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Un tribunal albertain applique l’arrêt Petrowest pour suspendre un arbitrage en faveur d’une procédure de mise sous séquestre

17 juillet 2025

Le 26 mai 2025, la Cour du Banc du Roi de l’Alberta (la « CBRA ») a suspendu un projet d’arbitrage en faveur d’une procédure de mise sous séquestre en cours dans l’affaire Mayfield Investments Ltd (Re). C’était la première fois qu’un tribunal de l’Alberta appliquait le cadre établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Peace River Hydro Partners c. Petrowest Corp. (l’« arrêt Petrowest ») pour déterminer la préséance entre les procédures d’arbitrage et de mise sous séquestre en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3 (la « LFI »).

Contexte

Le débiteur, Mayfield Investments Ltd. (« Mayfield »), était propriétaire d’une participation indirecte de 50 % dans un casino. L’autre participation de 50 % appartenait indirectement à deux personnes. Les trois actionnaires étaient liés par une convention unanime des actionnaires qui comprenait une clause d’arbitrage obligatoire pour le règlement des différends (la « convention d’arbitrage »). Le casino était exploité à même un hôtel loué auprès de Mayfield. Le bail devait expirer en décembre 2024, mais offrait une option de renouvellement aux locataires.

Au cours des mois précédant l’expiration du bail, Mayfield est devenue insolvable et un séquestre (le « séquestre ») a été nommé à l’égard de ses affaires en vertu de la LFI. Quelques jours avant la nomination du séquestre en septembre 2024, les locataires ont exercé leur droit de renouveler le bail du casino.

Sept mois plus tard, en avril 2025, l’un des actionnaires individuels (l’« actionnaire ») a remis au séquestre un avis d’arbitrage portant sur la validité du renouvellement du bail du casino (le « différend relatif au bail »). À ce moment-là, un processus de vente ou de sollicitation d’investisseurs (un « PVSI ») approuvé par le tribunal, qui comprenait la participation de Mayfield dans le casino, avait déjà atteint un stade critique. Le séquestre a fait valoir que l’avis d’arbitrage avait été suspendu par l’ordonnance de mise sous séquestre et était invalide, et que la question de la validité du bail avait été tranchée à juste titre par la CBRA dans le cadre des procédures de mise sous séquestre en cours.

La décision de la CBRA

La CBRA, en appliquant les principes énoncés dans l’arrêt Petrowest, a évalué si le différend relatif au bail de l’actionnaire devait être tranché par arbitrage ou dans le cadre de la procédure de mise sous séquestre. L’arrêt Petrowest présente une analyse en deux étapes afin de déterminer à quel moment une procédure judiciaire doit être suspendue en faveur de l’arbitrage. La CBRA a fait remarquer que, même si l’actionnaire ne demandait pas la suspension de la procédure de mise sous séquestre, il se fondait sur la convention d’arbitrage pour faire valoir que le différend relatif au bail devait être tranché par arbitrage et non dans le cadre de la procédure de mise sous séquestre. Par conséquent, la CBRA a indiqué qu’une certaine souplesse était nécessaire dans l’application de l’analyse de l’arrêt Petrowest.

Le premier volet de l’analyse de l’arrêt Petrowest vise à déterminer si une convention d’arbitrage fait intervenir la disposition relative à la suspension obligatoire figurant dans la loi applicable en matière d’arbitrage. En vertu de la loi de l’Alberta intitulée Arbitration Act, RSA 2000, c A-43 (l’« Arbitration Act »), le demandeur doit établir qu’il existe une « cause défendable » que les quatre conditions préliminaires suivantes sont remplies : a) l’existence d’une convention d’arbitrage; b) une partie à la convention d’arbitrage a intenté une procédure judiciaire; c) l’instance porte sur une question que les parties ont convenu de soumettre à l’arbitrage; et d) la partie qui demande une suspension d’instance le fait avant d’agir dans l’instance.

Si la disposition relative à la suspension obligatoire intervient, le deuxième volet de l’analyse de l’arrêt Petrowest vise à déterminer si, selon la prépondérance des probabilités, la partie adverse a établi un « cas manifeste » où l’une ou plusieurs des exceptions prévues par la loi à la disposition relative à la suspension obligatoire s’appliquent.

