Dans la décision rendue récemment dans l’affaire McPherson v. Global Growth Assets Inc. (en anglais) (l’« affaire McPherson »), la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la Cour) a accordé à un chef de la direction congédié plus de 5 M$ CA en dédommagement aux termes des protections offertes aux dénonciateurs en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières (Ontario) (la « LVMO »), laquelle interdit aux émetteurs d’exercer des représailles contre les employés qui soulèvent des préoccupations au sujet d’infractions éventuelles aux lois sur les valeurs mobilières.
Comme elle est la première décision judiciaire où sont appliquées et interprétées ces dispositions, l'affaire McPherson fournit des lignes directrices utiles pour les émetteurs.
Protections offertes aux dénonciateurs en cause
En 2016, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la « CVMO ») a lancé un programme de dénonciation qui encourage le signalement d’infractions aux lois sur les valeurs mobilières en offrant aux dénonciateurs des protections, notamment la confidentialité et des récompenses pécuniaires pouvant aller jusqu’à 5 M$ CA. Vers la même période, la LVMO a été modifiée afin d’y inclure des dispositions prohibant les représailles à l’égard des dénonciations par des employés (les « dispositions en matière de représailles »). En bref, ces dispositions :
- interdisent aux émetteurs de prendre des mesures de représailles contre les employés ayant soulevé des préoccupations raisonnables au titre de la conformité, que ce soit à l’interne ou auprès d’entités externes comme la CVMO ou d’autres organismes de réglementation;
- permettent aux employés de poursuivre directement les émetteurs concernés du fait de ces représailles;
- prévoient une formule de dédommagement prévue par la loi donnant le droit aux employés d’obtenir le double de leur rémunération à compter de la date des représailles jusqu’au jugement (la « formule de dédommagement »);
- prévoient la réintégration des employés avec l’ancienneté qu’ils auraient eue n’eussent été les représailles.
Contexte de la décision dans l’affaire McPherson
Global Growth Assets Inc. et Corporation REEE Global (« Global ») vendent des régimes d’épargne-études et sont réglementées par la CVMO. Global appartient indirectement à Issam El‑Bouji. Dans sa décision, la Cour décrit en détail l’historique de Global avec la famille Bouji; M. Bouji s’était vu interdire d’exercer les fonctions de chef de la direction et de personne désignée responsable de Global en raison de problèmes de conformité (nota : en vertu du droit ontarien des valeurs mobilières, la personne désignée responsable est chargée de superviser et de favoriser la conformité de l’entreprise aux lois sur les valeurs mobilières). Hanane Bouji, sa fille, continuait de jouer un rôle actif dans l’entreprise malgré les préoccupations de la CVMO à l’égard de sa capacité de restreindre la participation de son père.
En 2018, Global a embauché M. McPherson en tant que chef de la direction et de personne désignée responsable, avec le mandat d’améliorer la conformité. Cependant, Mme Bouji continuait de superviser les fonctions de conformité et, comme l’a constaté par la suite la Cour, elle rechignait à faire rapport à M. McPherson.
Au début de 2019, le conseil d’administration de Global (le « conseil ») a restreint la supervision que M. McPherson exerçait à l’égard de Mme Bouji. La Cour a établi que M. McPherson a prévenu le conseil que cette directive l’empêchait de s’acquitter de ses responsabilités en matière de conformité et il a demandé plusieurs fois à rencontrer les administrateurs indépendants de Global afin de faire état de ses préoccupations. Non seulement le conseil a rejeté ses demandes, mais il l’a de plus congédié pour « motif valable ».
M. McPherson a alors intenté une poursuite contre Global et son conseil, dans laquelle il alléguait avoir été l’objet de représailles pour avoir soulevé des enjeux en matière de conformité, en contravention avec les dispositions en matière de représailles que prévoit la LVMO.
