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La clause d’arbitrage d’Uber est inique, selon la Cour suprême du Canada

2 juillet 2020

Le 26 juin 2020, la Cour suprême du Canada (la « Cour ») a rendu sa décision dans l’affaire Uber Technologies Inc. c. Heller. La Cour a tranché en faveur du demandeur, lui permettant ainsi d’intenter une action collective devant les tribunaux ontariens plutôt que d’avoir à entamer une procédure d’arbitrage à l’étranger.

La question en litige portait sur une clause d’arbitrage dans un contrat type qui exigeait que les demandeurs paient des frais administratifs initiaux de 14 500 $ US et précisait que le lieu (ou le siège) désigné de l’arbitrage était les Pays-Bas. Le demandeur dans cette affaire, David Heller, a déposé une demande d’action collective contre Uber Technologies Ltd. (« Uber ») et ses sociétés apparentées afin d’obtenir les droits et les avantages que procure la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (Ontario) (la « LNE »). Uber a demandé le sursis de l’instance au motif que le contrat conclu entre M. Heller et Uber stipulait que les différends devaient d’abord être soumis à la Chambre de commerce internationale (la « CCI ») à des fins de médiation et que, en cas d’échec, les différends seraient soumis à l’arbitrage aux Pays-Bas.

Une majorité de juges de la Cour a statué que l’action collective projetée ne devrait pas faire l’objet d’un sursis au profit d’un arbitrage. Le raisonnement de la Cour permet de dégager des lignes directrices quant aux clauses d’arbitrage et aux clauses types qui sont exécutoires.

CARACTÈRE EXÉCUTOIRE DES CLAUSES D’ARBITRAGE

Une question préliminaire consistait à déterminer si la loi régissant le différend entre les parties était la Loi de 1991 sur l’arbitrage (Ontario) ou la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international (Ontario). Les juges majoritaires de la Cour ont conclu que cette question devait être examinée à la lumière de la nature du différend qui opposait les parties, plutôt que de celle de la relation entre les parties, et que le litige en l’espèce portait fondamentalement sur des questions en matière de travail et d’emploi et ne constituait pas un différend commercial, ce qui signifie que c’est la Loi de 1991 sur l’arbitrage qui s’appliquait.

La Cour s’est ensuite penchée sur la question sous-jacente, à savoir qui devait décider si un arbitre a compétence ou non à l’égard du différend : les tribunaux de l’ordre judiciaire ou l’arbitre. Sur la base de la jurisprudence applicable, la Cour a réitéré le principe de « compétence-compétence » selon lequel les tribunaux de l’ordre judiciaire devraient renvoyer les questions de compétence arbitrale à l’arbitre, sauf si la question repose uniquement sur une question de droit ou une question mixte de droit et de fait qui ne requiert qu’un examen superficiel de la preuve documentaire. Elle a noté que le tribunal doit aussi être convaincu que la contestation de la compétence de l’arbitre n’est pas une tactique dilatoire et ne préjudiciera pas indûment le déroulement de l’arbitrage.

Toutefois, les juges majoritaires ont ajouté une autre exception au principe de « compétence-compétence » selon lequel les tribunaux de l’ordre judiciaire devraient renvoyer les questions de compétence arbitrale à l’arbitre. Les juges majoritaires ont déclaré que les tribunaux peuvent trancher une question de compétence arbitrale si, en supposant que les faits allégués sont vrais, il existe une réelle possibilité que, advenant le renvoi à l’arbitrage, le différend ne soit jamais résolu par l’arbitre.

En l’espèce, les juges majoritaires ont conclu que la question de la compétence arbitrale pouvait être tranchée au moyen d’un examen superficiel de la preuve documentaire et que les préoccupations relatives à l’accessibilité à l’arbitrage – soit, principalement, les frais que le demandeur devrait encourir pour y procéder – indiquaient que cette question devrait bel et bien être tranchée par le tribunal.

INIQUITÉ DANS LES CONTRATS TYPES

Les juges majoritaires ont indiqué que deux élémentsdoivent être prouvés pour établir qu’une convention est inique, soit (1) une inégalité du pouvoir de négociation des parties et (2) un marché imprudent qui avantage indûment la partie la plus forte ou désavantage indûment la plus vulnérable.

Ils ont noté qu’un contrat type n’établit pas en soi une inégalité du pouvoir de négociation, mais que celui-ci a le pouvoir de le faire particulièrement en désignant le droit et le forum applicables à la résolution d’un différend ainsi que les clauses d’arbitrage.

Les juges majoritaires ont conclu qu’en l’espèce, la clause d’arbitrage était inique car les pouvoirs de négociation des parties étaient clairement inégaux. En outre, on ne pouvait prétendre que le demandeur était en mesure d’apprécier les conséquences financières et juridiques de son acceptation d’une clause d’arbitrage fondée sur les règles de la CCI ou le droit des Pays-Bas. Les coûts afférents à un tel arbitrage créaient également un marché imprudent par rapport au revenu annuel du demandeur et à la valeur disproportionnellement peu élevée d’une éventuelle sentence arbitrale favorable.

La Cour conclut que la clause d’arbitrage en l’espèce empêchait réellement un chauffeur de faire valoir ses droits contractuels contre Uber.

RÉPERCUSSIONS POUR LES CLAUSES D’ARBITRAGE

Cet arrêt de la Cour n’aura vraisemblablement pas d’incidence sur les clauses d’arbitrage dans les contrats commerciaux conclus entre deux parties avisées. Toutefois, la décision représente un changement significatif du droit relativement aux clauses d’arbitrage dans les contrats types conclus entre des parties ayant des pouvoirs de négociation inégaux, tels que ceux couramment utilisés par les participants de l’économie dite « à la demande » (ou « gig economy », soit un système basé sur des emplois flexibles, temporaires ou indépendants, dans le cadre duquel l’interface avec les clients et les travailleurs est assurée par une plateforme en ligne).

Le Canada continue d’être un pays favorable à l’arbitrage et les conventions d’arbitrage conclues librement par des parties commerciales continueront d’y être appliquées. Toutefois, la position des juges majoritaires est que le respect de l’arbitrage doit être fondé sur le fait que celui-ci représente un moyen efficace et rentable pour les deux parties de régler leurs différends. Lorsque l’arbitrage n’est pas accessible de manière réaliste pour l’une des parties, il ne procure pas un mécanisme réel de règlement des différends.

Par conséquent, on peut s’attendre à ce que les contestations fondées sur l’accessibilité de l’arbitrage deviennent plus courantes dans le contexte des contrats types conclus entre des parties en position de force et des parties plus vulnérables. Si les clauses d’arbitrage continuent d’être un outil utile dans les contrats, cet arrêt réitère qu’elles doivent être rédigées soigneusement pour assurer qu’elles seront exécutoires. Les parties devraient songer à inclure des modalités qui indiquent clairement que l’arbitrage est accessible aux deux parties, notamment des frais d’arbitrage plafonnés, un énoncé précisant que les séances peuvent se dérouler à un endroit autre que le lieu désigné de l’arbitrage, voire même par téléphone, et la création d’une procédure par paliers en fonction de la valeur des réclamations.

Blakes a agi en tant que conseiller juridique du Chartered Institute of Arbitrators (Canada) Inc. et de la Toronto Commercial Arbitration Society devant la Cour suprême du Canada.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

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Laura Cundari             604-631-4177
Andrew Kavanagh      604-631-3388
Justin Manoryk            416-863-2390

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