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Harcèlement psychologique et violence à caractère sexuel en milieu de travail : sanction du projet de loi n° 42

4 avril 2024

Le 27 mars 2024, le projet de loi n° 42, Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail (la « Loi »), a été sanctionné par la lieutenante-gouverneure. Cette Loi a pour objectif d’offrir une plus grande protection aux travailleurs et aux travailleuses qui ont subi du harcèlement ou de la violence à caractère sexuel en milieu de travail, ainsi que de faciliter l’exercice de leurs recours destinés à assurer cette protection. Elle vise aussi à mettre en place certains processus de prévention plus concrets pour les employeurs.

Dans le cadre de l’adoption du projet de loi, le ministre a annoncé la mise en place d’une équipe spécialisée en matière de violence à caractère sexuel au sein du Tribunal administratif du travail (le « TAT »), qui sera composée de décideurs administratifs et de conciliateurs ayant reçu une formation en la matière et qui permettra de rendre le processus plus accessible pour les personnes alléguant avoir subi du harcèlement ou de la violence à caractère sexuel. 

Dans le présent bulletin, nous résumons les principales modifications apportées à certaines lois sur le travail. Certaines dispositions sont entrées en vigueur à la date de la sanction de la loi, alors que d’autres n’entreront en vigueur qu’à une date ultérieure.

Modifications au Code du travail 

Aux termes des nouvelles dispositions contenues dans la Loi, tous les arbitres qui traitent des griefs en matière de harcèlement psychologique devront suivre une formation obligatoire sur la violence à caractère sexuel. Les conditions de cette formation, telles que le contenu, la durée et les personnes ou les organismes autorisés à l’offrir, seront déterminées par le ministre, après consultation du Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre. Par ailleurs, les parties à un grief portant sur une question de harcèlement psychologique pourront demander la tenue d’une conférence préparatoire à l’audition. 

Modifications à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (« LATMP ») 

La Loi prévoit également une modification importante, soit l’introduction de deux présomptions légales permettant de faciliter la preuve pour obtenir la reconnaissance d’une lésion professionnelle résultant de la violence à caractère sexuel. 

La première présomption énonce qu’une blessure ou une maladie d’un travailleur ou d’une travailleuse est présumée être survenue par le fait ou à l’occasion de son travail si elle résulte de la violence à caractère sexuel subie et que cette violence est commise par son employeur, l’un des dirigeants ou l’un des travailleurs de l’employeur. 

La deuxième présomption fait en sorte qu’une maladie d’un travailleur ou d’une travailleuse qui survient dans les trois mois après que ce dernier ou cette dernière a subi de la violence à caractère sexuel sur les lieux du travail soit présumée être une lésion professionnelle. 

La Loi prévoit également faire passer de 6 mois à 2 ans le délai pour produire une réclamation pour une lésion ou une maladie professionnelle résultant de la violence à caractère sexuel subie par un travailleur ou une travailleuse. Ces modifications visent à offrir plus de temps aux victimes afin qu’elles puissent entreprendre les démarches nécessaires, car le principal motif de refus des réclamations d’indemnisation pour harcèlement psychologique est l’expiration du délai. Par ailleurs, lorsque le TAT estime probable que le harcèlement psychologique ait entraîné chez le travailleur ou la travailleuse une lésion professionnelle, certains délais prévus à la LATMP se calculeront à compter du jour de la décision du Tribunal, dans la mesure où un avis d’option pour une telle lésion n’a pas déjà été produit à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (la « CNESST »). Cela s’applique également lorsqu’une telle décision est rendue dans le cadre d’un recours en cas de harcèlement psychologique découlant d’une autre loi ou convention. 

De plus, pour assurer la confidentialité du dossier médical des personnes salariées, des changements ont également été apportés à certaines règles relativement au droit d’accès au dossier médical du travailleur ou de la travailleuse, ainsi que l’ajout d’infractions spécifiques pour une contravention à l’une de ces règles. En effet, en cas de contestation de l’employeur, ce dernier n’aura pas accès au dossier médical ni au dossier de réadaptation physique que possède la CNESST. Le professionnel de la santé désigné par l’employeur pourra quand même lui faire un résumé du dossier et lui donner un avis, mais en lui fournissant seulement les renseignements nécessaires pour lui permettre d’exercer les droits que lui confère la LATMP. L’employeur ou le professionnel de la santé désigné qui viole l’une de ces règles sera considéré avoir commis une infraction et sera passible d’une amende d’au moins 1 000 $ et d’au plus 5 000 $, s’il s’agit d’une personne physique, et d’au moins 2 000 $ et d’au plus 10 000 $ dans les autres cas. 

