Le 21 avril 2023, le gouvernement du Canada a déposé un avis de motion de voies et moyens visant à mettre en œuvre certaines dispositions du budget fédéral de 2023 (le « Budget 2023 »). Comme nous l’avons mentionné plus tôt au mois d’avril, le gouvernement fédéral proposait d’apporter des modifications à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (la « LRPCFAT ») (voir notre Bulletin Blakes intitulé Budget fédéral 2023 : Répercussions sur le Régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité). Les changements les plus importants sont résumés ci-après.
OBLIGATION DE DÉCLARATION RELATIVE AUX SANCTIONS
À l’heure actuelle, la LRPCFAT exige des entités réglementées qu’elles signalent au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (« CANAFE ») toute concordance avec les listes de personnes et entités inscrites et frappées de sanctions liées à des activités terroristes aux termes du Code criminel et du Règlement d’application des résolutions des Nations Unies sur la lutte contre le terrorisme. Dans sa version modifiée, la LRPCFAT obligera également les entités réglementées à déclarer à CANAFE toute communication effectuée sous le régime de la Loi sur les mesures économiques spéciales ou de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski). En vertu de cette modification, les entités réglementées devront mettre à jour leurs politiques de conformité afin de tenir compte de ces nouvelles exigences en matière de déclaration.
ENTREPRISES DE SERVICES MONÉTAIRES (« ESM »)
Conformément aux recommandations de la Commission Cullen, les modifications apportées à la LRPCFAT imposent maintenant des exigences de diligence raisonnable aux ESM nationales qui retiennent les services de mandataires suivant leurs modèles d’affaires. Aux termes de ces modifications, les ESM nationales devront notamment satisfaire un genre d’exigence relative à la « connaissance du mandataire ».
Plus précisément, à l’heure actuelle, la LRPCFAT prévoit qu’une ESM n’est pas autorisée à s’inscrire en vertu de la LRPCFAT si elle-même, l’une de ses parties contrôlantes ou l’un des membres de sa haute direction a été déclaré coupable de certains types d’infractions au Canada ou ailleurs. Dorénavant, ces restrictions s’appliqueront également aux mandataires engagés par les ESM.
Ainsi, la LRPCFAT exigera des ESM nationales qu’elles fassent preuve de diligence raisonnable à l’égard de leurs mandataires en s’assurant, entre autres, qu’aucun de ces derniers n’a été déclaré coupable d’une infraction désignée. Elles doivent s’assurer notamment que leurs mandataires :
(i) ne sont pas assujettis à des sanctions canadiennes;
(ii) n’ont pas été reconnus coupables d’une infraction de recyclage des produits de la criminalité ou de financement des activités terroristes au Canada ou ailleurs;
(iii) n’ont pas été reconnus coupables de certaines infractions liées au trafic de stupéfiants;
(iv) ne comptent parmi leurs administrateurs, dirigeants ou actionnaires contrôlants (20 %), aucune personne ayant été déclarée coupable d’une infraction en vertu de la LRPCFAT ou d’une loi semblable dans un autre territoire.
En plus de ce qui précède, la LRPCFAT exigera que les ESM obtiennent, à l’égard de tout mandataire, une vérification de casier judiciaire auprès de l’« autorité compétente » du ressort dans lequel celui-ci réside. Si le mandataire est une personne physique, la vérification de casier judiciaire obtenue par l’ESM doit être celle de la personne en question. Si le mandataire est une entité, l’ESM doit obtenir une vérification de casier judiciaire pour le chef de la direction, le président, chacun des administrateurs et toute personne qui détient ou contrôle, directement ou indirectement, au moins 20 % de l’entité. Avant d’engager un mandataire, et tous les deux ans par la suite, les ESM devront s’assurer que ce dernier n’a pas été reconnu coupable de l’une des infractions désignées et obtenir une vérification de casier judiciaire à son égard.
