Le 13 juillet dernier, le nouveau ministre de la Justice et procureur général du Québec, Me Simon Jolin-Barette, et la nouvelle juge en chef du Québec, l’honorable Manon Savard, ont annoncé que la suspension des délais en matière civile serait levée dès le 1er septembre et que les délais de mise en état prévus aux protocoles d’instance en vigueur au 15 mars 2020 seraient prolongés de 45 jours à compter du 1er septembre.
Outre les conséquences immédiates liées à la COVID-19, la levée de la suspension des délais mettra en lumière certains enjeux systémiques auxquels devront faire face l’ensemble des parties prenantes au système de justice québécois.
AUGMENTATION ACCRUE DES DÉLAIS
La fermeture des palais de justice au plus fort de la pandémie, et ce, avant la mise en place de solutions technologiques, a entraîné le report de plusieurs centaines, voire de milliers, de dossiers qui devaient être entendus sur le fond. Ces dossiers reportés seront vraisemblablement entendus en priorité étant donné qu’ils étaient déjà en état, créant ainsi des délais additionnels avant d'être entendus sur le fond.
Même si les tribunaux québécois ont déjà fixé la date de plusieurs dossiers ayant été reportés, le doute plane à savoir s’ils seront entendus à la nouvelle date; les risques d’une deuxième vague d’infections à la COVID-19 forçant à nouveau la fermeture des palais de justice étant toujours dans l’air.
Outre les délais occasionnés par le report de causes sur le fond, les mesures mises en place dans les palais de justice afin d’éviter la propagation de la COVID-19 ne permettent pas la reprise des activités judiciaires à plein régime, et ce malgré les solutions technologiques adoptées. Des délais additionnels en découleront également.
Les répercussions de ces délais additionnels, qui varieront significativement d’un palais de justice à un autre, se feront sentir sur plusieurs années. C’est pourquoi les modes alternatifs de règlement des différends seront fort intéressants pour les justiciables qui désireront mettre fin à un dossier avec célérité.
NÉGOCIATION, RENÉGOCIATION ET RE-RENÉGOCIATION DES PROTOCOLES DE L’INSTANCE
Pendant la période de suspension des délais, plusieurs parties et leurs procureurs ont entrepris de négocier de nouvelles échéances avec leurs adversaires pour faire progresser les dossiers actifs ou encore ont décidé de s’entendre avec leur adversaire pour faire en sorte que les délais du protocole de l’instance demeurent en vigueur.
Ainsi, il est à prévoir que certaines parties voudront renégocier les ententes conclues pendant la suspension des délais afin de bénéficier d’une échéance plus favorable.
De plus, la modification générale des échéances est sans doute adéquate pour certaines étapes d’un protocole de l’instance (par exemple, pour la mise en état d’un dossier), mais pour d’autres étapes, des difficultés sont à prévoir.
C’est le cas notamment des interrogatoires des témoins qui ne seront peut-être plus disponibles 7 mois après la date fixée au préalable. D’ailleurs, alors que l’état d’urgence sanitaire est toujours en vigueur, il est plus difficile de tenir les interrogatoires en personne et certains pourraient vouloir privilégier cette façon de faire.
LIMITES DES SOLUTIONS TECHNOLOGIQUES
Afin de pallier la fermeture presque complète des palais de justice durant la COVID-19, les tribunaux ont mis en place différentes solutions technologiques. Des salles de cours virtuelles ont entre autres été ajoutées afin de tenir des auditions en ligne, mais les limites de cette solution technologique sont bien réelles.
Tout d’abord, la plateforme utilisée par les tribunaux pour tenir des auditions en ligne n’offre que très peu de fonctionnalités. Sur le plan de la présentation de la preuve, par exemple, les fonctionnalités de la plateforme n’offrent pas la même flexibilité que lors d’une audition en personne et sont plus restreintes que celles offertes par d’autres plateformes utilisées, notamment, dans le cadre d’arbitrages.
Par ailleurs, dans l’éventualité où l’accès physique aux palais de justice est toujours limité, et ce, malgré la reprise des activités judiciaires, le petit nombre de salles de cours virtuelles ne saurait être suffisant pour permettre une reprise intégrale des activités judiciaires en ligne. À cet effet, il reste à voir si l’accès au palais de justice sera permis pour tous à la reprise « normale » des activités en septembre.
Dans tous les cas, l’usage réservé à ces salles virtuelles, dans la mesure où un usage est effectivement envisagé, est encore inconnu.
RÉSULTAT : UN CHANCEMENT D’ATTITUDE DES TRIBUNAUX
Depuis plusieurs semaines déjà, des membres de la magistrature incitent les parties aux litiges qui doivent être entendus au cours des prochains moins à recourir aux modes alternatifs de règlement des différends.
Bien que cela soit cohérent avec les principes directeurs du Code de procédure civile introduit en 2016, il s’agit, à notre connaissance, d’une situation sans précédent qui résulte directement de la COVID-19.
Au surplus, nous estimons que les tribunaux seront moins tolérants envers les parties qui utiliseront les ressources judiciaires de manière disproportionnée ou de manière abusive. Cette nouvelle attitude des tribunaux ne partira pas de sitôt et risque également d’entraîner d’autres changements.
L’ensemble des conséquences de la COVID-19, et surtout l'étendue de celles-ci, ne pourront être connues que dans quelques années. Une chose semble certaine, le système judiciaire québécois sera transformé à jamais.
Pour en savoir davantage, communiquez avec :
Matthew Liben 514-982-5091
Anthony Cayer 514-982-4070
ou un autre membre de notre groupe Litige et règlement des différends.
Consultez notre Centre de ressources sur la COVID-19 pour en savoir davantage sur les répercussions de la COVID-19 sur votre entreprise.