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Un projet de loi confirme que la DNUDPA trouve application en droit canadien

15 décembre 2020

Le 3 décembre 2020, le gouvernement fédéral a déposé le projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (le « projet de loi C-15 »). S’il est adopté, ce projet de loi confirmera que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (la « DNUDPA ») trouve application en droit canadien et encadrera la mise en œuvre de la DNUDPA par le gouvernement du Canada.

Élaboré à l’aide des commentaires obtenus auprès de nations autochtones et de diverses organisations, y compris des organisations autochtones, le projet de loi C-15 a été accueilli favorablement par les communautés autochtones. Ce projet de loi est essentiellement similaire à l’ancien projet de loi C-262, qui est mort au Feuilleton du Sénat avant la dernière élection fédérale (consultez notre Bulletin Blakes de juin 2018 intitulé Le projet de loi appuyant la DNUDPA est présenté au Sénat : un pas de plus vers l’adoption de la loi au Canada). Les principales dispositions du projet de loi C-15 sont quasi identiques aux dispositions correspondantes de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Declaration on the Rights of Indigenous Peoples Act (« DRIPA »), laquelle a été adoptée en novembre 2019.

Le projet de loi C-15 établit un cadre pour la mise en œuvre de la DNUDPA. Par contre, pratiquement tous les détails ainsi que les enjeux juridiques importants seront abordés dans des plans, des rapports et des dispositions législatives à venir. Les résultats réels de ce projet de loi dépendront en grande partie des mesures qui seront prises. Néanmoins, le projet de loi C-15 devrait créer beaucoup d’attentes au sein d’un grand nombre de communautés autochtones et avoir des répercussions à long terme sur les projets et les secteurs sous réglementation fédérale au Canada.

PRÉSENTATION DU PROJET DE LOI C-15

Le projet de loi C-15 vise à confirmer que la DNUDPA s’applique aux lois du Canada et à encadrer sa mise en œuvre. Pour en arriver à ces fins, il établit les mécanismes juridiques suivants :

  1. Le gouvernement fédéral doit, en consultation et en coopération avec les peuples autochtones, prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois canadiennes soient compatibles avec la DNUDPA.

  2. Le gouvernement fédéral doit élaborer et mettre en œuvre un plan d’action national afin d’atteindre les objectifs énoncés dans la DNUDPA, toujours en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones.

  3. Le ministre désigné doit préparer un rapport annuel, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, faisant état des mesures prises en vue de la mise en œuvre de la DNUDPA et du plan d’action.

Cette structure est identique à celle de la DRIPA. Toutefois, quelques différences sont dignes de mention. Contrairement à la DRIPA, le projet de loi C-15 ne comprend pas un mécanisme devant permettre au gouvernement de conclure des ententes sur des prises de décisions conjointes avec des gouvernements autochtones et ne comprend pas non plus le pouvoir de prendre des règlements. En outre, le projet de loi C-15 renferme un long préambule qui fournit d’autres indications sur l’objet de la loi. Par exemple, « le droit à l’autonomie gouvernementale » y est expressément reconnu et il y est également confirmé que la DNUDPA est « une source d’interprétation du droit canadien ».

COMPARAISON ET ANALYSE

Dans notre Bulletin Blakes d’octobre 2019 intitulé B.C.’s UNDRIP Legislation Facilitates Reconciliation but Leaves Unanswered Questions (en anglais seulement), nous avons mentionné qu’en raison de la concision de la DRIPA, de nombreuses questions demeuraient sans réponse. Le projet de loi C-15 soulève des préoccupations du même ordre. Cependant, l’exemple de la Colombie-Britannique fournit des indications sur la suite possible ainsi que des éléments de comparaison pouvant étayer notre analyse.

  • En Colombie-Britannique, l’Assemblée législative a passé au crible chaque article et chaque passage du projet de loi. Ces longues discussions ont été très utiles puisqu’elles ont fourni et continuent de fournir des indications claires aux tribunaux de même qu’aux générations futures quant à l’intention et aux buts de la DRIPA. Il reste à voir si la Chambre des communes ou le Sénat entreprendront un examen aussi détaillé du projet de loi. À notre avis, des débats vigoureux sur le sujet seraient essentiels pour s’assurer que la loi fédérale, si elle est adoptée, soit interprétée et appliquée correctement par les autorités de réglementation et les tribunaux, ainsi que par les nombreuses entreprises et les peuples autochtones touchés par cette loi.

  • Le gouvernement fédéral n’a pas indiqué clairement son intention quant aux effets à court terme du projet de loi C-15. Le gouvernement de la Colombie-Britannique, de son côté, avait pris grand soin d’établir que la DRIPA n’accordait pas aux communautés autochtones un droit de véto et n’avait pas non plus pour effet de modifier les lois provinciales. En annonçant le projet de loi, le ministre fédéral de la justice, David Lametti, a indiqué aux représentants des médias que le document ne comprend aucun droit de véto. Les documents de clarification officiels publiés par le gouvernement de la Colombie-Britannique ont quelque peu rassuré le monde des affaires, et nous nous attendons à ce que le gouvernement fédéral doive répondre à d’autres questions.

