seront un peu plus favorables et un peu plus à leur goût.

Peggy : Rory, est-ce que quelqu’un voit un bon côté à cette situation? La pandémie crée-t-elle des occasions pour les investisseurs ou les acheteurs stratégiques ?

Rory : Les investisseurs les plus chevronnés ont très bien réussi en période de repli du marché. Et cela ne veut pas dire que tous les investisseurs qui investissent au moment d’un ralentissement économique réussissent bien, mais les participants au marché n’ont pas perdu de vue qu’il y a certainement des occasions à saisir. Comme je pense l’avoir dit au début de notre conversation, les gens ont peut-être levé le pied à l’égard de certaines de leurs activités d’acquisition au début de pandémie pour se concentrer sur les sociétés de portefeuille et les entreprises existantes, mais je pense que, maintenant que nous commençons à sortir de la pandémie et que l’impératif du confinement est en voie d’être un souvenir, les fonds de capital-investissement avec beaucoup de capitaux disponibles et les acquéreurs stratégiques bien capitalisés vont revenir, ils vont voir des occasions, et ils vont chercher à les saisir.

Mathieu : La pandémie affecte les secteurs différemment. Peux-tu nous donner une idée de ce que tu vois sur le terrain?

Rory : L’une des grandes choses qui a résulté de la COVID-19 est évidemment l’adoption rapide et réussie de la technologie par des personnes qui ont pu montrer une certaine résistance jusque-là ou qui ont tardé à s’y mettre. Les entreprises s’orientent vers un travail plus virtuel et à distance, et par conséquent, je pense qu’il va y avoir un appétit accru de la part des sociétés, qui chercheront à entrer dans ce secteur alors que les gens et les entreprises changent la façon dont ils fonctionnent.

De même, je pense que les préférences d’achat des consommateurs changent. Les gens ont utilisé des plateformes de commerce en ligne depuis un certain temps maintenant pour faire des achats en période de confinement à la maison, et donc, je pense que toutes les sociétés de logistique et d’expédition qui se mettent à soutenir une plateforme en ligne et un commerce en ligne peuvent susciter beaucoup d’intérêt dans le cadre des opérations de fusion et acquisition.

Le secteur des soins de santé, évidemment, figure en première place pour tout le monde. Des entreprises en phase de croissance avec de grandes idées arrivent sur le marché, je pense qu’elles vont être attrayantes. Vous savez, l’espace de déploiement des soins de santé était en ébullition avant la COVID-19, et je ne vois aucune raison pour laquelle, après la COVID-19, il ne serait pas encore attrayant, parce que selon moi nous allons voir certains professionnels jusque-là réticents à faire partie d’une plate-forme plus grande décider que maintenant c’est peut-être le bon moment pour ne plus travailler seul.

Et, bien sûr, il va y avoir des opérations visant des sociétés en difficulté. Vous savez, même si nous avons parlé de ceux qui sont sortis gagnants de la COVID-19, il va certainement y avoir des entreprises qui n’auront pas fait aussi bien. Donc, il y aura des opérations visant des sociétés en difficulté dans les secteurs du commerce de détail, des voyages, des loisirs et de l’hôtellerie. Et donc, nous allons voir beaucoup d’activités là aussi et des types d’opérations différents.

Mathieu : Merci Rory d’avoir pris le temps de te joindre à nous.

Rory : Merci de m’avoir reçu.

Mathieu : Nous faisons maintenant la transition vers les incidences des décisions gouvernementales pendant la pandémie. Cassandra Brown, tu es une avocate en droit de la concurrence. Rory a mentionné que certains secteurs ont été touchés plus directement que d’autres. Du point de vue des investissements étrangers, quels secteurs ont été les plus perturbés ?

Cassandra : Merci beaucoup de m’avoir invité aujourd’hui dans le cadre de ce balado. Pour répondre à ta question, le gouvernement du Canada a annoncé un examen approfondi de certains investissements jusqu’à ce que l’économie canadienne se soit remis des effets de la pandémie mondiale. Ceci s’appliquerait aux investissements étrangers directs de toute valeur, avec ou sans contrôle, dans des entreprises canadiennes qui sont liées à la santé publique ou qui participent à l’approvisionnement en biens et en services essentiels aux Canadiens ou au gouvernement. Cette politique s’appliquerait aussi aux investissements étrangers par des investisseurs publics, quelle que soit leur valeur.

Peggy : Qu’est-ce qui motive le gouvernement à cet égard? Est-ce qu’il veut s’assurer de la juste valeur marchande?

Cassandra : Je pense que le volet de la politique qui porte sur les entreprises publiques reflète une préoccupation concernant la possibilité de motivations stratégiques ou non commerciales derrière les investissements dans des entreprises canadiennes dont la valeur a chuté. Cela pourrait être autant un message aux acheteurs et aux vendeurs qu’une annonce sur ce que le gouvernement va faire à l’égard d’un investissement donné. En ce qui concerne le volet de la politique sur la santé publique et les biens et services essentiels, je pense que cela reflète une préoccupation au sujet de la dépendance envers les chaînes d’approvisionnement étrangères, y compris celles qui sont principalement basées aux États-Unis. Par exemple, je pense que probablement tout le monde se souvient de cette affaire liée à l’entreprise 3M, et je pense que c’est ce que le gouvernement essaie en quelque sorte d’éviter à l’avenir ici. Donc, ce volet-là porte, selon moi, plus sur la question de la sécurité nationale que sur celle de l’évaluation.

Peggy : Comment la réponse du gouvernement du Canada à la pandémie se répercute-t-elle sur les entreprises qui cherchent à investir au Canada en ce moment?

