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Hausse marquée des litiges – Partie I : Qu’est-ce qui nous attend?

1 mai 2020
Il est impossible de vous prémunir complètement contre les risques d’une action collective. Il y aura toujours le risque que quelqu’un dépose une réclamation contre vous, même si cette réclamation n’est pas fondée... Le risque zéro n’existe pas. Il y a cependant des mesures qui permettent d’atténuer ces risques. Les entreprises devraient sérieusement réfléchir à la question dans le contexte actuel de la pandémie et, idéalement, obtenir des conseils juridiques, avant de communiquer avec leurs clients, leurs employés, leurs investisseurs ou autres parties intéressées.
Robin Reinertson, associée du groupe Litige et règlement des différends de Blakes
Balado disponible en anglais avec retranscription en français ci-dessous.

La pandémie de COVID-19 repousse les limites à de nouveaux sommets inattendus en ce qui a trait aux litiges. Les avocats Matthew Liben et Robin Reinertson de Blakes discutent de certaines questions relatives à la force majeure, aux ententes entre locateur et locataire et à la multiplication des demandes d’actions collectives dans le contexte de la crise actuelle.
 

Retranscription

Mathieu Rompré : Bonjour, je m’appelle Mathieu Rompré. 

Peggy Moss : Et je m’appelle Peggy Moss, je vous souhaite la bienvenue chez Blakes. Allô, Mathieu? Est-ce que tu vas bien? Tu ne sembles pas être dans ton assiette?

Mathieu : Je ne sais pas trop, Peggy. J’ai regardé des séries en rafale dernièrement, et je fais des rêves vraiment bizarres, tous liés au travail. Je me retrouve tiraillé par un tas de questions juridiques.

Peggy: Comme quoi?

Mathieu : Eh bien, disons que je suis propriétaire d’un zoo au Québec...

Peggy : Oh là là! C’est parti…

Mathieu : Imaginez que j’ai de gros animaux exotiques et tout, mais que plus personne ne peut venir visiter mon zoo à cause de la COVID. Puis-je invoquer la force majeure, ou peut-être la diffamation? Joe Exotic, par exemple, il a une cause légitime, non?

Peggy : Tiger King? Sérieusement? Je crois que le moment est venu de lancer le quatrième épisode du balado Continuité de Blakes, qui porte sur les litiges.

Mathieu : Nous rejoignons donc à l’instant Matthew Liben à Montréal, qui exerce dans le domaine du litige commercial. Matt, hello, bonjour! Parlons d’abord de force majeure. Certaines entreprises sont-elles parvenues à invoquer cette clause avec succès dans le contexte de la COVID-19?

Matthew : Oui, absolument. En fait, j’imagine que ça dépend de ce que l’on entend par « avec succès », puisque nous ne connaissons probablement pas encore l’issue de ces affaires. Il y aura probablement des litiges liés à la force majeure; en tous cas, elle semble être invoquée dans de nombreuses affaires. Cela dit, la plupart des clauses de force majeure ne sont pas conçues dans l’intention de fournir un coup de main dans le cadre d’une crise comme celle que nous vivons. D’ailleurs, la plupart des clauses que nous avons examinées excluent les obligations pécuniaires et ne sont donc pas vraiment utiles aux parties qui cherchent à faire suspendre leurs paiements contractuels. Ce que nous avons fait, donc, pour tenter d’aider les débiteurs à braver la tempête, c’est examiner le contrat dans son ensemble afin de déterminer si d’autres clauses pouvaient être utilisées dans les circonstances ou regarder du côté des doctrines juridiques pour trouver de l’aide. Lorsque c’est la partie adverse qui avait invoqué une clause de force majeure, notre tâche consistait plutôt à vérifier si la clause avait été bien appliquée et s’il y avait quoi que ce soit dans la clause susceptible d’aider notre client à exécuter ses propres obligations. Enfin, nous évaluons aussi si la clause de force majeure suspend réellement l’exécution des obligations des parties ou si elle ne fait que reporter l’exécution de leurs obligations respectives.

Mathieu : D’accord. Le régime de force majeure du Québec fonctionne-t-il différemment?

