Le 3 juin 2025, le nouveau gouvernement fédéral du Canada a présenté le projet de loi C-2 (le « projet de loi »), la Loi visant une sécurité rigoureuse à la frontière, en première lecture à la Chambre des communes. Le projet de loi propose d’importantes modifications à la législation canadienne sur le recyclage des produits de la criminalité et introduirait dans le secteur canadien des services financiers un nouveau cadre de sanctions administratives pécuniaires (le « cadre de sanctions ») sans précédent pour ce qui est de la sévérité des sanctions. Si le projet de loi est adopté, le nouveau cadre de sanctions pourrait transformer la façon dont les institutions financières et les autres entités déclarantes abordent les risques en matière d’application de la loi auxquels elles s’exposent en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (« LRPCFAT »).
Le projet de loi exigerait que toutes les entités déclarantes en vertu de la LRPCFAT s’inscrivent auprès du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (« CANAFE ») et renouvellent périodiquement leur inscription. Le projet de loi interdirait complètement aux entreprises et aux organismes de bienfaisance de l’économie canadienne d’accepter des paiements en espèces de 10 000 $ CA ou plus, sous réserve d’exceptions prévues par règlement. Il serait également interdit aux entités financières d’accepter, de la part de tiers, des dépôts en espèces. Les dispositions de la LRPCFAT relatives au partage de renseignements seraient par ailleurs élargies, notamment pour permettre un meilleur partage entre le secteur public et le secteur privé. Il convient de noter que bon nombre des nouvelles mesures incluses dans le projet de loi avaient été annoncées pour la première fois dans l’Énoncé économique de l’automne de 2024 publié par le gouvernement fédéral du Canada en place avant la dernière élection.
Nous examinons ces propositions de modification et d’autres éléments clés du projet de loi plus en détail ci-après.
Refonte majeure du cadre des sanctions
La LRPCFAT permet actuellement à CANAFE d’infliger des sanctions aux entités déclarantes en cas de non-conformité à la LRPCFAT et aux règlements pris en application de celle-ci. La nature d’une éventuelle violation est classée selon trois catégories distinctes; soit mineure, grave et très grave, lesquelles catégories sont assorties de sanctions maximales de 1 000 $ CA, de 100 000 $ CA et de 500 000 $ CA, respectivement. À l’heure actuelle, la plupart des violations sont considérées comme mineures ou graves. Les violations considérées « très graves » concernent surtout l’omission de soumettre une déclaration d’opération douteuse ou de se conformer à une instruction du ministre.
Nouvelles sanctions
Le projet de loi prévoit une hausse considérable des sanctions administratives pécuniaires maximales pouvant être infligées en vertu de la LRPCFAT, les rehaussant de 40 fois, peu importe la nature des violations commises. Si le projet de loi est adopté, les violations mineures, graves et très graves seraient passibles de sanctions maximales de 40 000 $ CA, de 4 M$ CA et de 20 M$ CA, respectivement. Le projet de loi élargirait également la liste des violations classées comme « très graves » afin d’y inclure tout manquement aux exigences prévues par la loi relativement au programme de conformité des entités, y compris l’obligation pour celles-ci de se doter de politiques et de procédures en matière de conformité, d’effectuer une évaluation des risques ainsi que des tests d’efficacité, de nommer un agent de conformité et de mettre en œuvre un plan de formation. Le projet de loi introduirait une nouvelle exigence visant les entités déclarantes, selon laquelle chacune de ces entités devrait s’assurer que son programme de conformité est « raisonnablement conçu, fondé sur les risques et efficace ». Cette nouvelle exigence, dont la violation serait considérée comme « très grave », permettrait à CANAFE d’évaluer les éléments et l’efficacité d’un programme de conformité à la législation sur le recyclage des produits de la criminalité de façon plus approfondie au cours d’un examen. Le projet de loi augmenterait par ailleurs la possibilité que l’organisme de réglementation compétent remette en question les décisions souvent complexes prises par les entités déclarantes à l’égard de la conception et de la mise en œuvre de leurs programmes de conformité.
