Lorsqu’une combine à la Ponzi s’effondre, de quelle manière un syndic de faillite doté de ressources limitées devant répondre à des centaines d’investisseurs innocents, dont certains en ressortent bénéficiaires et d’autres perdants, peut-il gérer tous les enjeux qui entrent en conflit de manière équitable et rentable? La Cour suprême de la Colombie-Britannique a récemment offert une réponse à cette question.
Dans l’affaire My Mortgage Auction Corp. (Re) (en anglais seulement), la Cour suprême de la Colombie-Britannique a accueilli une demande de jugement visant à recouvrer des sommes versées à plus de 500 investisseurs dans le cadre d’une combine à la Ponzi de plusieurs millions de dollars réalisée par Gregory Joseph Martel par l’intermédiaire de My Mortgage Auction Corp (« MMAC »). Il s’agissait de la première demande du genre en Colombie-Britannique.
Contexte
MMAC était inscrite comme courtier hypothécaire. M. Martel était propriétaire unique et administrateur de MMAC, dont les activités comprenaient la sollicitation de fonds dans le but de financer des prêts-relais pour des parties qui avaient besoin de financement à court terme. En réalité, il n’y avait aucun prêt-relais. MMAC présentait plutôt toutes les caractéristiques d’une combine à la Ponzi, y compris la promesse de rendements élevés avec peu de risques et l’utilisation des fonds provenant des nouveaux investisseurs pour rembourser les investisseurs antérieurs. De 2018 à 2023, MMAC dirigeait une immense combine à la Ponzi, sur ordre de M. Martel, qui a permis d’amasser plus de 300 M$ CA auprès d’investisseurs par des moyens frauduleux. En fin de compte, plus de 1 200 investisseurs ont perdu de l’argent dans cette combine.
PwC a été nommée séquestre de MMAC en mai 2023 et l’a mise en faillite en juin. M. Martel a été mis en faillite en août. Malgré les pertes importantes subies par certains investisseurs, le syndic a trouvé environ 500 d’entre eux qui sont ressortis « bénéficiaires nets » parce qu’ils ont reçu un rendement dépassant leur investissement, sans savoir qu’il s’agissait d’une combine à la Ponzi. Il était clair qu’il s’avèrerait long et coûteux d’intenter des procédures distinctes contre chacun de ces bénéficiaires nets pour récupérer ces sommes et que cette stratégie ne permettrait de récupérer qu’une somme minime, voire nulle, pour l’actif de la faillite.
Par conséquent, en mai 2025, le syndic a présenté une demande unique dans le but de recouvrer : (i) les sommes versées à tous les investisseurs faisant partie de la combine en excédent de leur capital investi (les « fonds excédentaires »); (ii) les paiements qui constituent des traitements préférentiels en vertu de l’alinéa 95(1)a) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la « LFI ») (les « paiements préférentiels »).
Décision
Le tribunal a accueilli la demande du syndic et convenu qu’il s’agissait de la façon la plus pratique, efficace et efficiente de recouvrer les fonds excédentaires et les paiements préférentiels. En revanche, le tribunal a conclu que le long processus complexe selon lequel le syndic devait intenter des procédures distinctes, suggéré par certains bénéficiaires nets s’opposant à la demande du syndic, constituerait une tactique dilatoire visant à épuiser les ressources financières limitées restantes de l’actif de la faillite afin d’échapper à la responsabilité.
Constatations préliminaires
Le tribunal a estimé que M. Martel exploitait une combine à la Ponzi par l’intermédiaire de MMAC. Il a aussi rappelé le principe reconnu en droit canadien voulant que de telles combines étaient insolvables dès le départ.
Le tribunal était également convaincu que la demande du syndic, qui s’apparentait à un procès sommaire, constituait la procédure adéquate pour gérer ce dossier, ajoutant que ce processus était prévu dans la LFI et qu’il était soutenu par les règles de la Cour suprême en matière de procédure civile (Supreme Court Civil Rules) ainsi que la jurisprudence.
Paiements préférentiels
Le tribunal a soutenu que les paiements préférentiels constituaient des préférences en vertu de l’alinéa 95(1)a) de la LFI et a établi ce qui suit :
- les paiements préférentiels sont survenus pendant la période commençant à la date précédant de trois mois la date de l’ouverture de la faillite et se terminant à la date de la faillite;
- les paiements préférentiels ont été faits dans le but de procurer à leur destinataire une préférence sur les autres créanciers;
- les destinataires des paiements préférentiels répondaient à la définition de « créancier » en vertu de la LFI.
Les exigences légales ont donc été donc remplies, et les paiements préférentiels ont été déclarés nuls et ont dû être remboursés à l’actif de la faillite.
Transferts frauduleux
Le tribunal a également soutenu que le paiement des fonds excédentaires aux bénéficiaires nets constituait des transferts frauduleux, en contravention de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Fraudulent Conveyance Act et a établi ce qui suit :
- le transfert des fonds excédentaires aux bénéficiaires nets constituait des dispositions de biens;
- les paiements de fonds excédentaires ont été effectués dans l’intention de retarder, d’entraver ou de frauder les créanciers de MMAC et d’autres personnes;
- le paiement de fonds excédentaires a bien eu pour incidence de retarder, d’entraver ou de frustrer les créanciers de MMAC.
Par conséquent, les exigences légales ont été remplies et ces paiements ont été déclarés nuls et devaient être remboursés à l’actif de la faillite.
Enrichissement injustifié
En outre, le tribunal a affirmé que la loi sur l’enrichissement injustifié exige le remboursement des profits réalisés grâce à une combine à la Ponzi indépendamment de l’innocence des personnes qui en bénéficient et il a mentionné ce qui suit :
- les bénéficiaires nets s’étaient enrichis grâce aux fonds excédentaires;
- l’actif de la faillite a été privé de ces fonds, lesquels auraient normalement été disponibles pour rembourser l’ensemble des créanciers de MMAC, y compris les bénéficiaires nets;
- il n’y avait aucun motif juridique pouvant justifier que les bénéficiaires nets conservent les fonds excédentaires qui constituaient des « faux profits ».
Indu reçu
Enfin, le tribunal a jugé que les fonds excédentaires constituaient un indu reçu (soit des fonds qu’une partie a reçus alors que la loi affirme qu’il serait injuste qu’elle les conserve et que cela serait contraire à la bonne conscience) et il a déclaré ce qui suit :
- il serait injuste de permettre aux destinataires de « profits » d’une combine à la Ponzi de conserver ces faux profits alors que d’autres personnes ont subi des pertes immenses;
- la défense de la contrainte ou du changement de situation ne pouvait être utilisée par les bénéficiaires nets sans tenir compte de l’ensemble de la situation, et elle ne s’appliquait pas dans le contexte d’une combine à la Ponzi.
Points à retenir
Cette décision confirme que les profits illicites tirés d’une combine à la Ponzi peuvent être recouvrés de multiples investisseurs dans le cadre d’une seule action consolidée. La décision mentionne également des principes importants sur la nature des combines à la Ponzi et les causes d’action disponibles lorsque ces combines s’effondrent. Elle sera probablement très utile pour les officiers de justice qui tentent de gérer de manière efficace et efficiente les problèmes qui se présentent lorsque des personnes insolvables ont exercé des activités frauduleuses.
Blakes a représenté PricewaterhouseCoopers (PwC), agissant en qualité de syndic des faillites regroupées de My Mortgage Auction Corp. et de M. Martel devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique.
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