Matthew : Ici au Québec, contrairement à partout ailleurs au Canada, même s’il n’y a pas de clause de force majeure dans un contrat, les parties peuvent faire valoir une défense de force majeure en vertu des dispositions du Code civil. En fait, les dispositions du Code civil ne sont exécutoires ou applicables que si le contrat ne fait pas mention de la force majeure. Autrement dit, les parties peuvent se soustraire au régime de force majeure du Québec en insérant une clause à cet effet dans leurs contrats, mais, si aucune clause de force majeure n’est incluse dans un contrat, les parties peuvent se prévaloir des dispositions pertinentes du Code civil. Un autre fait intéressant au sujet du régime du Code civil du Québec, c’est qu’il n’exclut pas les obligations pécuniaires. Donc, dans bien des cas, le régime du Code civil est en fait plus avantageux pour un débiteur que la clause contractuelle habituelle.

Peggy : Matt, vous représentez tantôt les locateurs, tantôt les locataires, dans le domaine de l’immobilier commercial, ce qui est assez inhabituel; pourriez-vous nous donner une idée des genres de problèmes que soulève la pandémie d’un côté comme de l’autre?

Matthew : Oui, c’est bien vrai. Pour répondre à votre question, je crois que la crise actuelle va entraîner des conséquences majeures et durables pour les deux parties. Tant des locateurs que des locataires sont venus nous voir et ont sollicité notre aide pour résoudre des problèmes liés à leurs baux commerciaux. Je tiens par ailleurs à signaler que, dans presque tous les cas où nos conseils ont été sollicités, les deux parties avaient tenté de régler leurs différends de façon volontaire, mais n’avaient pas été en mesure de le faire. Donc, en cas d’impasse, nous pouvons certainement intervenir, examiner le contrat et prodiguer des conseils sur la meilleure position que peut adopter une partie, soit pour se préparer en vue d’un litige, soit pour tenter de briser l’impasse et reprendre les négociations. Parmi les éléments que nous examinons, eh bien, nous examinons évidemment les clauses de force majeure éventuelles, mais nous réfléchissons aussi à la possibilité de faire valoir la défense d’inexécution. Nous tentons d’établir si le locateur manque à son obligation d’assurer la jouissance paisible des lieux et, dans l’affirmative, quelles en sont les conséquences. Nous tentons également d’établir si le locateur manque à son obligation de garantir que les lieux puissent être utilisés aux fins prévues. Enfin, nous analysons si le contrat limite ou élimine entièrement de telles obligations. Bref, il y a bien des éléments à considérer, selon, bien sûr, que nous agissons pour le compte d’un locateur ou d’un locataire.

Peggy : Le gouvernement fédéral est intervenu récemment. Quels sont les points saillants de cette annonce plutôt inattendue?

Matthew : L’un des principaux points à retenir serait, selon moi, que cette annonce a fait entrevoir un espoir, surtout d’entrée de jeu, alors que les détails précis du programme n’avaient pas encore été présentés. Elle a apporté de l’espoir aux locataires qui y ont vu une occasion d’obtenir une réduction pouvant atteindre 75 % de leurs loyers commerciaux pour les mois d’avril, de mai et de juin. Maintenant que les détails sont connus, la question clé est de savoir (1) si le propriétaire est disposé à participer au programme, parce qu’il s’avère que ce dernier est purement facultatif, et [(2)] s’il l’est, comment l’admissibilité au programme sera établie, car tout le monde n’y est pas admissible. Le programme semble viser principalement les petites et moyennes entreprises, et l’admissibilité semble déterminée au cas par cas, notamment en fonction du montant du loyer à payer aux termes de chaque bail donné.

Mathieu : Merci beaucoup, Matthew Liben. Robin Reinertson, c’est un bon moment pour vous joindre à la conversation. Vous êtes associée et membre du groupe Litige et règlement des différends à notre bureau de Vancouver, et vous vous spécialisez dans la contestation d’actions collectives. Il est bien connu que les avocats des demandeurs peuvent faire preuve d’une grande créativité lorsqu’il s’agit de déposer une action collective. La pandémie actuelle leur a-t-elle donné de nouvelles raisons de se montrer proactifs, que ce soit en Colombie-Britannique ou ailleurs au Canada?

