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Décisions récentes : interprétation large des lois sur les espèces en péril

Par Valentina Cean (stagiaire)
15 juin 2020

En mai, des tribunaux canadiens ont rendu leur décision dans deux affaires de contrôle judiciaire concernant la mise en œuvre de lois sur les espèces en péril. Ces décisions signalent une tendance vers une interprétation large de ces lois.

LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE CONFIRME LA VALIDITÉ CONSTITUTIONNELLE DU POUVOIR D’ÉMETTRE DES DÉCRETS D’URGENCE EN VERTU DE LA LOI SUR LES ESPÈCES EN PÉRIL

Le 15 mai 2020, la Cour d’appel fédérale (la « Cour d’appel ») a confirmé la validité du décret d’urgence ordonnant la cessation d’un projet de développement près de Montréal pour protéger la rainette faux-grillon de l’Ouest. Ce faisant, la Cour d’appel a confirmé la validité constitutionnelle des décrets fédéraux qui sont adoptés en vertu de l’article 80 de la Loi sur les espèces en péril (la « LEP ») et qui concernent des terres privées. Pour en savoir davantage sur ce décret d’urgence et la décision précédente dans cette affaire, consultez notre Bulletin Blakes de juillet 2016 intitulé Un décret d’urgence visant à protéger l’habitat d’une grenouille empêche un développement immobilier dans la banlieue de Montréal et celui de septembre 2018, La Cour statue que les décrets d’urgence en vertu de la LEP sont valides et qu’une indemnité peut être obtenue.

La Cour d’appel a déterminé que le pouvoir d’émettre un décret d’urgence, qui n’a été exercé qu’à deux reprises, est de portée étroite et s’applique aux situations où la survie immédiate d’une espèce est menacée et nécessite une intervention urgente. Par conséquent, ce pouvoir n’empiète pas sur des domaines de compétence provinciale. La Cour d’appel a noté que la disposition relative aux décrets d’urgence, laquelle s’applique spécifiquement aux terres privées pour les espèces dont la protection ne relève pas d’une compétence fédérale, n’autorise pas le gouverneur en conseil à imposer des mesures pour protéger l’espèce et l’habitat désigné, mais seulement à imposer des mesures interdisant des activités susceptibles de leur nuire.

Des décisions rendues précédemment par des tribunaux canadiens ont établi que la protection de l’environnement fait partie des « maux » que le Parlement peut réprimer par le biais de sa compétence sur le droit criminel. La Cour d’appel s’est appuyée sur ces décisions pour confirmer que la compétence fédérale en matière de droit criminel doit permettre au Parlement d’agir pour prévenir la disparition des espèces sauvages, notamment s’il y a une menace imminente susceptible de porter atteinte à leur survie. La Cour d’appel a par ailleurs établi que l’identification précise des activités proscrites et du périmètre où l’habitat d’une espèce sauvage inscrite doit être protégé constituait une approche valant mieux qu’une mesure inutilement large qui risque d’avoir une incidence disproportionnée sur l’exercice des pouvoirs provinciaux. Selon la Cour d’appel, le fait d’accorder au gouverneur en conseil le pouvoir d’adapter soigneusement l’activité interdite en fonction des circonstances dans lesquelles survient une menace imminente pour la survie ou le rétablissement d’une espèce constitue un exercice valide du pouvoir du Parlement en matière de droit criminel.

La Cour d’appel a confirmé également que la décision du ministre de ne pas indemniser l’appelante pouvait faire l’objet d’une contestation distincte.

LA COUR SUPRÊME DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE ORDONNE AU GOUVERNEMENT DE CETTE PROVINCE D’APPLIQUER LA ENDANGERED SPECIES ACT

Le 29 mai 2020, la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (la « Cour suprême ») a autorisé une demande de contrôle judiciaire déposée par une personne et plusieurs groupes de naturalistes, lesquels étaient soutenus par la East Coast Environmental Law Association agissant à titre d’intervenante. Cette demande concernait le défaut du ministre des Terres et des Forêts de la Nouvelle-Écosse (le « ministre ») de mettre en œuvre les mesures de protection d’habitat prévues à la Endangered Species Act (l’« ESA ») de la Nouvelle-Écosse.

L’ESA prévoit que le ministre doit désigner des équipes de rétablissement pour les espèces inscrites sur la liste des espèces en péril ou menacées et dresser un plan de rétablissement dans les délais prévus par la loi. Entre autres, les plans de rétablissement doivent identifier l’habitat des espèces visées et le périmètre à considérer pour la désignation de l’habitat principal. Une telle désignation peut donner lieu à la prise de règlements assurant la protection de cet habitat ou de décrets par le ministre à l’égard des activités ayant un impact sur cet habitat. De plus, le gouvernement doit préparer des plans de gestion pour les espèces désignées comme étant vulnérables.

Les demandeurs soutenaient que le gouvernement de la Nouvelle-Écosse avait omis de mettre en œuvre la planification de rétablissement et de gestion ainsi que l’identification de l’habitat principal pour six espèces représentatives, soit l’orignal de l’Est, le cypripède tête-de-bélier, la paruline du Canada, le frêne noir, la tortue des bois et le pioui de l’Est. Selon la preuve présentée à la Cour suprême, les processus de planification en étaient à divers stades de mise en œuvre, bien que certains éléments de ces processus n’eussent lieu qu’après le dépôt de la demande de contrôle judiciaire.

La Cour suprême a statué que la nature directive du terme « shall » utilisé dans l’ESA ne signifiait pas que le ministre avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas remplir ses devoirs relativement à la formation d’équipes de rétablissement et à la préparation des plans requis. La Cour suprême s’est également appuyée sur le principe de la prudence, décrivant ce dernier comme étant un outil législatif qui empêche le gouvernement de donner comme prétexte l’absence de certitude scientifique pour ne pas remplir un devoir prescrit par la loi. Elle a conclu que le ministre avait fait preuve d’un manquement chronique et systématique dans la mise en œuvre des mesures requises aux termes de l’ESA. Par conséquent, elle a autorisé le contrôle judiciaire. La Cour suprême a également accepté de rendre des ordonnances à l’égard du ministre pour s’assurer que ce dernier remplisse les devoirs en question, mais elle a refusé d’établir des délais et d’imposer une supervision judiciaire comme le voulaient les demandeurs.

RÉPERCUSSIONS

Dans ces deux affaires, les tribunaux ont utilisé des propos très fermes pour parvenir à leurs décisions respectives, notamment l’utilisation du terme « obligation morale » par la Cour d’appel pour décrire le devoir d’empêcher la disparition des espèces sauvages. Il ne fait aucun doute que les tribunaux sont prêts à mettre les gouvernements fédéral et provinciaux sur la sellette si ces derniers n’appliquent pas les diverses lois régissant les activités ayant une incidence sur les espèces sauvages, et à faire une interprétation large de ces lois afin de s’assurer qu’elles demeurent valides. Les plaideurs peuvent s’attendre à ce que cette tendance se poursuive. Malgré les différences entre les régimes législatifs, les tribunaux donnent généralement à ces régimes une interprétation large et libérale afin d’assurer leur mise en œuvre efficace.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Janice Walton                             604-631-3354
Anne-Catherine Boucher         514-982-4133

ou un autre membre de notre groupe Environnement.