Il est à noter que les dispositions portant sur les nouvelles présomptions, sur la modification du délai pour produire une réclamation ainsi que sur l’accès au dossier médical entreront en vigueur le 27 septembre 2024.

Modifications à la Loi sur les normes du travail 

Parmi les modifications contenues la Loi, le ministre souhaite prescrire un contenu minimal à la politique de prévention et de prise en charge des situations de harcèlement psychologique, que les employeurs doivent adopter depuis 2019 en vertu de la Loi sur les normes du travail. En effet, cette politique devra prévoir ce qui suit :

  • les méthodes pour identifier, contrôler et éliminer les risques de harcèlement psychologique, en mettant l’accent sur les comportements à caractère sexuel; 
  • les programmes d’information et de formation spécifiques en matière de prévention du harcèlement psychologique offerts aux personnes salariées ainsi qu’aux personnes désignées par l’employeur pour la prise en charge d’une plainte ou d’un signalement;
  • les recommandations concernant les comportements à adopter lors de la participation à des activités sociales liées au travail; 
  • les personnes désignées par l’employeur pour la prise en charge d’une plainte ou d’un signalement;
  • les modalités applicables pour faire une plainte et un signalement à l’employeur ou pour lui fournir un renseignement ou un document, la personne désignée pour s'en charger, ainsi que l’information sur le suivi qui doit être donnée par l’employeur;
  • les mesures de protection pour les personnes concernées et celles qui collaborent au traitement d’une plainte ou d’un signalement en harcèlement psychologique, 
  • les directives sur le processus d’enquête interne par l’employeur; 
  • le nom de la personne désignée pour prendre en charge les plaintes et les signalements devra figurer dans la politique. 

La confidentialité des plaintes et des documents devra également être abordée, et la durée minimale de conservation des documents devra être fixée à deux ans. La Loi prévoit que cette politique fera partie du programme de prévention ou du plan d’action que l’employeur doit appliquer en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail

Les changements viennent aussi préciser les obligations de l’employeur en matière de prévention du harcèlement psychologique en énonçant que l’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique provenant de toute personne en milieu de travail. Cette disposition clarifie que l’employeur a aussi l’obligation de protéger ses salariés du harcèlement pouvant provenir de clients et de fournisseurs. 

La Loi vise également à empêcher l’usage de clauses d’amnistie dans les contrats individuels de travail, les conventions collectives, les décrets à de telles conventions ou toute autre entente relative à des conditions de travail. Au Canada, de nombreuses conventions collectives comportent des clauses d’amnistie, permettant d’effacer les mesures disciplinaires du dossier d’une personne salariée après une période donnée, variant habituellement entre 6 et 24 mois. Par conséquent, lorsqu’un employeur doit déterminer une mesure disciplinaire appropriée à imposer à un salarié, il ne peut pas tenir compte des mesures disciplinaires antérieures à la période d’amnistie. Or, le nouvel article empêchera les employeurs de ne pas tenir compte d’une mesure disciplinaire précédemment imposée à une personne salariée en raison d’une inconduite relative à de la violence physique ou psychologique qu’elle a commise, y compris de la violence à caractère sexuel, lors de l’imposition d’une mesure disciplinaire concernant une nouvelle inconduite relative à l’une de ces formes de violence. Cet ajout permettra à l’employeur de toujours effectuer une gradation des sanctions en faisant en sorte que les mesures disciplinaires impliquant ces formes de violence ne puissent « expirer ». 

La Loi prévoit aussi que constitue une pratique interdite le fait pour un employeur d’exercer à l’endroit d’une personne salariée des représailles ou de lui imposer toute autre sanction au motif que cette personne lui a fait un signalement concernant une conduite de harcèlement psychologique commise envers une autre personne. 

Les dispositions de la Loi précisent que les parties, dans le cadre d’un règlement visant une plainte relative à une conduite de harcèlement psychologique, doivent s’engager à préserver la confidentialité du processus de règlement. Toutefois, les parties peuvent convenir de la levée de cette obligation de confidentialité par une entente écrite, auquel cas elles doivent préciser les éléments qui en font l’objet et y indiquer le moment où elle prend effet. 