Pour se conformer à ces nouvelles exigences, les ESM devront mettre à jour leurs politiques et procédures et revoir leurs processus. Les ESM devront par ailleurs obtenir une quantité importante de renseignements sur leurs mandataires existants et sur la structure organisationnelle de tous leurs mandataires à l’avenir. Lorsque le mandataire est une grande société, cela peut représenter beaucoup de travail. On peut espérer que la réglementation concédera une exemption pour les organismes publics, les sociétés ouvertes et les institutions financières réglementées qui agissent comme mandataires auprès d’ESM.
Les ESM seront également tenues d’effectuer la vérification diligente requise et d’obtenir une vérification de casier judiciaire à l’égard de leurs mandataires existants ainsi qu’à l’égard des administrateurs, dirigeants et propriétaires véritables de ceux-ci. Les ESM disposeront de deux ans à compter de la date d’entrée en vigueur de ces modifications pour obtenir les renseignements et les documents requis à l’égard de leurs mandataires existants.
De plus, comme c’est le cas pour les ESM étrangères, les ESM nationales devront dorénavant soumettre des copies de leur casier judiciaire (ou une attestation de l’absence de casier judiciaire) dans le cadre de leur processus d’inscription. Cela comprend, pour les demandeurs qui sont des entités, de fournir une vérification de casier judiciaire pour le chef de la direction, le président, chacun des administrateurs et toute personne qui détient ou contrôle, directement ou indirectement, 20 % ou plus de l’entité ou des actions de celle-ci. La LRPCFAT pourrait également exiger de ces demandeurs qu’ils transmettent des renseignements supplémentaires au sujet de la constitution ou de la formation de l’entité. Cette exigence devrait être introduite dans la réglementation qui sera prise en application de la loi, dans sa version modifiée.
Les modifications apportées à la LRPCFAT conféreront également à CANAFE le droit de révoquer l’inscription d’une ESM lorsque celle-ci ne collabore pas avec CANAFE et ne fournit pas les renseignements ou les dossiers demandés ou encore ne donne pas accès aux installations où celle-ci conserve ces renseignements et dossiers.
La LRPCFAT prévoit un processus permettant aux ESM d’interjeter appel devant la Cour fédérale lorsque leur demande d’inscription à titre d’ESM est refusée ou lorsque leur inscription est révoquée. Elle exige que le tribunal prenne toutes les précautions raisonnables, y compris, s’il y a lieu, la tenue d’audiences à huis clos pour éviter la divulgation publique de l’affaire. Or, une précision est apportée dans les modifications à la LRPCFAT selon laquelle le tribunal ne sera pas tenu de prendre de telles précautions pour ce qui est du nom du demandeur. De toute évidence, lorsque la demande de permis d’une ESG est refusée ou lorsque le permis d’une ESM est révoqué, CANAFE souhaite que cette information soit rendue publique.
La LRPCFAT, dans sa version modifiée, introduira des pénalités supplémentaires pour une ESM qui se livrera sciemment à des activités d’ESM sans être inscrite à ce titre. Les pénalités pour cette infraction pourront consister en une amende maximale de 500 000 $ CA et en une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans.
DIRECTIVES MINISTÉRIELLES
La LRPCFAT prévoit actuellement la possibilité pour le ministre des Finances (le « ministre ») de donner des directives écrites à l’égard d’opérations financières qui émanent d’un État étranger ou qui sont destinées à un État étranger pour lequel une organisation internationale dont le Canada est membre a lancé un appel à l’action ou encore où le ministre estime que les mesures de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité ou le financement des activités terroristes sont insuffisantes et pourraient donc avoir une incidence défavorable sur l’intégrité du système financier canadien. À ce jour, deux directives de ce genre ont été émises : l’une visant la Corée du Nord et l’autre, l’Iran.
Les modifications apportées à la LRPCFAT permettront également au ministre de donner des directives lorsqu’il existe un risque qu’un État étranger, une entité étrangère ou une personne ou une entité réglementée en vertu de la LRPCFAT facilite le financement de menaces envers la sécurité du Canada et que, par conséquent, le ministre est d’avis qu’il pourrait y avoir une incidence défavorable sur l’intégrité du système financier canadien ou un risque d’atteinte à la réputation de ce système. Il sera intéressant de voir quelles directives seront publiées en invoquant ces nouveaux motifs.
