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Embauche, congédiement et antécédents judiciaires : ce que les employeurs doivent savoir au Québec

Par Natalie Bussière, Florence Bourque et Émile Bellerose-Simard (étudiant d'été en droit)
1 août 2025

Au Québec, les dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte ») balisent le droit d’un employeur de congédier un employé ou de refuser d’embaucher un candidat en raison d’une condamnation à une infraction criminelle ou pénale. Les employeurs doivent donc porter une attention particulière aux paramètres développés par la jurisprudence dans ce type de situation.

Le cadre juridique strict établi par l’article 18.2 de la Charte vise à protéger les individus contre les sanctions considérées comme injustifiées découlant de leurs antécédents judiciaires. Les employeurs doivent donc s’assurer que toute décision prise à cet égard respecte les droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment en démontrant un lien réel et pertinent entre l’infraction reprochée et les fonctions exercées.

Article 18.2 de la Charte

L’article 18.2 de la Charte se lit ainsi :

Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon.

Autrement dit, un employeur ne doit pas refuser un emploi, congédier ou pénaliser un candidat ou un employé en raison d’une infraction criminelle, si l’infraction commise n’a aucun lien avec l’emploi ou si un pardon a été obtenu. L’interdiction de l’article 18.2 s’applique également aux personnes arrêtées, accusées d’avoir commis une infraction, en attente d’un procès ou ayant fait l’objet d’un retrait des accusations.

Lien entre l’infraction et l’emploi 

Plusieurs éléments peuvent être analysés pour déterminer si une infraction criminelle a un lien avec l’emploi :

  • la gravité de l’infraction;
  • le moment et les circonstances de sa perpétration;
  • la nature des tâches et des responsabilités;
  • les caractéristiques propres à la clientèle ou aux usagers desservis;
  • l’impact que l’infraction commise peut avoir sur la clientèle ou les usagers, sur la réputation de l’entreprise ou de l’établissement et sur la qualité des services offerts, ainsi que la possibilité de récidive.

Lorsqu’un employeur évalue la pertinence d’un lien entre les antécédents judiciaires d’un candidat ou d’un employé et les fonctions à exercer, il est recommandé de fonder cette évaluation sur des faits concrets et une analyse individualisée de la situation.

Par ailleurs, lorsqu’une personne a obtenu un pardon — qu’il soit conditionnel ou inconditionnel — la protection qui lui est accordée est complète. Dans un tel cas, l’employeur ne peut tenir compte de la condamnation visée, qu’il existe ou non un lien avec l’emploi.

Décision récente

Dans la décision rendue récemment dans l’affaire Roussin Bizier c. Cliche Auto Ford Thetford inc., le Tribunal administratif du Travail (le « Tribunal ») a annulé le congédiement et ordonné la réintégration et le versement du salaire non perçu à un conseiller automobile qui avait été déclaré coupable de deux infractions d’agressions sexuelles en janvier 2024 (ci-après, le « salarié »). Le salarié avait été congédié par son employeur en raison de sa condamnation criminelle.

Vers la mi-septembre 2022, le salarié avait été accusé d’avoir commis des agressions sexuelles. Il a ensuite été arrêté, puis libéré sous condition. Son employeur l’a suspendu sans solde, tout en maintenant son lien d’emploi, malgré la couverture médiatique.

Bien que l’attention médiatique cesse vers la fin de septembre 2022, la suspension s’est poursuivie jusqu’au 30 janvier 2023, date à laquelle le salarié a été réintégré dans ses fonctions par son employeur, alors que son dossier est pendant. Le salarié a occupé son poste jusqu’à sa déclaration de culpabilité le 11 janvier 2024.

À la suite de cette condamnation, l’employeur a invoqué un risque de récidive pour justifier le congédiement, soutenant qu’il existait un lien objectif entre les infractions et les fonctions exercées. Selon l’employeur, le poste du salarié amenait ce dernier à être seul avec des clientes lors d’essais routiers et celles-ci pouvaient alors se trouver en situation de vulnérabilité.

Le Tribunal a rejeté cette justification. En analysant le contexte particulier lors duquel les infractions sont survenues, soit lors de l’enterrement de vie de garçon du salarié dans un bar, le Tribunal a conclu que l’employeur n’avait pas été en mesure d’établir un lien objectif entre l’emploi du salarié et les circonstances dans le cadre duquel les infractions sous-jacentes à la condamnation sont survenues. Selon le Tribunal, le risque de récidive invoqué reposait sur une interprétation restrictive de l’article 18.2 de la Charte et sur des généralisations qui, si elles étaient acceptées, rendraient l’application de cette disposition presque théorique dans les cas d’infraction de nature sexuelle.

Le Tribunal a souligné que la crainte exprimée par l’employeur, à savoir qu’une agression pourrait survenir lors d’un essai routier uniquement parce que le salarié avait été reconnu coupable d’agressions survenues dans un contexte privé, reposait sur des hypothèses non étayées par la preuve et relevait davantage de stéréotypes.

Selon le Tribunal, même en tenant pour acquise la vulnérabilité potentielle de la clientèle féminine, cela ne suffisait pas pour établir un lien objectif entre la nature des infractions et les tâches professionnelles du salarié. En l’absence d’un tel lien, l’employeur n’avait pas démontré que les infractions commises avaient une incidence préjudiciable, tangible, concrète et réelle sur la capacité du salarié à exercer ses fonctions.

L’employeur alléguait également que la médiatisation de la condamnation du plaignant avait porté atteinte à la réputation, à l’image et à la crédibilité de son entreprise, laquelle se situait dans une petite municipalité. Toutefois, le Tribunal a indiqué qu’un tel lien requérait la preuve d’éléments objectifs reliant l’infraction et le poste. En l’espèce, l’employeur n’avait pas présenté de preuve d’une fluctuation des niveaux d’achalandage ou d’une diminution des ventes à la suite de l’arrestation ou de la condamnation du plaignant.

De l’avis du Tribunal, la médiatisation des condamnations pour des gestes posés dans le cadre de la vie privée du salarié n’entrainait pas automatiquement une atteinte à la réputation de l’employeur permettant d’inférer l’existence d’un lien objectif.

En conséquence, le congédiement a été jugé contraire à l’article 18.2 de la Charte.

Ce qu’il faut retenir

La prise en compte des antécédents judiciaires dans les décisions d’embauche ou de congédiement est possible, à condition de respecter le cadre juridique établi par l’article 18.2 de la Charte. Cette disposition n’interdit pas aux employeurs d’agir, mais les invite à le faire de façon réfléchie, en s’appuyant sur des faits concrets et une évaluation individualisée de chaque situation.

En portant attention à des éléments comme la nature de l’emploi, la gravité et les circonstances de l’infraction, ainsi que les risques possibles pour l’organisation, les employeurs peuvent prendre des décisions éclairées, équilibrées et conformes à la Charte. De plus, lorsqu’un lien réel peut être démontré entre l’infraction et les fonctions à exercer, il est possible de justifier un refus d’embauche ou un congédiement.

Pour en savoir davantage, communiquez avec l’une des auteures du présent bulletin ou un autre membre de notre groupe Travail et emploi.

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