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Actions privilégiées de renflouement : refinancer la dette à l’ère de la COVID-19

6 mai 2020

En raison du ralentissement actuel de l’économie, de nombreuses sociétés (les « emprunteurs ») peuvent se trouver en situation de difficultés financières et devoir refinancer leur dette existante auprès de leurs créanciers (les « prêteurs »). Ces emprunteurs pourraient être en mesure de réduire leurs coûts de financement grâce à l’émission d’« actions privilégiées de renflouement » (les « APR »). Ce mode de refinancement n’a généralement pas d’incidence défavorable sur les prêteurs puisque ceux-ci peuvent tirer un rendement après impôt égal ou supérieur sur leurs investissements sans mettre en péril leur sûreté et leur priorité. L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a publié des positions administratives favorables aux structures reposant sur des APR. Par conséquent, les emprunteurs connaissant des difficultés financières devraient discuter avec leurs prêteurs de la possibilité d’émettre des APR.

ADMISSIBILITÉ DES ACTIONS PRIVILÉGIÉES DE RENFLOUEMENT 

Les règles applicables aux APR figurant dans la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada) (la « LIR ») permettent à une société résidant au Canada (c.-à-d. un emprunteur) de refinancer ses créances commerciales. Une APR est une action émise par un emprunteur dans le cadre de l’un des trois scénarios suivants :

  1. soit dans le cadre d’une proposition faite à ses créanciers (c.-à-d. ses prêteurs) ou d’un arrangement conclu avec eux et approuvés par un tribunal en conformité avec la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (Canada);

  2. soit à un moment où la totalité, ou presque, de ses éléments d’actif est sous le contrôle d’un séquestre, d’un séquestre-gérant, d’un administrateur-séquestre ou d’un syndic de faillite;

  3. soit à un moment où, en raison de difficultés financières, la société émettrice (ou une autre société résidant au Canada avec laquelle elle a un lien de dépendance) manque, ou pourrait vraisemblablement manquer, aux engagements résultant d’une dette détenue par une personne avec laquelle elle n’a aucun lien de dépendance.

Le produit tiré de l’émission d’APR doit être affecté par l’emprunteur (ou une société avec laquelle celui-ci a un lien de dépendance) au financement de son entreprise exploitée au Canada.

Une action peut être admissible à titre d’APR pendant une période de cinq ans après quoi elle devient une action privilégiée ordinaire.

Il est assez simple d’établir qu’un emprunteur remplit les conditions des deux premiers scénarios.

Dans le cas du troisième scénario, l’analyse permettant d’établir que chaque condition est remplie est plus exigeante, et particulièrement lorsqu’il s’agit d’établir ce qui suit à l’égard de l’emprunteur :

  1. les difficultés financières;

  2. le fait que celui-ci manque, ou pourrait vraisemblablement manquer, aux engagements résultant d’une dette.

SIGNIFICATION DE L'EXPRESSION  « DIFFICULTÉS FINANCIÈRES »

L’établissement des « difficultés financières » d’une société repose sur une détermination factuelle effectuée au cas par cas. Alors que les tribunaux ne semblent pas s’être penchés sur cette expression dans le contexte des règles relatives aux APR, l’ARC a publié ses propres positions administratives. Ainsi, pour déterminer qu’une société est en difficultés financières, l’ARC a déclaré qu’elle tiendrait compte des facteurs suivants :

  • Le défaut de payer doit résulter d'une incapacité générale de payer et non d'un défaut de paiement en soi, tel que l'impossibilité pour l'emprunteur de remplir certaines exigences concernant les ratios financiers;

  • Les actionnaires réels et les sociétés associées ne sont pas en mesure de fournir des fonds supplémentaires à une société en difficultés financières;

  • La société ne peut pas obtenir de fonds supplémentaires de parties avec lesquelles elle n'est pas liée, comme une banque;

  • La société n'a pas de ressources suffisantes, comme de l’argent comptant ou une capacité d’emprunt disponible (par exemple, une marge de crédit ou une facilité de prêt remboursable sur demande;

  • La société ne doit pas avoir d'autres sources de fonds (par exemple, des fonds pouvant provenir de la vente de biens superflus ou d'une nouvelle émission).

SIGNIFICATION DU PASSAGE  « MANQUE, OU POURRAIT VRAISEMBLABLEMENT MANQUER »

Les tribunaux ont traité de la signification du verbe « manquer » et conclu qu’il s’agissait généralement de l’incapacité pour une société de s’acquitter de ses obligations une fois échues.

La portée de l’expression « pourrait vraisemblablement manquer » est moins évidente. Pour déterminer si une société « pourrait vraisemblablement manquer » à ses engagements, l’ARC se penchera généralement sur les facteurs suivants :

  • Il y aura défaut probablement dans trois ou quatre mois, tout au plus. Il n’est pas certain que cette période soit éventuellement allongée. Toutefois, la CRA est d’avis qu’au-delà d’un tel délai trop de facteurs entrent en ligne de compte pour pouvoir établir une attente raisonnable de défaut. 

  • La situation financière de tous les membres d’un groupe de sociétés liées doit être prise en compte.

Malgré les positions de l’ARC susmentionnées, pour conclure qu’une société pourrait vraisemblablement manquer à ses engagements, les faits doivent être évalués au cas par cas. Par exemple, certaines circonstances pourraient faire en sorte qu’une société puisse raisonnablement manquer à ses engagements dans un délai plus long que celui établi par l’ARC. 