En l’espèce, la CBRA n’a eu aucune difficulté à conclure que les trois premières conditions préliminaires du premier volet de l’analyse de l’arrêt Petrowest étaient remplies. Fait important, dans son analyse de la deuxième condition préliminaire, la CBRA a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’entamer une « instance judiciaire » (court proceedings) directement contre une autre partie à la convention d’arbitrage, tant que l’instance judiciaire « met en cause l’intérêt de cette partie » (engage an interest of that party). La CBRA était convaincue que les questions soulevées dans le cadre de la procédure de mise sous séquestre mettaient en cause les intérêts de l’actionnaire et que celui-ci avait qualité, en tant que partie intéressée, pour contester les mesures du séquestre (et qu’il s’était en fait déjà prévalu de ce droit). La CBRA a conclu que l’« instance judiciaire » comprenait les « procédures de mise sous séquestre » (receivership proceedings) et que la deuxième condition préliminaire avait été remplie.

Toutefois, la CBRA a conclu que l’actionnaire n’avait pas rempli la quatrième condition préalable du premier volet de l’analyse de l’arrêt Petrowest étant donné qu’il avait participé à la procédure de mise sous séquestre pendant un certain nombre de mois avant de remettre son avis d’arbitrage. La CBRA a souligné qu’il serait « extrêmement problématique » (extremely problematic) de permettre aux parties qui participent à une instance judiciaire, et qui affirment donc implicitement leur volonté d’accepter une décision d’un tribunal, de poursuivre ultérieurement l’arbitrage. Par conséquent, la CBRA a conclu que les exigences relatives à la suspension obligatoire de l’instance judiciaire aux termes du paragraphe 7(1) de l’Arbitration Act n’avaient pas été respectées. Compte tenu de cette conclusion, la CBRA a déterminé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner le deuxième volet de l’analyse de l’arrêt Petrowest.

La CBRA a fait remarquer que, même si la disposition relative à la suspension obligatoire des procédures de l’Arbitration Act n’avait pas été appliquée, elle avait dû composer avec deux procédures qui se chevauchaient — la procédure d’arbitrage et la procédure de mise sous séquestre — et qui visaient toutes deux à traiter du différend relatif au bail. La CBRA a statué qu’elle avait compétence en vertu du paragraphe 183(1) et de l’alinéa 243(1)c) de la LFI pour déterminer quelle instance avait préséance. La CBRA a souligné que le paragraphe 243(1) de la LFI lui permet, si elle est convaincue que cela est juste ou opportun, de prendre toute mesure qu’elle estime indiquée. La CBRA a conclu que les considérations pratiques exigeaient que le différend relatif au bail soit tranché dans le cadre de la procédure de mise sous séquestre et qu’il serait « injuste, perturbateur et préjudiciable » (unfair, disruptive and prejudicial) de permettre à l’arbitrage proposé par l’actionnaire de faire dérailler le PVSI étant donné que celui-ci était à un stade avancé. La CBRA a suspendu l’arbitrage.

Points à retenir

La séquence des événements dans cette affaire illustre pourquoi, comme il a été énoncé dans l’arrêt Petrowest, il est nécessaire de veiller à ce que l’intérêt public dans la « gestion expéditive, efficace et économique des retombées d’un effondrement financier » soit protégé au moyen d’un processus judiciaire centralisé.

Cette affaire illustre également qu’une partie à une convention d’arbitrage peut perdre son droit à l’arbitrage si elle participe à une procédure de mise sous séquestre, à l’égard des questions qui font l’objet de la convention d’arbitrage, avant de présenter une demande de suspension de cette procédure. Cela est conforme aux principes énoncés dans l’arrêt Petrowest et au paragraphe 7(1) de l’Arbitration Act qui stipulent clairement qu’une partie qui demande une suspension des procédures judiciaires en faveur de l’arbitrage doit le faire avant de prendre quelque mesure que ce soit dans ces procédures.

Les auteurs du présent bulletin ont agi à titre de procureurs auprès de la demanderesse, Ernst & Young Inc., en sa qualité de séquestre nommé par le tribunal de Mayfield Investments Ltd.

Pour en savoir davantage, communiquez avec l’une des auteures du présent bulletin ou un autre membre de nos groupes Restructuration et insolvabilité ou Arbitrage.

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