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Corruption d’agents publics étrangers : la Cour supérieure de l’Ontario fournit d’importantes lignes directrices

23 mars 2023

La Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « Cour ») a rendu sa décision dans l’affaire R. v. Arapakota. Cette décision fournit des lignes directrices complètes au sujet des interdictions relatives à la corruption transnationale figurant dans la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers (la « LCAPE »). Elle souligne également les risques liés à la conformité qui sont associés aux cadeaux, aux divertissements et aux voyages impliquant des agents publics étrangers. 

CONTEXTE

L’accusé (l’« accusé ») était le chef de la direction et chef de la technologie d’une société canadienne (la « société ») spécialisée dans les solutions logicielles de cybergouvernement. Entre décembre 2013 et août 2015, la société a participé indirectement à un projet pour le gouvernement du Botswana (le « gouvernement ») en tant que sous-traitant d’une autre société canadienne de services électroniques. En 2015, l’accusé a fait directement des démarches auprès du gouvernement afin d’obtenir des contrats en vue de l’achèvement du projet. En novembre 2015, le gouvernement a annoncé qu’il avait l’intention de conclure un contrat à fournisseur unique avec la société pour l’achèvement du projet. La valeur du contrat de trois ans se chiffrait à 30 M$ US. Dans les mois qui ont suivi l’annonce, l’accusé a demandé et reçu trois lettres (les « lettres ») d’un haut fonctionnaire du gouvernement (le « haut fonctionnaire ») concernant l’intention du gouvernement d’accorder le contrat à la société.

En novembre 2015, l’accusé a également organisé et payé en utilisant ses propres cartes de crédit un voyage en Floride (le « voyage aux États-Unis ») auquel il a pris part avec le haut fonctionnaire et leur famille respective à la fin de décembre 2015. Les dépenses liées au voyage aux États-Unis comprenaient les vols, les chambres d’hôtel, les repas, les attractions, des séances de magasinage et d’autres dépenses, pour un total d’environ 40 000 $ CA, dont une grande partie s’appliquait au haut fonctionnaire et à sa famille. À la fin du voyage aux États-Unis, le haut fonctionnaire a remboursé en partie l’accusé en lui remettant 15 000 $ CA en espèces.

Au bout du compte, le projet est tombé à l’eau. Aucun contrat n’a été accordé à la société et l’accusé a démissionné de son poste de chef de la direction. Par la suite, la société a appris l’existence du voyage aux États-Unis et en a informé la GRC. Après avoir obtenu des mandats de perquisition et examiné de nombreux documents, la GRC a porté des accusations de corruption d’un agent étranger contre l’accusé.

DÉCISION

La Cour a éventuellement acquitté l’accusé au motif que la Couronne n’a pas réussi à prouver hors de tout doute raisonnable que : (i) le voyage aux États-Unis avait été offert en contrepartie des lettres; et que (ii) les lettres constituaient un avantage pour les activités de la société. Ce faisant, la Cour s’est lancée dans une analyse et une interprétation détaillées de certains aspects essentiels de la LCAPE. Les principaux points à retenir de cette décision comprennent les suivants :

  1. Interprétation des termes « récompense » et « avantage » en vertu de la LCAPE. La juge a confirmé que la LCAPE prend en compte tous les avantages, sauf ceux qui sont négligeables, soit les avantages qui constituent un « gain important ou concret » ou un « avantage économique important », quelle qu’en soit la forme. Selon les lignes directrices dégagées d’autres décisions judiciaires, des billets pour des événements sportifs, un repas extravagant, une carte-cadeau de 500 $ ou le paiement de frais de déplacement sont des exemples de « gains importants ou concrets ». Par contre, des dépenses comme un repas occasionnel à prix modique, un café ou des articles promotionnels comportant un logo et de peu de valeur (tels qu’une tasse à café ou un chandail de golf) ne devraient pas être considérées comme étant un avantage au titre d’infractions en matière de corruption d’agents publics. Dans le cas qui nous intéresse, la juge a conclu que le fait que l’accusé a planifié et payé à l’avance des vols, des chambres d’hôtel et d’autres dépenses pour le compte du haut fonctionnaire et de sa famille n’était pas négligeable et ne pouvait pas, selon la Cour, être qualifié de « marque d’hospitalité » normale.

  2. Remboursement partiel des dépenses de voyage. La juge a statué que le remboursement partiel de cadeaux et de marques d’hospitalité offerts à un agent public ne change rien au fait que des cadeaux et des marques d’hospitalité ont été offerts à celui-ci. C’est aussi le cas lorsque, par exemple, un agent public est incapable de payer immédiatement ses dépenses de voyage ou de magasinage en raison de problèmes liés à des cartes de crédit ou au change de devises. La juge a en outre conclu que le haut fonctionnaire avait reçu un avantage concret du fait que l’accusé s’était occupé de toutes les questions de logistique et de planification relatives au voyage aux États-Unis, y compris la recherche de vols et de chambres d’hôtel. Ainsi, la juge a déterminé que le fait de se charger des vols, des chambres d’hôtel, des repas, des attractions et possiblement des séances de magasinage du haut fonctionnaire et de sa famille, et de les payer, même si le haut fonctionnaire avait plus tard remboursé une partie du coût de ceux-ci, avait procuré un gain important ou concret à un agent public étranger. 

