Sauter la navigation

Pilule empoisonnée rétroactive : l’Alberta Securities Commission publie les motifs de sa décision d’interdire les opérations

5 août 2025

Le 22 juillet 2025, l’Alberta Securities Commission (l’« ASC ») a publié les motifs de sa décision d’interdire les opérations à l’égard d’un régime de droits des actionnaires de Greenfire Resources Ltd. Le régime de droits avait été adopté en réponse à l’annonce d’un contrat de gré à gré visant l’achat d’un important bloc d’actions ordinaires de Greenfire.

Contexte

Le 16 septembre 2024, certains fonds gérés par Waterous Energy Fund Management Corp. (« WEF ») ont annoncé qu’ils avaient conclu des conventions d’achat d’actions avec trois actionnaires de Greenfire en vue d’acquérir 43,3 % des actions ordinaires de Greenfire (l’« acquisition d’actions »). L’opération ne constituait pas une offre publique d’achat, car les actionnaires vendeurs n’étaient pas situés au Canada, mais elle était quand même structurée de façon à respecter les conditions de la dispense pour contrats de gré à gré relative au régime des offres publiques d’achat (le « régime des OPA ») prévue par le Règlement 62-104 sur les offres publiques d’achat et de rachat.

Après la signature et l’annonce des conventions d’achat d’actions, Greenfire a adopté un régime de droits qui interdisait le transfert de 20 % ou plus des actions de Greenfire, à moins que l’opération ne soit structurée comme une offre publique d’achat non dispensée. Le régime de droits stipulait expressément que WEF n’était pas considérée comme un propriétaire véritable préexistant d’actions de Greenfire malgré les conventions d’achat d’actions. Par conséquent, la réalisation de l’opération entraînerait une dilution importante de la participation de WEF à la clôture.

WEF a demandé à l’ASC d’interdire les opérations à l’égard du régime de droits. Greenfire a présenté une demande reconventionnelle pour contester les conventions d’achat d’actions. Le 6 novembre 2024, l’ASC a accueilli la demande de WEF et a rejeté la demande reconventionnelle de Greenfire.

Motifs

L’ASC a conclu que l’adoption du régime de droits par Greenfire constituait non seulement un abus manifeste des marchés financiers, mais était également contraire aux principes directeurs des lois sur les valeurs mobilières. Il s’agit là des deux critères traditionnellement reconnus pour l’exercice de la compétence en matière d’intérêt public.

Le principal motif de la conclusion de l’ASC était que l’opération ne contrevenait ni à l’esprit ni à la lettre du régime des OPA. Ce régime ne s’appliquait pas puisque les actionnaires vendeurs n’étaient pas situés au Canada. Néanmoins, l’opération respectait les conditions de la dispense pour contrats de gré à gré qui, comme l’ASC l’a confirmé, représentait un mécanisme bien établi et largement étayé faisant partie intégrante du régime des OPA. L’ASC a rejeté l’argument de Greenfire selon lequel le recours à la dispense pour contrats de gré à gré irait à l’encontre des objectifs généraux du régime des OPA.

L’ASC a également conclu que l’application rétroactive du régime de droits à une opération légitime « nuirait gravement à l’efficacité de notre marché financier et à la confiance à son égard ». L’ASC a fait valoir qu’une telle atteinte compromettrait l’équité au lieu de la promouvoir et qu’elle ébranlerait la certitude du marché. Les participants au marché s’attendent raisonnablement à ce que le régime des OPA soit respecté et à ce que l’ASC favorise la certitude du marché et la confiance à son égard : « Notre marché financier s’appuie depuis de nombreuses années sur la conviction que le régime des OPA, y compris la dispense pour contrats de gré à gré, est un régime cohérent et sûr régissant les opérations sur actions ».

Dans sa demande reconventionnelle, Greenfire a invoqué des principes du droit des sociétés pour défendre l’adoption du régime de droits par son conseil et pour critiquer la conduite de certains dirigeants des actionnaires vendeurs qui ont siégé au conseil d’administration de Greenfire. L’ASC a rejeté l’argument de Greenfire selon lequel l’adoption du régime de droits pourrait être justifiée par la règle de l’appréciation commerciale. La décision d’adopter un régime de droits rétroactif ne faisait pas partie des solutions raisonnables prévues par cette règle. L’ASC a également rejeté l’invitation de Greenfire à élargir les obligations fiduciaires des administrateurs du point de vue de la politique publique du marché financier, faisant toutefois remarquer qu’elle pourrait tenir compte de la conduite des administrateurs dans sa décision d’exercer ou non sa compétence en matière d’intérêt public.

Greenfire avait présenté d’importantes preuves d’expert sur l’appréciation commerciale et les obligations fiduciaires des administrateurs. L’ASC a indiqué que ces preuves étaient inutiles compte tenu de sa propre expertise, mais elle a reconnu que les preuves d’expert sont généralement admises si elles sont utiles ou si elles confirment ses conclusions indépendantes. L’ASC a déconseillé aux parties de soumettre de telles preuves lorsque les enjeux d’efficacité l’emportent sur l’utilité potentielle.

À la suite de l’audience et de la décision rendue verbalement dans l’affaire Greenfire, le Tribunal des marchés financiers de l’Ontario (le « TMFO ») a publié les motifs de sa décision dans l’affaire Riot Platforms, Inc v. Bitfarms Ltd, qui définissaient une approche visant à concilier les critères d’« abus manifeste » (clear abuse) et de « contravention aux principes directeurs » (contrary to the animating principles) pour l’exercice de la compétence en matière d’intérêt public. Dans ses motifs, l’ASC a refusé de se prononcer sur la question de savoir si l’approche du TMFO devait être adoptée en Alberta, préférant laisser cette question en suspens pour une prochaine affaire.

Points à retenir

  • La certitude du marché demeure un facteur crucial dans la décision de l’ASC d’exercer ou non sa compétence en matière d’intérêt public.
  • Le respect de l’esprit et de la lettre des dispenses du régime des OPA ne porte pas atteinte aux principes directeurs de ce régime.
  • La compétence de l’ASC pour se prononcer sur les allégations d’inconduite des administrateurs est limitée et ne représente généralement que l’un des facteurs dont celle-ci doit tenir compte pour décider si elle exerce ou non sa compétence en matière d’intérêt public.
  • Les preuves d’expert ne devraient être présentées qu’avec parcimonie, le cas échéant, sur les questions relevant de l’expertise de l’ASC. Les preuves d’expert feront l’objet d’un examen plus approfondi si elles expriment une opinion sur des questions fondamentales.

Pour en savoir davantage, communiquez avec l’un des auteurs du présent bulletin.

Le présent bulletin a été rédigé avec l’aide de Chaein Lee (étudiante d’été en droit). 

Plus de ressources