Robin : Oui. La réponse courte est oui. Un nombre important d’actions collectives ont en effet été déposées en lien avec la pandémie de COVID-19 au cours des dernières semaines, particulièrement aux États-Unis, où il semble y avoir un nombre record d’actions collectives, et nous verrons fort probablement des réclamations semblables au Canada. Un nombre astronomique de demandes d’actions collectives a été déposé. Et le nombre de nouvelles demandes continue de monter partout au Canada.

Mathieu : Selon ce que vous avez remarqué ou ce que vous prévoyez, quels types d’actions collectives sont déposés en lien avec la COVID?

Robin : Eh bien, les demandes d’actions collectives qui ont été présentées touchent un large éventail d’entreprises dans des secteurs d’activités différents. Il n’y a pas que les secteurs des voyages et des soins de santé qui sont visés, bien qu’ils soient particulièrement ciblés. De nombreuses réclamations reçues émanent du secteur des biens de consommation. Des groupes de personnes qui avaient des réservations de voyage et dont le voyage a été annulé ont déposé des demandes d’actions collectives dans le but d’obtenir des crédits plutôt que des remboursements. Qu’il s’agisse de billets de concerts ou d’événements, de laissez-passer de ski ou de parcs d’attractions ou d’abonnements à des centres de conditionnement physique – ou encore n’importe quel service pour lequel vous payez mensuellement, et que vous continuez de payer chaque mois malgré le fait que nous ne puissiez plus en bénéficier – ces achats pourraient tous éventuellement faire l’objet d’actions collectives. Comme je l’ai dit, le secteur des soins de santé est particulièrement attaqué; des demandes ayant été déposées au Québec et en Colombie-Britannique, et plus récemment, en Ontario, relativement à des éclosions de COVID-19 dans des établissements de soins de longue durée. D’autres réclamations concernent des éclosions dans des prisons fédérales. J’ai l’impression que tous les endroits où il y a eu de nombreux cas d’affections pourraient faire l’objet d’actions collectives. Le secteur des assurances n’y échappe pas non plus. Des demandes d’actions collectives dans ce secteur ont été présentées aux États-Unis, entre autres, et nous prévoyons que ce sera le cas aussi au Canada. Nous nous attendons à ce que des demandes soient déposées dans le secteur de l’emploi relativement à des mises à pied, à des primes de risque ou à des conditions de travail dangereuses. Des actions collectives pourraient aussi être engagées en lien avec la protection de la vie privée ou la cybersécurité. Une action collective a d’ailleurs été déposée en Californie concernant Zoom. Aux États-Unis, une action collective a été déposée contre des universités liée à l’annulation des cours. Les enjeux sont si importants au cours de cette pandémie, il y a fort à parier que nous assisterons à une hausse quasi sans limite de la créativité et des causes potentielles de réclamations.

Peggy : Robin, certains laissent entendre que le contexte juridique et politique en Colombie-Britannique, en particulier, crée les conditions idéales pour les avocats spécialisés dans les actions collectives. Que veulent dire ces personnes exactement?

Robin : La pandémie, combinée à d’autres facteurs en Colombie-Britannique qui n’ont rien à voir avec la COVID, crée les conditions idéales pour les actions collectives au Canada en ce moment. Il y a deux raisons principales à cela. La première concerne la structure de la loi provinciale intitulée Class Proceedings Act ainsi que les modifications qui y ont été apportées récemment, et la deuxième, curieusement, concerne les modifications apportées par l’ICBC, l’Insurance Corporation of British Columbia, qui, en fait, est l’assureur automobile obligatoire dans la province. Parlons d’abord de la Class Proceedings Act. La Colombie-Britannique autorise depuis peu les recours collectifs nationaux. Qui plus est, contrairement à l’Ontario et à la plupart des autres provinces, la Colombie-Britannique en est une « sans dépens ». Autrement dit, le coût et les risques pour les avocats des demandeurs lorsqu’ils déposent une demande d’action collective en Colombie-Britannique sont inférieurs à ceux encourus en Ontario ou dans d’autres provinces. Parallèlement, l’Ontario envisage quant à elle d’apporter des modifications à sa Loi sur les recours collectifs, qui, si elles sont adoptées, feront en sorte qu’il sera moins intéressant de déposer des actions collectives dans ce territoire. Parlons maintenant de l’ICBC. Nous étions habitués en Colombie-Britannique à voir des avocats spécialisés dans les actions collectives particulièrement créatifs et dotés d’un vif esprit entrepreneurial, mais le paysage est en train de changer. Premièrement, le régime de responsabilité délictuelle en Colombie-Britannique en ce qui a trait aux sinistres automobiles a subi une profonde refonte et, deuxièmement, notre procureur général a annoncé dernièrement son intention de passer entièrement à un régime sans égard à la responsabilité dans la province. Ces changements signifient, en gros, que les avocats des demandeurs qui avaient fait des litiges dans le secteur automobile leur principale activité devront chercher un nouveau secteur de prédilection et s’occuper de nouveaux types de réclamations. Enfin, nous nous attendons à ce que le nombre de demandes d’actions collectives en Colombie-Britannique augmente dans un avenir rapproché.