Cassandra : Eh bien, la majorité des investissements étrangers au Canada ne sont en fait pas assujettis à une quelconque forme d’examen préalable à la clôture. Ainsi, pour ces types d’investissement, lorsqu’un investissement vise une participation majoritaire, vous avez uniquement besoin de déposer un avis après la clôture dans les 30 jours suivant la clôture. Or, le gouvernement a recommandé que les investisseurs qui sont des entreprises d’État et les investisseurs dans les entreprises liées à la santé publique ou aux biens et services essentiels déposent des avis après la clôture tôt afin d’obtenir la certitude que l’investissement ne sera pas assujetti à un examen de la sécurité nationale.

Quant à tout ce qu’un investisseur individuel voudra faire, je pense que cela dépendra. Cela dépendra des faits, une sorte d’analyse au cas par cas, donc je pense que les investisseurs ont vraiment besoin d’y réfléchir sérieusement lorsqu’ils projettent une opération.

En ce qui concerne les opérations visées par un examen ayant pour but d’établir si celles-ci sont à l’avantage net du Canada, il s’agit d’un très petit nombre d’investissements étrangers au Canada. Il n’y en a eu que neuf l’année dernière, par exemple. Je pense que le gouvernement a signalé que le processus d’approbation pourrait être un peu plus élargi et, en particulier, qu’il s’inscrirait dans les secteurs ciblés, ou lorsqu’une entreprise d’État est impliquée.

En ce qui concerne les situations les plus courantes, par exemple, quand des sociétés de capital-investissement américaines investissent dans des entreprises en dehors de ces secteurs, je pense que c’est en grande partie comme si de rien n’était.

Je pense toutefois que les parties accordent plus d’attention à leur stratégie de dépôt et peuvent peut-être mettre en place des conventions d’opération spécifiques lorsque cela permettra à l’acheteur de déposer son avis après la clôture. Ainsi, les acheteurs peuvent vouloir avoir la certitude de pouvoir préparer et déposer leur avis et attendre 45 jours jusqu’à ce que le délai soit écoulé pour que le gouvernement puisse entreprendre un examen de la sécurité nationale. Par le passé, c’était souvent fait après coup, ou les gens ne se souciaient pas vraiment de prévoir cette possibilité dans les conventions d’opération, et je pense que les gens y consacrent plus d’attention à la lumière de cette politique gouvernementale.

Mathieu : Cassie, du point de vue de la concurrence, serait-il juste de dire que le domaine des fusions et acquisitions sera plus que jamais sous surveillance?

Cassandra : Le Bureau [de la concurrence] a en fait été plus clair quant à ses mesures concernant les questions autres que les fusions pendant la pandémie, par exemple, la publicité trompeuse et les questions de fixation des prix où il est, en quelque sorte, plus incontestable que la conduite cause un préjudice aux consommateurs. À la mi-mars, le Bureau a averti les barreaux que les examens des fusions pourraient être retardés, mais d’après notre expérience, cela n’a pas été le cas jusqu’à présent.

Comme dans le cas de tous les organismes gouvernementaux, les employés du Bureau télétravaillent. Cependant, il est arrivé qu’ils approuvent des opérations plus rapidement que prévu. À titre d’anecdote, nous avons appris que le Bureau a reçu très peu d’avis de fusionnement au cours du mois dernier. Par conséquent, il semblerait que le Bureau ait une certaine capacité excédentaire sur le front de l’examen des fusions. Le personnel a également indiqué au départ que les contacts sur le marché pourraient être plus difficiles dans certains secteurs. Mais, encore une fois, dans l’ensemble, nous n’avons pas vu de retards importants liés à cette situation particulière pour les fusions. Il a été annoncé que le Bureau prioriserait les dossiers liés à la pandémie. Il n’est peut-être pas très évident de voir comment une fusion peut être cruciale pour la pandémie, mais si vous avez une opération où c’était pertinent, je suppose qu’on pourrait s’attendre à ce que celle-ci soit en quelque sorte classée en haut de la liste des priorités du Bureau.

Et la dernière chose que je dirai à ce sujet est que les ralentissements précipitent souvent les fusions et acquisitions visant des sociétés en difficulté, souvent par des investisseurs stratégiques, ce qui entraîne des regroupements dans un secteur et pourrait amener les parties à invoquer davantage des arguments selon lesquels les entreprises ciblées sont en grande difficulté. Il y a des critères stricts pour pouvoir utiliser la défense dite de l’« entreprise en déconfiture », et le Bureau n’assouplira pas ces critères en raison de la pandémie, mais cette défense pourrait être très pertinente et utile pour les parties se trouvant dans la bonne situation.

Peggy : Merci, Cassie et Rory. On dirait que l’avenir nous réserve des choses intéressantes.

Mathieu : Chers auditeurs, si le droit de la concurrence au Canada vous intéresse, n’oubliez pas de consulter notre prochain épisode. Nous discuterons avec les associés Julie Soloway et Navin Joneja.

Peggy : D’ici la prochaine fois, prenez soin de vous et restez en sécurité.

À propos du balado Volume d’affaires de Blakes

Notre balado Volume d’affaires (anciennement Continuité) se penche sur les répercussions que peut avoir l’évolution du cadre juridique canadien sur les entreprises, et ce, dans notre réalité « post-COVID-19 » et dans l’avenir. Des avocates et avocats de tous nos bureaux discutent des défis, des risques, des occasions, des développements juridiques et des politiques gouvernementales dont vous devriez avoir connaissance. Nous abordons par ailleurs divers sujets qui vous importent et qui sont liés à la responsabilité sociale, comme la diversité et l’inclusion.

Si vous souhaitez en entendre davantage sur un sujet en particulier, adressez-vous à notre équipe Communications à [email protected].

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