Décision de la Cour
La cause de M. McPherson a été entendue en avril 2025. Dans la décision qu’elle a rendue le 12 septembre 2025, la Cour a statué que le congédiement de M. McPherson était interdit en vertu des dispositions en matière de représailles et lui a accordé 5,38 M$ CA en dommage selon la formule de dédommagement prévue par la loi. Dans l’application et l’interprétation de la loi, la Cour a fait trois constatations importantes :
- M. McPherson croyait raisonnablement que Global contrevenait au droit ontarien des valeurs mobilières
- M. McPherson a indiqué son intention d’attirer l’attention de Global sur ce fait
- Global a congédié M. McPherson au moins en partie dû au fait qu’il soulevait ces préoccupations en matière de conformité
La Cour a rejeté l’allégation des défendeurs voulant que M. McPherson ait été congédié en raison de son rendement insatisfaisant, et elle a déclaré sans détour qu’elle [TRADUCTION] : « ne les croyait pas ». La Cour a plutôt souligné la chronologie suspecte du congédiement, qui est intervenu dans la foulée de la décision du conseil de restreindre l’autorité de M. McPherson en matière de conformité et de refuser qu’il rencontre les administrateurs indépendants. La Cour a jugé que les événements étayaient fortement l’inférence que des représailles avaient joué à tout le moins un certain rôle dans le congédiement, entraînant donc l’application des dispositions en matière de représailles. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a invoqué les mécanismes de protection analogues interdisant les représailles contre les employés que prévoient la Loi sur les normes d’emploi, la Loi sur la santé et la sécurité au travail et le Code des droits de la personne. En entérinant les motifs d’affaires précédentes où ont été appliquées ces lois, la Cour a conclu qu’un congédiement peut contrevenir aux dispositions en matière de représailles même si les représailles n’en constituent qu’un motif partiel.
En ce qui concerne le calcul des dommages, la Cour a jugé que M. McPherson avait droit au double de son salaire de base ainsi que des primes discrétionnaires considérables qu’il aurait reçues pour la période allant de la date des représailles à la date du jugement. Fait notable, la Cour a refusé de déduire les gains postérieurs au congédiement de M. McPherson, en soulignant que les dispositions en matière de représailles n’imposent pas aux dénonciateurs l’obligation de limiter leur préjudice. La Cour a par ailleurs insisté sur le fait que le montant élevé de la récompense représentait une « pénalité » appropriée pour Global et dissuaderait d’autres entreprises de contrevenir aux dispositions en matière de représailles de façon analogue. En revanche, la Cour a refusé d’attribuer à M. McPherson des dommages pour congédiement injustifié, en faisant valoir que M. McPherson s’est vu attribuer un montant supérieur en vertu des dispositions en matière de représailles à celui qu’il aurait reçu pour congédiement injustifié, c’est-à-dire qu’il n’a pas subi de dommage additionnel pertinent à cet égard.
Répercussions
Bien que le programme de dénonciation de la CVMO et les protections connexes soient relativement nouveaux, leur incidence est de plus en plus difficile à ignorer. Depuis la création du programme de dénonciation, des millions de dollars ont été versés à des dénonciateurs. Désormais, l’affaire McPherson montre que les émetteurs prenant ou approuvant des mesures de représailles contre des dénonciateurs s’exposent à d’importantes répercussions dans le cadre des dispositions en matière de représailles. La Cour a en effet noté dans l’affaire McPherson qu’elle était tenue d’interpréter les dispositions en matière de représailles de manière téléologique conformément aux objectifs de nature plus générale de la LVMO de protéger les investisseurs et de stimuler la confiance à l’égard des marchés financiers, ce qui porte à croire que les décisions à venir qui appliqueront cette loi préconiseront une approche pareillement favorable aux dénonciateurs.
Du point de vue de la prévention, l’affaire McPherson met en exergue la nécessité pour les entreprises de prendre au sérieux les préoccupations en matière de conformité et de favoriser, plutôt que d’entraver, une culture axée sur la transparence et la responsabilisation. Les entreprises qui négligent ces obligations s’exposent à des risques significatifs et peuvent contribuer à éroder la confiance des organismes de réglementation, des employés et des investisseurs.
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