Ces modifications représentent un changement important dans le cadre d’application de la LRPCFAT, particulièrement dans le contexte d’une approche plus ferme de CANAFE en ce qui a trait à l’application de la loi depuis les deux dernières années. En raison des sanctions beaucoup plus élevées et du pouvoir discrétionnaire accru des organismes de réglementation, les entités déclarantes pourraient être plus enclines à contester par voie d’appel judiciaire les mesures prises à leur encontre.
Somme maximale
Aux termes du nouveau cadre de sanctions, la somme maximale en cas de violations multiples serait soit de 20 M$ CA, soit de 3 % des recettes globales brutes de l’entité déclarante, si ce montant est supérieur à 20 M$ $ CA. À titre indicatif, la somme la plus élevée jamais imposée jusqu’à présent par CANAFE est inférieure à 10 M$ CA. Pour certaines très grandes entités déclarantes canadiennes, le nouveau plafond de 3 % pourrait entraîner une sanction cumulative supérieure à 1 G$ CA, selon les recettes brutes déclarées. Il convient de noter que si une entité déclarante est membre d’un groupe d’entités, le nouveau plafond s’appliquerait au niveau du groupe. Par exemple, une filiale canadienne d’un groupe de sociétés étrangères pourrait être assujettie à un plafond fondé sur les recettes globales brutes des membres de son groupe à l’extérieur du Canada.
Capacité à payer
Le projet de loi introduirait parmi les facteurs à prendre en considération pour déterminer le montant d’une sanction la capacité de l’entité déclarante concernée à payer la sanction qui lui sera infligée; le préjudice causé par la violation et le principe selon lequel une sanction devrait viser à accroître la conformité à l’avenir plutôt qu’à punir figurant au nombre des autres facteurs. Cela dit, le projet de loi prévoit d’imposer des exigences strictes quant à la façon dont une entité déclarante pourra présenter des éléments de preuve à CANAFE concernant sa capacité à payer, tant au moment de l’évaluation initiale que par la suite. Nous nous attendons à ce que les règlements pris ultérieurement viennent clarifier l’application de ce nouveau facteur et les éléments de preuve à fournir.
Transactions et ordres de conformité
Toute entité déclarante qui commettra une violation serait tenue de conclure une transaction avec CANAFE. Cette transaction serait obligatoire et définirait les mesures que l’entité déclarante devrait prendre pour se conformer aux exigences de la LRPCFAT dans un délai fixé par CANAFE. Si une entité déclarante ne concluait pas la transaction ou ne s’y conformait pas, CANAFE devrait donner un ordre de conformité exigeant que l’entité déclarante communique publiquement les mesures qu’elle doit prendre pour se conformer à la LRPCFAT, ainsi qu’une date limite pour devenir conforme. Le défaut de se conformer à un ordre de conformité pourrait entraîner une pénalité maximale de 30 M$ CA ou correspondant à 3 % des recettes globales brutes de l’entité déclarante, selon le montant le plus élevé. La violation d’un ordre de conformité serait également ajoutée à la liste des motifs dont la Banque du Canada peut tenir compte pour refuser d’inscrire un fournisseur de services de paiement ou révoquer l’inscription d’un tel fournisseur en vertu de la Loi sur les activités associées aux paiements de détail.
Pénalités en cas d’infractions
En vertu de la LRPCFAT, une contravention à une exigence législative peut mener à une action en justice aux termes du cadre de sanctions ou du régime pénal. Le projet de loi multiplierait par dix ou plus les amendes pénales pouvant être imposées en cas d’infractions, allant de 2,5 M$ CA à 20 M$ CA, selon l’infraction. Si une contravention était considérée comme une infraction aux fins d’une action en justice, aucun plafond ne serait appliqué aux amendes pouvant être imposées.
Les violations présumées avoir été commises avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions seraient assujetties au cadre actuel en matière de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité, tandis que celles qui seraient commises après l’entrée en vigueur seraient assujetties aux nouvelles dispositions.
