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La COVID-19 et vos contrats

20 mars 2020

Le présent bulletin traite des questions suivantes à la lumière de la pandémie actuelle de COVID‑19 :

  • Une clause de force majeure contenue dans un contrat peut-elle s’appliquer aux situations liées à la COVID-19?

  • À quel moment un contrat devient-il impossible à exécuter (inexécutable)?

  • En quoi consiste l’obligation d’atténuer les dommages?

Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (l’« OMS ») a déclaré que l’épidémie de COVID-19, également appelée le coronavirus, constituait désormais une pandémie. En date du 16 mars 2020, la plupart des gouvernements, y compris au Canada, avaient imposé des restrictions applicables aux voyages et aux activités commerciales.

Alors que la propagation de ce virus se poursuit à une vitesse fulgurante, et qu’elle bouleverse les marchés et les chaînes d’approvisionnement de partout dans le monde, les entreprises courent de plus en plus le risque de ne pas être en mesure d’exécuter leurs obligations contractuelles. Depuis janvier 2020, plus de 5 600 certificats de force majeure ont été délivrés par le Conseil chinois de promotion du commerce international (le « CCPCI ») à des entreprises chinoises qui n’ont pas réussi à respecter leurs obligations contractuelles internationales en raison de ce virus.

Le présent bulletin aborde la question de savoir dans quelle mesure la COVID-19 peut être invoquée comme raison justifiant l’inexécution d’obligations contractuelles, ainsi que les mesures immédiates que les entreprises doivent prendre pour se préparer aux perturbations causées par la COVID-19 dans l’exécution des contrats.

FORCE MAJEURE

La plupart des ententes commerciales prévoient que les parties peuvent être exonérées de leurs obligations contractuelles dans l’éventualité de circonstances graves et imprévues. Bien souvent appelées les « clauses de force majeure », ces dispositions libèrent généralement un cocontractant de ses obligations lorsque la survenance d’un événement, échappant au contrôle de chacune des parties, rend impossible l’exécution du contrat. Bien que les libellés des clauses de force majeure diffèrent, le fil conducteur entre elles est l’apparition d’un fait inattendu qu’une personne raisonnable ne pouvait prévoir ni contrôler. Ainsi, l’analyse ci-après s’applique uniquement aux contrats conclus avant que la pandémie de COVID-19 devienne un événement connu ou prévisible.

Dans les provinces canadiennes de common law, point de mire du présent bulletin, la force majeure est une création contractuelle. Elle peut seulement être invoquée si elle est prévue dans le contrat, et son application et son incidence sont établies par l’interprétation du contrat. Au Québec, la force majeure fait également partie du Code civil du Québec : son application ne requiert donc pas toujours un ancrage contractuel.

Une partie souhaitant se prévaloir d’une clause de force majeure doit d’abord établir que l’événement en cause correspond à la définition de « force majeure » donnée dans le contrat. La plupart des clauses de force majeure dressent une liste d’événements déclencheurs précis. Évidemment, les termes « épidémie », « maladie » et « pandémie » s’appliqueront vraisemblablement à la pandémie de COVID-19. Si la pandémie n’est pas visée par un terme spécifique ou analogue, elle peut tout de même être couverte par un libellé d’une portée plus large dans le contrat.

Par exemple, dans les cas où un gouvernement a déclaré l’état d’urgence ou fermé ses frontières au commerce pour faire face à la propagation de la COVID-19, une telle mesure peut correspondre à une définition de « force majeure » qui englobe une mesure gouvernementale ou administrative, telle qu’une décision ou un décret empêchant ou rendant difficile l’exécution. Certains contrats comprennent même des libellés d’application générale encore plus large, qui visent notamment d’autres événements hors du contrôle raisonnable des parties, ce qui engloberait presque assurément la pandémie actuelle de COVID-19. Toutefois, cette détermination doit être faite au cas par cas et sera tributaire du libellé du contrat et des circonstances factuelles.

Un événement pouvant être qualifié de force majeure ne confèrera pas à lui seul aux parties le droit d’être libérées de l’exécution d’un contrat. La partie qui invoque la force majeure doit également démontrer que l’événement en question a suffisamment nui à l’exécution du contrat. La grande majorité des clauses de force majeure prévoient le degré de l’incidence requise, allant du critère le plus exigeant selon lequel l’événement a « empêché » l’exécution aux critères moins stricts, à savoir que l’exécution a été rendue difficile, entravée ou retardée. Toutefois, dans les cas où l’incidence n’est pas précisée dans le contrat, les tribunaux canadiens ont généralement appliqué un seuil élevé, libérant uniquement les parties de l’exécution du contrat si l’événement a rendu celle-ci essentiellement impossible. Il faut souligner que le fait qu’un événement a simplement rendu l’exécution plus coûteuse ou non rentable est insuffisant pour déclencher l’application d’une clause de force majeure.

Il doit également y avoir un lien de causalité substantiel entre l’événement de force majeure et l’inexécution des obligations contractuelles de la partie. En ce qui a trait aux entreprises chinoises susmentionnées, par exemple, les certificats de force majeure délivrés par le CCPCI seraient considérés comme une preuve de la survenance d’un événement particulier, mais celle-ci ne suffirait pas pour satisfaire aux conditions d’une clause de force majeure sans la preuve que l’inexécution a été causée par cet événement. De même, la question de savoir si la perturbation de la chaîne d’approvisionnement en marchandises constitue une force majeure dépend, à savoir si les marchandises auraient pu être obtenues ou non auprès d’une autre source. Quant à savoir si l’impact de la COVID-19 sur la disponibilité d’employés capables d’effectuer le travail prévu au contrat constitue ou non une force majeure, cette question pourrait dépendre de la nécessité réelle, pour l’entreprise, d’avoir mis en œuvre, durant l’épidémie, des politiques permettant notamment le travail à distance ou en quarantaine, et du fait que l’exécution du contrat était, dans les faits, vraiment possible ou pas. Il s’agit ici de questions factuelles qui sont uniques à chaque situation.

