Le 23 avril 2020, la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») a accueilli l’appel interjeté par le contribuable de la décision de la Cour canadienne de l’impôt (la « CCI ») dans l’affaire Loblaw Financial Holdings Inc. c. La Reine. L’affaire porte sur un revenu de près de 475 M$ CA gagné entre 2001 et 2010 par Glenhuron Bank Limited (« Glenhuron »), banque de la Barbade et filiale en propriété exclusive du contribuable (« Loblaw »). Selon la Couronne, ce revenu constituait un « revenu étranger accumulé, tiré de biens » (un « REATB ») qui devait être imposé entre les mains du contribuable selon la comptabilité d’exercice. La décision de la CAF donne des indications sur l’interprétation de la définition d’une « entreprise de placement » dans les règles sur le REATB et réitère la jurisprudence de longue date au sujet de la distinction entre le capital qui permet la conduite d’une entreprise et la conduite de l’entreprise elle-même.
CONTEXTE
Glenhuron était une société résidente de la Barbade titulaire d’une licence et réglementée en tant que banque internationale à la Barbade. Ses activités comprenaient la détention de titres de créance à court terme en dollars américains, l’octroi de prêts à des tierces personnes des États-Unis qui distribuaient des produits de boulangerie fabriqués par une société du groupe Loblaw, la conclusion de swaps de taux d’intérêt, de swaps de devises et de contrats à terme de capitaux propres avec des tiers et la prestation de services de gestion de placements à des membres du groupe Loblaw. Les fonds de Glenhuron provenaient majoritairement de capitaux propres investis par des membres du groupe Loblaw.
Si le revenu que Glenhuron tirait des activités précitées avait été réputé provenir d’une « entreprise de placement », au sens donné à cette expression au paragraphe 95(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi »), ce revenu aurait constitué un REATB. Glenhuron était une société étrangère affiliée contrôlée de Loblaw et tout REATB gagné par Glenhuron aurait été imposé selon la comptabilité d’exercice entre les mains de Loblaw, qu’il ait ou non été distribué au contribuable.
En règle générale, si l’objectif principal d’une entreprise menée par une société étrangère affiliée est de tirer un revenu de biens, comme des intérêts, des dividendes, des loyers et des redevances, le revenu de cette entreprise sera réputé provenir d’une « entreprise de placement » et sera inclus dans le REATB. La définition d’une « entreprise de placement » prévoit une exception dans le cas d’une banque étrangère dont les activités sont réglementées par des lois étrangères et qui compte plus de cinq employés à temps plein ou l’équivalent, à condition que l’entreprise soit menée principalement avec des parties sans lien de dépendance.
DÉCISION DE LA CCI
La CCI a conclu, entre autres, que le revenu tiré des activités exercées par Glenhuron a été gagné dans le cadre d’une entreprise menée principalement avec des personnes ayant un lien de dépendance, de sorte que cette entreprise n’était pas admissible à l’exception prévue par la définition d’une « entreprise de placement ». Ce raisonnement s’appuie sur la conclusion selon laquelle l’entreprise de Glenhuron était menée avec des sociétés du groupe Loblaw.
Pour parvenir à cette conclusion, la CCI a accordé une grande importance à la collecte de fonds par Glenhuron. Puisque les banques exercent souvent des activités de prêt d’argent, elles peuvent obtenir des fonds dans le cadre de leurs activités bancaires, notamment en acceptant des dépôts de clients. Glenhuron ne s’était pas financée grâce aux dépôts de clients tiers; ses fonds provenaient presque entièrement de ses activités et des capitaux propres investis par des sociétés du groupe Loblaw. Dans son examen des activités exercées dans le cadre de l’« entreprise » de Glenhuron, la CCI a tenu compte de l’investissement de capital dans Glenhuron par le groupe Loblaw. Dans une large mesure, puisque ce capital représentait la quasi‑totalité du financement de Glenhuron, la CCI a conclu que Glenhuron menait son entreprise principalement avec des personnes ayant un lien de dépendance.
DÉCISION DE LA CAF
Loblaw a fait appel de la décision de la CCI devant la CAF, qui a infirmé la décision de la CCI, sauf en ce qui concerne le revenu que Glenhuron a tiré de services de gestion de placements fournis à certaines autres sociétés du groupe Loblaw. La CAF était en désaccord avec plusieurs aspects de l’approche adoptée par la CCI.
