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La Cour d’appel du Yukon rétablit les principes de la juste valeur dans le cadre des fusions et acquisitions de sociétés ouvertes

Par David Tupper, Ross A. Bentley, Michael Dixon et Cory Kapeller (Articling Student)
20 mars 2020

Dans la récente décision qu’elle a rendue dans l’affaire Carlock v. ExxonMobile Canada Holdings ULC, 2020 YKCA 4, la Cour d’appel du Yukon (la « Cour d’appel ») a infirmé une ordonnance établissant la juste valeur des actions détenues par des actionnaires dissidents à un montant correspondant à une prime de 43 % par rapport au prix de transaction convenu entre ExxonMobil Canada Holdings ULC (« ExxonMobil ») et InterOil Corporation (« InterOil »). Selon la Cour d’appel, le prix initialement négocié par ExxonMobil et InterOil reflétait la juste valeur des actions des actionnaires dissidents. Cette décision vient confirmer qu’une preuve objective relative à l’état du marché doit guider la détermination de la juste valeur des actions dans le cadre des procédures d’évaluation menées pour des opérations de fusion et acquisition (« F&A ») de sociétés ouvertes.
 
CONTEXTE
 
L’appel découle d’une ordonnance de la Cour suprême du Yukon (le « tribunal de première instance ») établissant la juste valeur des actions détenues par les actionnaires qui ont exercé leur droit à la dissidence aux termes d’un plan d’arrangement approuvé par le tribunal de première instance.
 
En 2015, InterOil avait commencé à explorer la possibilité d’une opération visant la totalité de son entreprise. Elle a subséquemment accepté une offre provenant de Oil Search. ExxonMobil a ensuite fait une offre supérieure pour l’acquisition, par la voie d’un plan d’arrangement corporatif, de la totalité des actions d’InterOil à un prix de 45 $ US l’action (le « plan d’arrangement initial »). Ce plan prévoyait également un paiement conditionnel relatif aux ressources. Le plan d’arrangement initial a été approuvé par la majorité des actionnaires, ainsi que par le tribunal de première instance. Cependant, la Cour d’appel a annulé l’ordonnance d’approbation du plan rendue par le tribunal de première instance. ExxonMobil et InterOil ont ensuite conclu avec succès un deuxième plan d’arrangement prévoyant un prix de transaction de 49,98 $ US l’action et un paiement conditionnel relatif aux ressources (le « deuxième plan d’arrangement »). Le deuxième plan d’arrangement a été approuvé par plus de 90 % des actionnaires ayant exercé leurs droits de vote, ainsi que par le tribunal de première instance.
 
Moins de 0,5 % des actionnaires ont exercé leur droit à la dissidence et leur droit d’évaluation. Ces actionnaires ont déposé une requête demandant au tribunal de première instance d’établir la juste valeur de leurs actions. Dans un jugement daté de février 2019, le tribunal de première instance a donné raison aux actionnaires dissidents, en concluant que le prix de transaction n’était pas représentatif de la juste valeur. Elle a établi la valeur de leurs actions à 71,46 $ US l’action.
 
DÉCISION DE LA COUR D’APPEL
 
La Cour d’appel a conclu que le tribunal de première instance avait commis une erreur dans son évaluation des actions des actionnaires dissidents en accordant une importance insuffisante au prix de transaction dans l’évaluation de la juste valeur des actions en question. Par conséquent, le tribunal de première instance s’était s’appuyé à tort sur une évaluation théorique de la valeur actualisée des flux de trésorerie qui était contraire à la preuve fiable et objective relative à l’état du marché. La Cour d’appel a donc établi la juste valeur des actions des actionnaires dissidents à 49,98 $ US, soit le prix de transaction établi dans le cadre du deuxième plan d’arrangement.
 
Évaluation de la juste valeur
 
La Cour d’appel s’est appuyée sur la preuve fiable relative à l’état du marché pour conclure que le prix de transaction reflétait la valeur juste des actions des actionnaires dissidents. Cette conclusion se fondait sur les facteurs suivants :

  • Le prix de transaction reflétait un prix négocié dans un marché concurrentiel composé de parties averties;

  • Il n’y avait aucune indication qu’un autre processus aurait entraîné un prix supérieur;

  • L’ensemble des acheteurs potentiels et des investisseurs partiels avait obtenu tous les renseignements pertinents;

  • Il n’y a pas eu d’obstacle à ce que d’autres acheteurs potentiels ou investisseurs partiels présentent des offres plus élevées;

  • Le prix de transaction était nettement plus élevé que le cours de l’action avant la transaction;

  • Les actions étaient largement négociées et détenues par des investisseurs importants et avisés, qui maîtrisent les processus d’évaluation de la valeur des actions; aucun de ces investisseurs ne figurait au nombre des actionnaires dissidents;

  • La valeur des actions se fondait sur un actif à un stade préliminaire de développement et dont les perspectives étaient très incertaines; et

  • Contrairement à la preuve objective relative à l’état du marché, le calcul théorique de la valeur reflétait l’incertitude et la spéculation.

Outre ces facteurs, la Cour d’appel a examiné la critique du tribunal de première instance selon lequel aucun processus de vente ou d’enchères publiques n’avait été prévu. Elle a souligné qu’il n’y avait aucune preuve qu’un tel processus aurait généré un prix de transaction plus élevé. Par conséquent, ces processus ne sont pas nécessairement une condition pour utiliser le prix de transaction aux fins de l’évaluation de la juste valeur des actions dans le cadre d’opérations de F&A de sociétés ouvertes.
 
Pour conclure, la Cour d’appel a reconnu les limites de la méthode de la valeur actualisée des flux de trésorerie pour évaluer la valeur des actions, méthode qu’elle a qualifiée de technique d’évaluation qui est, par nature, fragile et qui s’appuie sur ses propres hypothèses. La Cour d’appel a toutefois pris soin de noter que les évaluations fondées sur la valeur actualisée des flux de trésorerie sont couramment utilisées pour analyser les valeurs et les opérations envisagées. Elle ne critiquait pas l’utilisation de cette méthode pour évaluer des opérations possibles, mais seulement les lacunes possibles si une évaluation fondée sur cette méthode ne cadre pas avec les actions de participants avisés du marché agissant dans leur propre intérêt dans le cadre d’une opération de F&A de sociétés ouvertes. Selon la Cour d’appel, le comportement du marché réel constitue une meilleure preuve qu’une évaluation théorique de la valeur.
 
CONCLUSION
 
Cette décision confirme que, dans le cadre de l’acquisition d’une société à grand nombre d’actionnaires et dont les titres sont largement négociés, un prix de transaction négocié par des parties avisées et indépendantes serait le meilleur indicateur de la juste valeur des actions de cette société. Lorsque les lacunes ne sont pas évidentes dans le processus de l’opération, ou lorsque les lacunes ont été corrigées, la preuve objective relative à l’état du marché doit orienter l’analyse évaluative à réaliser dans le cadre des opérations de F&A de sociétés ouvertes.
 
Pour en savoir davantage, communiquez avec :
 
Sébastien Guy                          514-982-4020
David Tupper                           403-260-9722
Ross Bentley                            403-260-9720
Michael Dixon                          403-260-9786
 
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