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La CSC confirme la discrétion du tribunal de suspendre le droit d’exercer compensation pré-post en vertu de la LACC

21 décembre 2021

Le 10 décembre 2021, la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a rendu sa décision dans l’affaire Montréal (Ville) c. Restructuration Deloitte Inc. (l’« affaire Groupe SM ») concernant les procédures déposées en vertu de la LACC visant Le Groupe S.M. inc. et als (le « Groupe SM »). Cette décision fournit des éclaircissements d’envergure nationale sur le vaste pouvoir discrétionnaire dont dispose un tribunal chargé de l’application de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC ») relativement à la réalisation des objectifs réparateurs de cette dernière pour suspendre le droit d’opérer compensation pré-post (soit une compensation entre des dettes nées avant et après l’émission d’une ordonnance initiale) en vertu du droit civil et de la common law. De plus, la CSC a statué que, « dans la très vaste majorité des cas, l’ordonnance initiale suspendra, et devrait suspendre, (…) une telle forme de compensation. » Dans sa décision, la CSC tempère ainsi celle rendue par la Cour d’appel du Québec (la « Cour d’appel ») dans l’affaire Québec (Agence du revenu) c. Métaux Kitco inc. (l’« arrêt Kitco »), laquelle interdisait de façon absolue la compensation pré-post dans le cadre de procédures en vertu de la LACC.

Faits

La décision rendue dans l’affaire Groupe SM concernait des procédures en vertu de la LACC entamées au Québec à l’égard du Groupe SM, une société de génie-conseil débitrice, qui avait participé à une fraude alléguée visant des contrats publics. Le créancier, la Ville de Montréal (la « Ville »), avait continué de recevoir des services de la part du Groupe SM après l’émission d’une ordonnance initiale assujettissant ce dernier aux dites procédures. La Ville avait ensuite invoqué son droit d’opérer compensation entre ce qu’elle devait au Groupe SM pour ces travaux et deux créances, nées avant l’ordonnance initiale, qu’elle prétendait détenir contre celui-ci.

La première des deux créances nées avant l’ordonnance initiale (la « créance PRV ») découlait d’une entente de règlement intervenue entre le Groupe SM et la Ville dans le cadre du Programme de remboursement volontaire (« PRV ») établi au Québec dans le but de recouvrer des sommes payées injustement à la suite de fraudes concernant des contrats publics. La seconde créance, également fondée sur des motifs de fraude, concernait un contrat de compteurs d’eau qui faisait l’objet d’un litige en cours.

En réponse à la Ville qui souhaitait invoquer son droit d’opérer compensation pré-post, ce qui aurait empêché le Groupe SM d’être payé pour les services rendus à la Ville après l’émission de l’ordonnance initiale, le contrôleur avait demandé un jugement déclaratoire portant que les sommes dues au Groupe SM par la Ville ne pouvaient faire l’objet de compensation.

Décisions des instances inférieures

La juge surveillante avait accueilli la demande du contrôleur car, selon les principes énoncés dans l’arrêt Kitco, la compensation pré-post est interdite, et ce, même si, selon elle, la créance PRV était liée à une allégation de fraude non réfutée. Elle avait également statué que la créance relative au contrat de compteurs d’eau n’était ni liquide ni exigible, de sorte que la compensation ne pouvait être opérée.

La Cour d’appel en est arrivée à la même conclusion, en s’appuyant sur l’arrêt Kitco pour statuer que la compensation pré-post ne pouvait s’opérer en l’espèce. Elle a également déterminé que l’alinéa 19(2)d) de la LACC, lequel prévoit que les créances relatives à la fraude ne peuvent être compromises en vertu de la LACC, ne constitue pas une exception à la règle énoncée interdisant la compensation pré-post dans l’arrêt Kitco. Enfin, la Cour d’appel s’est rangée du côté des arguments de la juge surveillante en déterminant que l’absence du caractère liquide et exigible de la créance liée au contrat de compteurs d’eau empêchait d’opérer compensation.