La CAF s’est dite préoccupée par le fait que la décision de la CCI ne tenait pas compte de la jurisprudence de longue date, qui établit une distinction entre le capital permettant la conduite d’une entreprise et les activités exercées pour gagner un revenu. Glenhuron aurait consacré peu de temps et d’attention à l’investissement de capital dans celle‑ci par le groupe Loblaw. Par conséquent, la CAF a conclu que ces investissements ne faisaient pas partie de la conduite de l’entreprise de Glenhuron.
Pour déterminer si l’entreprise de Glenhuron est menée principalement avec des personnes sans lien de dépendance, la CAF a fait abstraction de la réception de fonds et s’est intéressée plutôt à ses activités génératrices de revenus. Or, ces activités étaient centrées principalement sur l’acquisition et la couverture de titres de créance américains à court terme émis par des parties sans lien de dépendance, ce qui corrobore la conclusion selon laquelle Glenhuron menait son entreprise principalement avec des personnes sans lien de dépendance.
La CCI avait également fait remarquer que certaines des activités de Glenhuron étaient exercées pour le compte d’autres sociétés membres du groupe Loblaw. La CAF a affirmé que ce raisonnement ne respectait pas le principe fondamental voulant qu’une société et ses actionnaires soient des entités distinctes.
La CAF s’est aussi penchée sur la façon dont le terme « entreprise » dans la définition d’une « entreprise de placement » devrait être interprété dans le contexte bancaire. En se référant à une décision en matière de droit constitutionnel rendue par la Cour suprême du Canada (la « CSC ») dans l’affaire Canadian Pioneer Management Ltd. c. Conseil des relations du travail de la Saskatchewan (1979), [1980] 1 RCS 433, la CSC a adopté une approche « formelle et institutionnelle » pour définir ce qu’est une entreprise bancaire, qui reposait sur la question de savoir si l’entité était autorisée à revendiquer le statut de banque et était réglementée comme telle. La CAF a fait valoir que si la CCI avait adopté une approche semblable, elle n’aurait pas eu de motif raisonnable de conclure que le critère de l’absence de lien de dépendance dans l’exception prévue par la définition d’une « entreprise de placement » doit tenir compte à la fois de la réception de fonds et de l’utilisation qui en est faite en l’espèce.
La CAF a par ailleurs remis en cause l’importance que la CCI a accordée au fait que Glenhuron n’avait pas à livrer concurrence avec d’autres entités pour obtenir du financement dans sa conclusion selon laquelle Glenhuron ne menait pas son entreprise principalement avec des personnes sans lien de dépendance. La CAF a déclaré que cet argument revenait à inférer une intention législative non exprimée, ce qui n’était pas approprié dans un contexte où le REATB est considéré sous l’angle de détails paralysants.
La Couronne avait fait valoir que l’acceptation de la position de Loblaw permettrait aux contribuables de conserver des portefeuilles de placements à l’étranger sans être assujettis à l’impôt sur le revenu canadien. La CAF a reconnu cette préoccupation, mais a réitéré que celle‑ci ne pouvait pas justifier que l’on donne à la législation une interprétation plus large que celle à laquelle elle peut se prêter raisonnablement. La CAF a ajouté que le Parlement semblait avoir comblé ce vide législatif avec l’adoption, dans le budget de 2014, du paragraphe 95(2.11) de la Loi qui limite l’exception relative aux « banques étrangères » prévue par la définition d’une entreprise de placement aux sociétés étrangères affiliées d’institutions financières qui respectent certaines conditions.
RÉPERCUSSIONS
En accordant une telle importance à la réception de fonds, la CCI a confondu la collecte de fonds, qui fait partie de l’entreprise d’une banque, avec la mobilisation de capital à long terme par une banque. Une telle interprétation pourrait avoir d’importantes répercussions sur l’admissibilité des banques étrangères à l’exception prévue par la définition d’une « entreprise de placement » au paragraphe 95(1) de la Loi. La décision de la CAF est bien accueillie, car elle reconnaît qu’il existe une distinction entre le financement à long terme d’une banque, comme les apports de capital, et la collecte de fonds dans le cadre de l’entreprise d’une banque, comme les dépôts de clients.
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