Dans l’arrêt Kingdom Langley Project Ltd. Partnership v. WQC Mechanical Ltd. (l’« arrêt Kingdom Langley »), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « CACB ») a confirmé la validité des privilèges « Shimco », soit des privilèges sur la retenue légale que doivent conserver les propriétaires, les entrepreneurs et les sous-traitants en vertu de la Builders Lien Act (la « Loi »). Ces privilèges avaient été reconnus dans la décision Shimco Metal Erectors Ltd. v. North Vancouver (District) (l’« arrêt Shimco »), une décision largement controversée qui avait été rendue en 2003 par la CACB et qui confirmait que la Loi établit, à l’égard de la retenue, un privilège distinct de celui attaché aux biens-fonds et aux améliorations foncières.
Dans l’arrêt Kingdom Langley, la CACB a été invitée à invalider l’arrêt Shimco. Reconnaissant que l’arrêt Shimco créait certaines difficultés pratiques pour les propriétaires et les entrepreneurs, la CACB a toutefois confirmé la structure à double privilège qui découle de l’arrêt Shimco et a statué que l’octroi d’une garantie en conformité avec l’article 24 de la Loi n’a pour effet d’annuler, ni même d’éteindre un privilège sur la retenue.
Contexte historique des privilèges « Shimco »
La Loi exige que les parties contractantes retiennent 10 % de chaque paiement effectué dans la chaîne de paiement afin de protéger les acteurs se trouvant en aval de cette chaîne en cas de non-paiement. Elle confère également un privilège aux entrepreneurs, aux sous-traitants et aux travailleurs qui n’ont pas encore été payés. Ce privilège se grève aux droits du propriétaire sur le bien-fonds et ses améliorations.
Dans l’arrêt Shimco, la CACB a confirmé que la Loi crée également un privilège distinct à l’égard de la retenue. Contrairement au privilège d’origine législative grevant le bien-fonds et ses améliorations, un privilège « Shimco » n’est pas assujetti aux délais prévus dans la Loi, ne suit pas les mêmes règles en matière d’expiration et n’est pas enregistré au registre foncier. Par conséquent, grâce à l’arrêt Shimco, les entrepreneurs, sous-traitants et travailleurs qui n’ont pas encore été payés peuvent faire valoir leurs droits et exercer leur privilège sur les fonds retenus tant que ces fonds sont conservés, et ce, même s’ils n’ont plus de privilège valide à l’égard du bien-fonds et des améliorations foncières.
L’arrêt Shimco a introduit des incertitudes conceptuelles et procédurales, créant plus particulièrement des délais potentiels dans le déblocage des sommes retenues.
Arrêt Kingdom Langley : Contexte du litige
Dans l’arrêt Kingdom Langley, le litige en cause a trait à la construction d’un projet d’aménagement résidentiel. Dans le cadre de ce projet, Western Quality Construction (« WQC ») a exécuté des travaux de sous-traitance aux termes d’un contrat conclu avec l’entrepreneur général Metro-Can Construction Ltd. (« Metro-Can »), lui-même lié au propriétaire, Kingdom Properties Ltd. (« Kingdom »), aux termes d’un contrat principal.
WQC a déposé un privilège de construction sur le bien-fonds pour travaux impayés. Pour lever le privilège sur le titre, Metro-Can a déposé une caution en garantie en vertu de l’article 24 de la Loi. Elle a également déposé son propre privilège de construction sur le bien-fonds. Kingdom a alors déposé le montant demandé par Metro-Can en fiducie auprès de ses avocats en guise de garantie des privilèges de cette dernière. La garantie fournie par Kingdom comprenait les fonds retenus auprès de Metro-Can. Au fil du temps, d’autres sous-traitants ont également déposé des privilèges de construction, lesquels devaient être annulés au moment où ils obtiendraient le droit de présenter une réclamation à l’encontre de la garantie fournie par Kingdom.
En 2023, WQC a demandé le paiement de ses droits non contestés au moyen de la garantie fournie par Kingdom, invoquant l’arrêt Shimco pour faire valoir son droit de réclamer un paiement sur les fonds retenus. WQC a aussi allégué qu’elle devrait avoir le droit de présenter une réclamation à l’encontre de la caution fournie par Metro-Can. De son côté, Kingdom a contesté le droit de WQC de faire valoir un privilège à l’encontre des fonds retenus, au motif que la réclamation réelle de WQC à l’égard de la retenue avait été annulée par le dépôt, par Metro-Can, d’un cautionnement tenant lieu de privilège à titre de garantie.
S’appuyant sur l’arrêt Shimco, le juge de première instance a statué que WQC n’avait pas renoncé à sa réclamation réelle à l’égard de la retenue en acceptant la garantie, et que le privilège sur la retenue était indépendant et exécutoire. Il a donc été ordonné à Kingdom de libérer la quote-part de WQC dans ces fonds.
CACB : L’arrêt Shimco demeure un précédent contraignant
En appel devant une formation de cinq juges, Kingdom a plaidé que le tribunal avait erré dans l’arrêt Shimco. Selon elle, la Loi devrait être interprétée comme créant un seul privilège à l’égard du bien-fonds, de ses améliorations et de la retenue.
La CACB a reconnu que l’arrêt Shimco créait certaines difficultés pour le secteur de la construction, mais estime n’avoir aucune raison d’infirmer la décision en cause. Elle a ajouté que dans cet arrêt, le tribunal concluait à bon droit que le libellé de la Loi sous-entend très clairement l’existence d’un privilège distinct sur la retenue. La CACB a noté que l’interprétation de Kingdom, bien que plausible, exigerait une refonte de la Loi, ce qui va au-delà du pouvoir judiciaire.
La CACB a également établi que la conclusion de l’arrêt Shimco, affirmant que le privilège sur la retenue n’est pas assujetti aux dispositions législatives en matière d’extinction, découle de la structure de la Loi, puisque l’article 24 et les dispositions connexes mentionnent uniquement les privilèges sur les biens-fonds ou les améliorations foncières. La CACB a déterminé que l’ordonnance de garantie prévue par l’article 24 et le cautionnement associé déposé par Metro-Can n’avaient aucun effet sur le privilège de WQC à l’égard de la retenue, et que rien dans la Loi ne limitait WQC à faire valoir son privilège sur le cautionnement plutôt que sur la retenue.
Principaux points à retenir
La CACB a confirmé que la Loi traite les privilèges sur les biens-fonds et sur les retenues comme deux mécanismes juridiques distincts.
Entre autres, les propriétaires et les entrepreneurs doivent garder à l’esprit que, même si l’octroi d’une garantie en vertu de l’article 24 de la Loi annule les privilèges enregistrés sur un bien-fonds, il n’éteint pas les privilèges sur la retenue. Bien que la CACB n’ait pas exclu la possibilité qu’un privilège « Shimco » soit annulé par l’ordonnance d’un tribunal, elle a confirmé que la Loi ne prévoit pas d’autre moyen que le règlement de la réclamation sur le fond pour annuler un privilège « Shimco ».
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