  • Le gouvernement fédéral a fait savoir que si le projet de loi C-15 est adopté, il pourra servir de guide en matière d’interprétation pour les autorités de réglementation et les tribunaux. Cette déclaration sanctionne en grande partie l’expérience de la Colombie-Britannique où il est de plus en plus souvent question du rôle interprétatif de la DNUDPA. Jusqu’à maintenant, les tribunaux n’ont pas encore eu à se prononcer de façon définitive sur les répercussions de la DRIPA. Éventuellement, les tribunaux canadiens devront s’attaquer à l’interprétation de la DRIPA et à l’engagement du Canada quant à la mise en œuvre de la DNUDPA, ainsi qu’à la façon de concilier cet engagement avec le cadre constitutionnel existant du Canada.

    • Le gouvernement fédéral se donne trois ans pour élaborer un plan d’action pour la mise en œuvre de la DNUDPA. Il reste à voir comment le Canada entend élaborer ce plan en collaboration et en consultation avec les communautés autochtones, qui sont plus de 600 à travers le pays, ainsi qu’avec les organisations régionales et nationales, lesquelles peuvent avoir des vues divergentes sur la question. 

    • Comme nous l’avons mentionné dans notre Bulletin Blakes d’octobre 2019, les chevauchements territoriaux qui existent entre les peuples autochtones constituent depuis longtemps un enjeu au Canada. Plus un projet est ambitieux ou de longue durée, plus il devient difficile d’obtenir le consentement de chaque communauté autochtone concernée. Ni le projet de loi C-15 ni la DNUDPA n’aborde cet enjeu. À vrai dire, on peut se demander comment les autorités fédérales feront pour mettre en œuvre la DNUDPA alors qu’elles doivent composer avec des appuis et des oppositions manifestés par différents peuples autochtones à l’égard de tout projet donné.

PERSPECTIVES D’AVENIR

La présentation du projet de loi C-15 était fort attendue depuis que le gouvernement fédéral avait fait connaître son intention de proposer un projet de loi en vue de la mise en œuvre de la DNUDPA. Ce projet de loi vient compléter les modifications législatives apportées dans le but d’élargir la reconnaissance des droits des Autochtones, dont l’adoption de la Loi sur l’évaluation d’impact et les modifications apportées à la Loi sur les pêches, ainsi que les changements visant les politiques fédérales comme les Principes régissant la relation du Gouvernement du Canada avec les peuples autochtones et la Directive du procureur général du Canada sur les litiges civils mettant en cause les peuples autochtones.

Si les objectifs de ces changements, c’est-à-dire favoriser la bonification de la situation socio-économique des peuples autochtones et l’amélioration des relations avec ceux-ci, sont louables, la nature très générale de ces changements législatifs et politiques laissera beaucoup de place à l’interprétation. En outre, ces changements ne fournissent aucune certitude à court terme aux communautés autochtones, aux intervenants des secteurs concernés et aux autorités de réglementation. Ceci est particulièrement vrai dans le secteur des ressources naturelles, où l’équilibre entre les protections juridiques des droits des Autochtones et l’intérêt public à plus grande échelle dans le développement des ressources est fréquemment mis à l’épreuve. Il reste à voir si les débats à la Chambre des communes ou au Sénat permettront d’apporter des précisions au projet de loi C-15, ou si le gouvernement fédéral publiera des indications claires quant à l’effet immédiat de la loi en ce qui concerne les attentes divergentes en matière de développement des ressources naturelles. Le gouvernement fédéral devra manœuvrer délicatement, surtout en raison des fortes objections que certaines provinces ont formulées à l’égard du projet de loi C-15.

Cela dit, le projet de loi C-15 a une portée beaucoup plus vaste que le développement des ressources naturelles et l’utilisation des terres. Le préambule de la loi dénonce le racisme, rejette toute forme de colonialisme et souligne que la prise de « mesures concrètes visant à lutter contre les injustices, à combattre les préjugés et à éliminer toute forme de violence et de discrimination » est nécessaire. En annonçant la loi, le gouvernement fédéral a rappelé qu’il avait apporté récemment d’autres modifications législatives visant à préserver les langues autochtones et à procurer aux communautés autochtones un meilleur contrôle sur l’éducation ainsi que sur les services à l’enfance et à la famille. En vigueur depuis quelque temps déjà, ces mesures ont pour objet de combler l’écart socio-économique entre les communautés autochtones et non autochtones. Le projet de loi C-15 constitue une étape de plus devant permettre au gouvernement de se rapprocher de son objectif de réconciliation entre les peuples autochtones et tous les Canadiens.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Charles Kazaz                         514-982-4002
Roy Millen                                604-631-4220
Sam Adkins                              604-631-3393
Rochelle Collette                      604-631-3379

ou un autre membre de notre groupe Droit des Autochtones.