La Loi confère également au médiateur le pouvoir de mettre fin à une médiation s’il estime, compte tenu des circonstances, que son intervention n’est pas utile ou indiquée. Cette modification est apportée afin de s’adapter aux différentes réalités des plaintes en matière de harcèlement psychologique et de violence à caractère sexuel qui font en sorte qu’il n’est pas toujours possible d’arriver à un terrain d’entente. Elle permet aussi de réduire les risques de victimisation secondaire causés par la recherche d’une entente à tout prix. La victimisation secondaire est un phénomène qui survient lorsque les personnes victimes sont soumises à des situations de minimisation ou d’insensibilité à l’égard de la violence dont elles ont été préalablement victimes, ce qui exacerbe les traumatismes initiaux vécus. 

La Loi prévoit aussi que le TAT peut ordonner à l’employeur de verser des dommages-intérêts punitifs à une personne salariée victime de harcèlement psychologique lorsque l’employeur est personnellement responsable du harcèlement, et ce, même au-delà des indemnités prévues au régime de santé et sécurité au travail et même s’il est probable qu’il s’agisse d’une lésion professionnelle. En ce qui concerne l’attribution de dommages punitifs, la Loi sur les normes du travail n’exige pas la démonstration d’une atteinte illicite et intentionnelle, contrairement à l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne. Les dommages punitifs n’ont pas pour but d’accorder une compensation pour le préjudice subi, mais sont plutôt utilisés et évalués à des fins de prévention, de dissuasion et de dénonciation. Il est important de mentionner que cette modification s’inscrit dans un contexte de débat jurisprudentiel, à savoir si l’attribution de dommages-intérêts dans le cadre d’un régime d’indemnisation constitue une double indemnisation ou non. 

Une augmentation des amendes en cas d’infraction aux dispositions concernant le harcèlement psychologique est aussi prévue. En effet, l’employeur sera passible d’une amende de 600 $ à 6 000 $ et, pour toute récidive, d’une amende de 1 200 $ à 12 000 $. 

Il est important de noter que les modifications portant sur les changements requis aux politiques de harcèlement psychologique, de même que celles liées à la confidentialité d’un règlement et aux médiations entreront en vigueur le 27 septembre 2024.

Modifications à la Loi sur la santé et la sécurité du travail 

Conformément aux modifications apportées par la Loi, la violence à caractère sexuel sera définie dans la Loi sur la santé et la sécurité au travail comme étant « toute forme de violence visant la sexualité ou toute autre inconduite se manifestant notamment par des gestes, des pratiques, des paroles, des comportements ou des attitudes à connotation sexuelle non désirés, qu’elles se produisent à une seule occasion ou de manière répétée, ce qui inclut la violence relative à la diversité sexuelle et de genre ».

Les changements apportés à cette loi accordent un pouvoir réglementaire à la CNESST afin de lui permettre de déterminer les mesures qui devraient être employées par l’employeur pour assurer la prévention et la cessation de situations de violence à caractère sexuel en milieu de travail. Si la CNESST n’adopte pas de règlement à cet effet dans les deux ans suivant la sanction du projet de loi dans le but de prévenir et de combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail, le gouvernement pourra édicter ce règlement. 

De plus, la politique de prévention et de prise en charge de situations de harcèlement psychologique contenue dans la Loi sur les normes du travail fera partie intégrante du programme de prévention prévu par la Loi sur la santé et la sécurité au travail. Cette exigence entrera en vigueur à la même date que les dispositions réglementaires sur les mécanismes de prévention et de participation en établissement, soit le 1er octobre 2025.

Conclusion 

Dans un contexte où nous observons une tendance à la hausse des recours concernant le harcèlement psychologique et sexuel au travail, l’adoption de cette Loi démontre une volonté de légiférer pour renforcer la prévention et la lutte contre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail. 

En attendant l’entrée en vigueur de certaines dispositions de la Loi, les employeurs devraient passer en revue leurs politiques et pratiques concernant la prévention du harcèlement psychologique et de la violence à caractère sexuel afin d’être conformes aux nouvelles exigences de la loi et d’offrir à leurs employés des milieux de travail sains et sécuritaires.