DÉNONCIATION
Comme il est indiqué dans le Budget 2023, la LRPCFAT fournira maintenant une protection aux employés lanceurs d’alerte au sein d’entités réglementées. En vertu de la LRPCFAT, dans sa version modifiée, un employeur commettra une infraction s’il prend ou menace de prendre une sanction disciplinaire contre un employé (y compris une rétrogradation ou un congédiement), soit avec l’intention de forcer cet employé à s’abstenir de s’acquitter des obligations prévues sous le régime de la présente loi (en déposant une déclaration d’opérations douteuses), soit à titre de représailles parce que l’employé s’est acquitté de ces obligations ou a tenté de s’en acquitter.
Toute violation de cette disposition pourra donner lieu à un emprisonnement maximal de cinq ans.
OPÉRATIONS FINIANCÈRES STRUCTURÉES
Comme c’est le cas en vertu de la législation sur le recyclage des produits de la criminalité d’autres territoires, une opération financière structurée constituera désormais une infraction en vertu de la LRPCFAT. À l’avenir, « toute personne ou entité qui effectue ou tente d’effectuer, directement ou indirectement, une opération financière structurée » commettra une infraction. Dans la version modifiée de la LRPCFAT, « opération financière structurée » désignera toute série d’opérations financières, lesquelles, à la fois :
a) impliquent que l’entité réglementée reçoive des sommes en espèce ou en monnaie virtuelle ou qu’un télévirement international soit amorcé;
b) si elles avaient été effectuées en une seule opération, cette opération aurait été déclarée par la personne ou l’entité visée à CANAFE (10 000 $ CA ou plus);
c) sont effectuées avec l’intention que l’entité réglementée ne déclare pas d’opération financière à CANAFE.
Il y a lieu de souligner deux choses concernant ce qui précède. Premièrement, les dispositions relatives aux opérations financières structurées portent sur la déclaration des télévirements et des opérations importantes en espèces. Ainsi, les entités réglementées qui limitent le montant des opérations financières à moins de 1 000 $ CA aux fins de l’obligation de vérifier l’identité d’un client ne seront pas touchées par cette mesure. Deuxièmement, ces dispositions comportent une exigence d’intention. En d’autres termes, pour constituer une opération financière structurée, l’opération devra être structurée dans l’intention d’éviter l’application d’une obligation déclarative et devra faire partie d’une « série d’opérations ». Par conséquent, cette modification ne devrait avoir aucune incidence sur les entités réglementées qui limitent le montant des opérations sous certains seuils.
Une personne reconnue coupable d’une infraction d’opération financière structurée pourra être passible d’une amende ou d’un emprisonnement maximal de cinq ans.
AUTRES MODIFICATIONS
D’autres modifications envisagées comprennent notamment l’élargissement des dispositions concernant le partage des renseignements dont dispose CANAFE avec d’autres ministères, notamment avec le ministère des Finances aux fins de l’octroi d’approbations en vertu de la Loi sur les activités associées aux paiements de détail, ou encore de la révocation, de la suspension ou de la modification de telles approbations.
En plus de pouvoir effectuer des recherches sur la prévention du recyclage des produits de la criminalité et du financement des activités terroristes, CANAFE sera autorisé à scruter le financement des menaces envers la sécurité du Canada. Comme ce nouvel enjeu revient à quelques reprises dans les modifications apportées à la LRPCFAT, il y a lieu de s’attendre à ce qu’une attention particulière y soit accordée par CANAFE et les entités réglementées à l’avenir.
Pour en savoir davantage, communiquez avec :
Annick Demers +1-514-982-4017
Jacqueline D. Shinfield +1-416-863-3290
ou un autre membre de notre groupe Réglementation des services financiers.
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