AVANTAGES FISCAUX DÉCOULANT DE L'ÉMISSION D'APR

Dans certaines circonstances, lorsqu’une dette est convertie en actions privilégiées, une société qui verse des dividendes sur des actions privilégiées pourrait devoir payer de l’impôt en vertu de la partie VI.1 s’il est établi que ces actions privilégiées sont des « actions privilégiées imposables » ou des « actions privilégiées à court terme ». En outre, ces actions privilégiées peuvent également être des « actions privilégiées à terme », à l’égard desquelles les dividendes touchés par certaines institutions financières se verront refuser la déduction pour dividendes entre sociétés. Ces facteurs incitent souvent les prêteurs à se méfier de la conversion de titres de créance en titres de participation.

Or, les APR sont réputées ne pas être des « actions privilégiées imposables » ou des « actions privilégiées à court terme ». L’emprunteur n’a donc pas à payer d’impôt en vertu de la partie VI.1.

De plus, les APR sont réputées ne pas être des « actions privilégiées à terme ». Dans des circonstances normales, lorsqu’un prêteur reçoit un versement d’intérêt d’un emprunteur, il doit généralement payer de l’impôt sur cet intérêt. Si une société prêteuse détient plutôt des APR, tout dividende versé à ce prêteur à l’égard des APR sera reçu en franchise d’impôt.

Lors de l’émission d’APR, l’emprunteur et le prêteur négocieront habituellement des droits cumulatifs à un taux fixe qui est inférieur à l’intérêt qui aurait autrement été payable (par exemple, pour tenir compte du fait que le prêteur touche des dividendes entre sociétés sur des APR en franchise d’impôt). Cette différence entre le montant de l’intérêt et celui des dividendes procure de véritables économies d’argent à l’emprunteur en difficultés financières et lui d’affecter les fonds disponibles au financement de son entreprise.

Il est à noter que ce mode de financement pourrait ne pas intéresser les prêteurs non-résidents, qui pourraient préférer toucher un revenu en intérêts plutôt qu’un revenu en dividendes, tout particulièrement lorsqu’il n’y a pas de retenue d’impôt à l’égard de la réception d’un revenu en intérêts.

AUTRES CONSIDÉRATIONS

Des dividendes ne peuvent être versés que si les critères de solvabilité prévus dans les lois sur les sociétés applicables sont remplis. Le paiement d’intérêts n’est pas assujetti à de telles restrictions.

Alors que l’emprunteur ne peut déduire les dividendes lors du calcul de son revenu, mais déduisait fort probablement les intérêts, il se retrouve habituellement dans une situation de perte au moment de l’émission des APR et ne peut, de toute façon, tirer aucun avantage de la déduction des intérêts. Les frais engagés pour émettre les APR sont généralement déductibles dans la mesure où ceux-ci sont raisonnables dans les circonstances.

RÈGLEMENT DES APR

Les APR sont réputées être réglées lorsqu’elles sont rachetées, acquises ou annulées par leur émetteur. Les modalités des APR comprennent habituellement une exigence de rachat obligatoire à la fin de la période de cinq ans.

STRUCTURE VISANT À RESPECTER LES POSITIONS ADMINISTRATIVES DE L'ARC

L’ARC a approuvé des structures pouvant être utilisées en vue d’émettre des APR tout en protégeant les prêteurs lorsque surviennent des questions relatives à la subordination. Par exemple, une structure courante prévoit les étapes suivantes :

  1. Est créée une nouvelle société canadienne imposable (« Nouvelle Ltée ») qui est, initialement, une filiale en propriété exclusive de l’emprunteur. Nouvelle Ltée doit être une société à but unique qui ne mène aucune affaire ou opération autre que celles liées à l’émission des APR. L’emprunteur détient des actions de Nouvelle Ltée.

  2. Nouvelle Ltée emprunte des fonds (l’« emprunt ») au moyen d’un emprunt remboursable à demande auprès du prêteur d'une somme égale au total du prix d'émission prévu des APR. Nouvelle Ltée utilise l’emprunt pour acheter la créance commerciale de l’emprunteur (la « créance initiale ») auprès du prêteur.

  3. Le prêteur souscrit les APR de Nouvelle Ltée à un prix de souscription égal à la créance initiale. Nouvelle Ltée utilise le produit de souscription pour rembourser l’emprunt.

  4. Le prêteur, l’emprunteur et Nouvelle Ltée concluent une convention d'achat-vente en vertu de laquelle le prêteur peut, en cas de manquement à l’égard de cette convention, exiger que l’emprunteur achète les APR du prêteur pour une somme égale à leur prix de rachat et tout dividende couru, mais impayé.

  5. L’emprunteur paie le montant de la créance initiale à Nouvelle Ltée et fait des apports au capital de Nouvelle Ltée pour permettre à cette dernière de verser des dividendes sur les APR au prêteur et s’assurer qu’elle puisse respecter ses obligations liées au rachat éventuel des APR.

  6. Nouvelle Ltée est liquidée et absorbée par l’emprunteur après le premier en date des moments suivants : (a) la date à laquelle toutes les APR sont rachetées ou annulées et (b) cinq ans à compter de la date d'émission des APR.

CONCLUSION

L’émission d’APR peut permettre à une société résidant au Canada de réaliser certaines économies en périodes de difficultés financières. Une stratégie de refinancement efficace au moyen d’APR peut faire la différence entre l’insolvabilité et la survie.

Pour en savoir davantage, ou pour discuter de vos circonstances particulières dans le contexte d’un refinancement au moyen d’APR, communiquez avec :
 
François Auger            514-982-4117
V. Daniel Jankovic       403-260-9725
Ahmed Elsaghir          403-260-9655

ou un autre membre de notre groupe Fiscalité.
 
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