Nouvelles exigence relative à l'inscriptio
Le projet de loi exigerait que toutes les entités déclarantes en vertu de la LRPCFAT demandent et maintiennent leur inscription auprès de CANAFE, comme c’est le cas actuellement pour les entreprises de services monétaires (« ESM »). Les entités déclarantes auraient l’obligation de tenir à jour l’information devant être soumise aux fins d’inscription et de renouveler périodiquement leur inscription. Les détails du processus d’inscription seraient énoncés dans la nouvelle réglementation.
Les nouvelles dispositions relatives à l’inscription permettraient à CANAFE d’exercer une surveillance générale sur les différents types d’entités assujetties à la LRPCFAT et de refuser ou de révoquer l’inscription d’une entité si celle-ci omet de payer une pénalité à la suite d’une violation de la LRPCFAT ou encore s’il détermine que l’entité déclarante entretient une « relation réglementaire » avec une autre entité déclarante qui n’a pas payé une pénalité. L’incidence qu’aurait la révocation de l’inscription d’une entité sur la capacité de celle-ci d’exercer ses activités au Canada n’est pas claire, dans la mesure où le fait de ne pas être inscrite constituerait une contravention à la LRPCFAT. Des règlements et des directives supplémentaires seraient nécessaires pour clarifier ces questions. CANAFE serait par ailleurs autorisé à enquêter sur les activités commerciales et les affaires internes de toute entité ou de tout particulier qu’il croit raisonnablement être assujetti à la LRPCFAT. À l’heure actuelle, les ESM représentent le seul type d’entité déclarante tenu de s’inscrire auprès de CANAFE. Le processus d’inscription pour les autres types d’entités déclarantes serait largement similaire à celui applicable aux ESM. Tout comme le registre en ligne des ESM de CANAFE, CANAFE tiendrait un registre public des entités déclarantes inscrites.
Nouvelles exigences liées à la conception et à l'efficacité d'un programme de conformité
Comme il a été mentionné précédemment, aux termes du projet de loi, le défaut de s’assurer qu’un programme de conformité est raisonnablement conçu, fondé sur les risques et efficace constituerait une violation en vertu de la LRPCFAT. Ce nouveau cas de violation donnerait à CANAFE un plus grand pouvoir discrétionnaire lui permettant d’être plus directif quant à ce qu’il attend d’un programme de conformité efficace et de prendre des mesures d’application de la loi en cas de non-respect de ses attentes, et même dans le cas où le programme de conformité visé est autrement conforme aux exigences plus précises de la LRPCFAT.
Les entités déclarantes pourraient donc avoir plus de difficulté à prévoir si CANAFE jugera leur programme efficace et bien conçu. CANAFE pourrait également se prévaloir de cette disposition pour comparer les entités déclarantes relativement au nombre d’opérations douteuses signalées ou d’autres déclarations effectuées ou encore dans le but de l’aider à évaluer si les programmes de conformité mis en place par les entités qui produisent moins de déclarations sont efficaces. Le défaut de s’assurer qu’un programme de conformité est raisonnablement conçu, fondé sur les risques et efficace constituerait une violation « très grave », la nature de cette violation ayant été abordée précédemment.
Nouvelles restrictions relatives aux opérations en espèces
Aux termes du projet de loi, « [commettrait] une infraction toute personne ou entité qui se livre à l’exploitation d’une entreprise ou à l’exercice d’une profession ou qui sollicite des dons de bienfaisance en argent du public ou entité qui exploite une entreprise, exerce une profession ou sollicite des dons de bienfaisance auprès du public » et qui accepte un paiement, don ou dépôt en espèces de 10 000 $ CA ou plus dans le cadre d’une même opération ou d’une série d’opérations liées réglementaire. Cette interdiction ne se limiterait pas aux entités déclarantes et semble s’appliquer notamment aux opérations importantes en espèces dans l’ensemble de l’économie canadienne. Notons d’ailleurs que seules les banques, les caisses populaires et les sociétés de fiducie et de prêt ne seraient pas visées par cette interdiction. Les autres entités déclarantes, y compris les entreprises de services monétaires, les maisons de courtage de valeurs, les casinos et les agents immobiliers, ne seraient pas exemptées, bien que le projet de loi prévoie l’établissement d’exceptions supplémentaires dans de futurs règlements.