Il faut également noter que bon nombre de dispositions de force majeure prévoient des exigences strictes en matière de préavis. Par conséquent, les exigences de préavis prévues au contrat devraient être passées au peigne fin et suivies à la lettre par la partie qui a l’intention de recourir à la clause de force majeure.

Lorsqu’une clause de force majeure est invoquée avec succès, son effet est déterminé en fonction de ce qui est envisagé dans le contrat. La plupart des clauses de force majeure suspendent l’exécution par une partie d’une obligation contractuelle pendant la durée du cas de force majeure, mais elles ne permettent pas la résiliation du contrat. D’autres clauses permettent la résiliation du contrat ultérieurement, mais seulement si le cas de force majeure persiste pendant une période désignée. Certaines clauses de force majeure peuvent libérer en partie un contractant de l’exécution des obligations contractuelles qui lui incombent ou permettre au cocontractant de se procurer des produits ou services auprès d’un autre fournisseur pendant la durée de l’événement. Dans tous les cas, la preuve de l’intention des parties, c’est le contrat.

IMPOSSIBILITÉ D'EXÉCUTION

En l’absence d’une clause de force majeure applicable et dans des circonstances très limitées, une partie peut être libérée de ses obligations en faisant valoir que le contrat est « inexécutable ». Cette impossibilité d’exécution s’applique en droit lorsqu’un événement imprévisible, qui ne découle pas d’une faute des parties, fait en sorte que l’exécution du contrat serait fondamentalement différente de ce qui avait été prévu par les parties. Contrairement aux effets d’un cas de force majeure, qui peuvent être établis avec une certaine latitude par les parties dans leurs clauses contractuelles, l’impossibilité d’exécution fait automatiquement en sorte que les deux parties sont libérées de leurs obligations.

Compte tenu des conséquences graves d’une impossibilité d’exécution, le critère pour s’en prévaloir est très exigeant. Bien qu’il ne soit pas nécessaire que l’exécution soit entièrement impossible, la raison pour laquelle la partie a conclu ce contrat ne doit plus « exister » par suite de l’événement en cause. Même des variations de prix et des fluctuations du marché extrêmes ne pourraient vraisemblablement pas entraîner l’inexécution d’un contrat. Cependant, si les conséquences de la COVID-19 changent complètement la nature des obligations contractuelles, comme dans le cas notamment de restrictions imposées par le gouvernement quant aux voyages et au commerce, il est possible que le contrat soit considéré comme inexécutable.

ATTÉNUATION ET COOPÉRATION

Dans toute situation où il est probable que des pertes soient subies, les parties contractantes ont le devoir d’atténuer les dommages. La force majeure et l’impossibilité d’exécution constituent un dernier recours, qui ne sera pas ouvert tant que les parties n’auront pas épuisé toutes les options qui s’offrent à elles pour exécuter leurs obligations aux termes du contrat. Lorsqu’une partie invoque une clause de force majeure, elle doit démontrer qu’il n’existait aucune solution de rechange raisonnable sur le plan commercial pour limiter les conséquences de l’événement et ses répercussions sur l’autre partie. Cette obligation d’atténuation renferme non seulement le devoir d’éviter ou de réduire toute perte, mais aussi, possiblement, celui d’éviter la survenance de l’événement. Dans le même ordre d’idées, les parties qui pourraient perdre les avantages d’un contrat en raison de l’inexécution des obligations de l’autre partie sont tenues elles aussi d’atténuer les dommages qui en découlent. Un demandeur peut seulement obtenir des dommages-intérêts pour rupture de contrat s’il a pris des mesures raisonnables pour éviter de subir des pertes supplémentaires.

Par ailleurs, il existe un certain nombre d’autres répercussions contractuelles possibles de la COVID-19 qui doivent être prises en considération, lesquelles sont propres au type de contrat en question et aux modalités de celui-ci. De nombreux contrats comportent des clauses relatives aux « événements défavorables importants » ou aux « changements défavorables importants » dont l’application peut être déclenchée, selon le libellé de la clause, par un événement comme la pandémie de COVID-19 actuelle. Les parties ont alors la possibilité de renégocier les modalités ou d’augmenter les prix en raison de la hausse des coûts : tout dépend de la situation.

Par conséquent, les entreprises devraient réviser soigneusement leurs contrats pour évaluer les conséquences uniques de la pandémie de COVID-19 sur leurs relations contractuelles. De plus, lorsque les parties évaluent si elles devraient respecter leurs obligations contractuelles et de quelle façon, elles doivent garder à l’esprit leur obligation prépondérante d’agir de bonne foi dans l’exécution des contrats. Cette optique est vraisemblablement celle qui sera adoptée par les tribunaux pour juger tout litige éventuel portant sur l’une ou plusieurs des conséquences contractuelles susmentionnées, et ce, même si le sens précis de cette obligation d’agir de bonne foi n’a pas encore été définitivement établi par la Cour suprême du Canada.

CONCLUSION

L’impact de la COVID-19 évolue très rapidement et il n’existe pas de réponses applicables à toutes les éventualités possibles. Les parties à des ententes commerciales devraient passer en revue leurs principaux contrats et leurs principales polices d’assurance pour déterminer leurs droits et responsabilités à la lumière de la pandémie actuelle, y compris leurs obligations d’aviser les autres parties si l’exécution du contrat sera retardée ou rendue impossible par des événements qui sont hors de leur contrôle. Les parties doivent également tenir compte de leurs obligations d’atténuer les dommages et d’agir de bonne foi.

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