  3. Interprétation du passage « obtenir ou conserver un avantage dans le cours de ses affaires ». Dans cette décision, un critère d’appréciation de l’importance relative a été établi pour la première fois à l’égard d’un avantage dans le cours des affaires en vertu de la LCAPE. La juge a déclaré que pour qu’il y ait contravention à la LCAPE, l’avantage devait avoir été accordé afin que l’entreprise obtienne un « avantage économique important » (peu importe que l’entreprise ait ou non réellement obtenu l’avantage en question). Dans cette affaire, la juge a déterminé que les lettres demandées par l’accusé ne représentaient pas un avantage économique important puisque de telles lettres étaient systématiquement fournies par le gouvernement à des soumissionnaires retenus ou, de toute façon, n’avaient procuré aucun avantage économique important à la société. La juge a ensuite ajouté qu’il ne suffit pas que l’avantage dans le cours des affaires soit généralement bénéfique à une entreprise, il faut plutôt avoir cherché à faire un gain en obtenant un contrat signé renfermant des modalités et des valeurs définitives.

  4. Nécessité ou non d’une situation de contrepartie. La juge a déterminé que l’expression « en contrepartie de » à l’alinéa 3(1)a) de la LCAPE signifie que l’avantage doit être assimilable à une transaction donnant-donnant ou à une situation de contrepartie en vue de la prise de mesures par l’agent public étranger. La juge a également précisé que la portée de l’alinéa 3(1)b) de la LCAPE pourrait être plus large que celle de l’alinéa 3(1)a) puisque cet alinéa n’exige pas l’existence d’une situation de contrepartie. Il exige plutôt uniquement que l’accusé ait convaincu ou tenté de convaincre un agent public étranger d’utiliser sa position pour influencer les actes ou les décisions de l’État étranger, peu importe si, au bout du compte, l’agent public étranger a pris ou non quelque mesure que ce soit en ce sens. Cette précision est importante, car elle pourrait ouvrir la porte à une responsabilité de plus grande portée même en l’absence d’une situation de contrepartie. Cela dit, étant donné que les accusations avaient été expressément portées en vertu de l’alinéa 3(1)a) de la LCAPE, la Cour n’a pas réellement abordé la thèse relative à la portée de la responsabilité en vertu de l’alinéa 3(1)b), si ce n’est que pour laisser entendre que le comportement de l’accusé dans cette affaire aurait pu tomber sous le coup de la portée plus large de l’alinéa 3(1)b).   

PRINCIPAUX POINTS À RETENIR

Cette décision recèle de nombreux enseignements utiles pour les entreprises, notamment au chapitre de la conformité, et ce, même si, en fin de compte, l’accusé n’a pas été reconnu coupable.

Premièrement, alors que la corruption est en soi toujours illégale, même en présence d’arrangements de bonne foi, le délai entre l’offre de cadeaux et de marques d’hospitalité à un agent public et la prise, par un gouvernement, d’une décision cruciale pour une entreprise constitue un facteur clé. Les entreprises ont intérêt à faire preuve d’une grande prudence lorsqu’elles envisagent d’offrir des avantages à des agents publics avec lesquels elles interagissent (peu importe l’existence ou non d’une situation de contrepartie), tout spécialement lorsque des fonctionnaires s’apprêtent à prendre une décision ayant un lien avec l’entreprise en question. Qui plus est, la prudence est particulièrement de mise maintenant que le critère de responsabilité possiblement moins exigeant associé à l’alinéa 3(1)b) de la LCAPE a été mis en évidence dans cette affaire.   

Deuxièmement, l’avantage offert à un agent public peut revêtir plusieurs formes. Il peut s’agir d’un avantage accessoire, comme la planification et la coordination de la logistique d’un événement au profit d’un agent public et de sa famille et le paiement des dépenses connexes sous forme d’avances.

Troisièmement, le remboursement partiel des fonds utilisés pour procurer un avantage à un agent public ne fait pas disparaître le fait qu’un avantage a été offert. 

Enfin, cette affaire met en évidence une importante distinction entre le financement de bonne foi de voyages d’affaires d’agents publics et l’organisation de voyages inappropriés, car non liés au travail ou l’offre d’autres avantages inconvenants. Malgré tout, il existe toujours des circonstances où des sociétés peuvent offrir des voyages et des marques d’hospitalité à des agents publics lorsque les fins commerciales visées sont légitimes. Il suffit alors de suivre les étapes indiquées en matière de conformité et de mettre en place les contrôles appropriés.  

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