De plus, le projet de loi interdirait aux entités financières d’accepter des dépôts en espèces dans le compte d’un déposant qui n’est ni le titulaire du compte ni autorisé à donner des instructions sur le compte, sous réserve de certaines exceptions. Les entreprises de services monétaires, les maisons de courtage de valeurs et les autres entités déclarantes ne seraient pas assujetties à cette interdiction.
Comptes anonymes
Le projet de loi modifierait le libellé actuel de la LRPCFAT interdisant à des entités déclarantes d’ouvrir des comptes pour des personnes dont elles n’ont pas été mesure de vérifier l’identité en conformité avec les exigences législatives. Les modifications proposées prévoient d’ajouter une interdiction d’ouvrir un compte pour une personne dont le nom est « manifestement fictif ».
Partage de renseignements accru
Le projet de loi apporterait plusieurs modifications aux dispositions sur le partage de renseignements comprises dans la LRPCFAT. Plus particulièrement, il permettrait aux organismes d’application de la loi de communiquer des renseignements personnels aux entités déclarantes et permettrait aux entités déclarantes de recueillir et d’utiliser de tels renseignements à l’insu ou sans le consentement des personnes concernées. Il serait notamment permis de le faire lorsque les organismes d’application de la loi affirment que cette communication vise à détecter ou à décourager le recyclage des produits de la criminalité, le financement des activités terroristes ou le contournement de sanctions, ou pour tout autre motif « compatible » avec l’une de ces fins, et que la communication, à la connaissance ou avec le consentement de la personne concernée, compromettrait ces fins.
Le projet de loi ajouterait le directeur de CANAFE parmi les membres du Comité de surveillance des institutions financières (le « Comité »). Il permettrait par ailleurs le partage de renseignements au sein du Comité, dont les membres actuels sont le surintendant des institutions financières, la commissaire de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, le gouverneur de la Banque du Canada, la première dirigeante de la Société d’assurance-dépôts du Canada et le sous-ministre des Finances.
CANAFE serait autorisé à communiquer au commissaire aux élections fédérales les renseignements qu’il recueille auprès des entités déclarantes lorsqu’il y a des motifs raisonnables de soupçonner que ces renseignements pourraient être utiles relativement à une infraction à la Loi électorale du Canada.
Principaux points à retenir
Le projet de loi constituerait la refonte la plus radicale du régime canadien d’application de la loi en matière de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité à ce jour, notamment en introduisant un cadre de sanctions sans précédent dans le secteur canadien des services financiers en ce qui a trait à la sévérité des sanctions pouvant être infligées. Le projet de loi s’inscrit dans la lignée des modifications législatives qui ont considérablement élargi la portée de la LRPCFAT au cours des deux dernières années, faisant entrer dans son champ d’application un éventail de nouveaux secteurs d’activité, notamment les prêteurs et les courtiers hypothécaires, les sociétés de financement et de location, les assureurs de titres, les exploitants de guichets automatiques bancaires.
Compte tenu de ce que prévoit le projet de loi, à savoir des sanctions nettement plus élevées, un pouvoir discrétionnaire accru conféré aux organismes de réglementation et une approche plus ferme de CANAFE, les institutions financières et autres entités déclarantes seraient confrontées à une pression croissante pour concevoir, mettre en œuvre et maintenir des programmes de conformité efficaces en matière de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité. Nous nous attendons à ce que le nouveau cadre incite les entités déclarantes à contester les mesures d’application de la loi de CANAFE devant la Cour fédérale du Canada, ce qui pourrait bien mener à un examen judiciaire plus poussé de l’application de la LRPCFAT.
Pour en savoir davantage, communiquez avec l’un des auteurs du présent bulletin ou un autre membre de notre groupe Réglementation des services financiers.
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