Décision de la CSC

Dans sa décision, la CSC qualifie de « caractéristique fondamentale » et de véritable « moteur » du régime législatif le vaste pouvoir discrétionnaire conféré aux juges surveillants de rendre des ordonnances pour « mener à bon port la restructuration et atteindre les objectifs de la LACC ». Plus précisément, elle a conclu que le vaste pouvoir discrétionnaire prévu aux articles 11 et 11.02 de la LACC, lesquels établissent le pouvoir de suspension de procédures judiciaires en vertu de cette dernière, permet aux juges surveillants de suspendre les droits reconnus aux créanciers si l’exercice de tels droits est susceptible de mettre en péril le processus de restructuration, y compris le droit d’un créancier d’opérer compensation pré-post.

L’analyse de la CSC de ce vaste pouvoir discrétionnaire vient tempérer celle dans l’arrêt Kitco, rejetant ainsi l’interdiction absolue à l’égard de la compensation pré-post. La CSC a conclu plutôt que le tribunal chargé de l’application de la LACC a l’autorité de suspendre l’exercice du droit à la compensation pré-post, mais qu’il possède également le pouvoir discrétionnaire d’autoriser une telle compensation dans les circonstances appropriées. Par contre, le pouvoir discrétionnaire du juge surveillant, quoique vaste, n’est pas sans limites. Il doit tendre à la réalisation des objectifs réparateurs de la LACC et, dans la majorité des procédures en vertu de la LACC, le droit d’exercer compensation pré-post devrait être suspendu. Un tribunal ne doit autoriser la compensation pré-post que dans des circonstances exceptionnelles. Selon l’interprétation qu’en a fait la CSC, les modèles d’ordonnances initiales adoptés dans diverses provinces, et la suspension générale des droits et recours qui est prévue, permettent effectivement la suspension du droit d’exercer compensation pré-post, et ce, pour préserver le statu quo dès le début des procédures en vertu de la LACC, lorsque la société débitrice entame son processus de restructuration.

De surcroît, la CSC aborde spécifiquement l’article 21 de la LACC, lequel protège les droits à la compensation, en statuant qu’il s’applique uniquement à la compensation pré-pré et en déterminant par ailleurs que son application à la compensation pré-post irait à l’encontre des objectifs fondamentaux de la LACC :
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L’article 21 de la LACC n’autorise pas la compensation pré-post, mais il ne l’interdit pas non plus. Un « juge surveillant conserve le pouvoir discrétionnaire de suspendre ou d’autoriser l’exercice du droit à la compensation pré‑post invoqué par un créancier en vertu du droit civil ou de la common law ».

De plus, la CSC a déterminé que l’exception prévue à l’alinéa 19(2)d) de la LACC pour les créances relatives à la fraude ne s’applique pas à l’analyse de la compensation.

Pour aider les juges surveillants à déterminer s’il y a lieu d’exercer leur pouvoir discrétionnaire pour autoriser une compensation pré-post, la CSC a formulé trois considérations de base : (1) l’opportunité de l’ordonnance sollicitée; (2) la diligence; et (3) la bonne foi du demandeur.

Par suite de l’application de ces considérations aux circonstances dans l’affaire Groupe SM, la majorité des juges de la CSC a conclu qu’il ne serait pas approprié en l’espèce de permettre la compensation pré-post. Les juges majoritaires ont d’ailleurs expressément rejeté la suggestion faite par le juge Brown dans sa dissidence que le dossier soit renvoyé en première instance. Selon eux, un tel renvoi serait « inutile et contraire aux intérêts de la justice ».

Conclusion

La CSC a tempéré l’interdiction absolue de la compensation pré-post dans l’arrêt Kitco et confirmé le pouvoir discrétionnaire dont dispose un tribunal chargé de l’application de la LACC pour suspendre le droit d’exercer compensation pré-post. Elle a toutefois noté que le tribunal doit généralement exercer son pouvoir discrétionnaire pour suspendre ce droit et, dans des circonstances exceptionnelles uniquement, refuser de le suspendre.

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