Peggy : Je peux facilement comprendre que l’on veuille être blindé contre les actions collectives pendant une crise comme celle que nous vivons; mais c’est utopique de penser qu’on y arrivera. Y a-t-il, en revanche, des choses que les entreprises et les clients peuvent faire pour atténuer leurs risques d’une action collective dans la situation actuelle?

Robin : C’est tout à fait juste, malheureusement. Il est impossible de vous prémunir complètement contre les risques d’une action collective. Il y aura toujours le risque que quelqu’un dépose une réclamation contre vous, même si cette réclamation n’est pas fondée... On entend souvent dire qu’il serait possible de poursuivre un sandwich au jambon au criminel, et parfois, j’ai vraiment l’impression que l’on pourrait inculper un sandwich au jambon en Colombie-Britannique. Le risque zéro n’existe pas. Il y a cependant des mesures qui permettent d’atténuer ces risques. Les entreprises devraient sérieusement réfléchir à la question dans le contexte actuel de la pandémie et, idéalement, obtenir des conseils juridiques, avant de communiquer avec leurs clients, leurs employés, leurs investisseurs ou autres parties intéressées... Il pourrait être tentant, selon moi, après cette première phase de mesures, de relâcher la vigilance, mais des mesures à long terme suivront bientôt, et nous assisterons éventuellement à une réduction graduelle de certaines des restrictions mises en place ou à un retour progressif au travail en présentiel, et je pense qu’il sera très important pour les entreprises de s’arrêter et de demander des conseils juridiques afin de connaître la meilleure façon de mettre en œuvre ces nouvelles mesures et de transmettre de l’information à leur sujet. J’aimerais aussi dire à nos clients que, s’ils sont visés par une action collective, il est vraiment important qu’ils retiennent les services de conseillers juridiques expérimentés et créatifs qui seront en mesure de cerner et d’exploiter les stratégies de sortie hâtives possibles. Ce type de litige est hautement complexe et les coûts engendrés pour se défendre, souvent pendant de nombreuses années, peuvent être considérables. C’est pourquoi nous nous efforçons de trouver des solutions pour mettre généralement rapidement fin à ces procédures.

Mathieu : Merci, Robin et Matt. Je sais que vous et d’autres membres de l’équipe des litiges êtes très occupés en ce moment. Merci d’avoir pris le temps de faire le point sur la situation avec nous.

Peggy : Tous les auditeurs qui souhaitent obtenir plus de renseignements peuvent consulter le Centre de ressources sur la COVID-19 de Blakes sur notre site Web. D’ici la prochaine fois, prenez soin de vous et restez en sécurité.

À propos du balado Volume d’affaires de Blakes

Notre balado Volume d’affaires (anciennement Continuité) se penche sur les répercussions que peut avoir l’évolution du cadre juridique canadien sur les entreprises, et ce, dans notre réalité « post-COVID-19 » et dans l’avenir. Des avocates et avocats de tous nos bureaux discutent des défis, des risques, des occasions, des développements juridiques et des politiques gouvernementales dont vous devriez avoir connaissance. Nous abordons par ailleurs divers sujets qui vous importent et qui sont liés à la responsabilité sociale, comme la diversité et l’inclusion.

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