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Projet de loi S-211 : Obligation de faire rapport sur le travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement

Par Zvi Halpern-Shavim, Brady Gordon, Michael Dixon et Tom Barker (stagiaire)
12 mai 2023

Le 3 mai 2023, le Parlement canadien a adopté le projet de loi S-211, Loi édictant la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes (la « Loi »). La Loi devrait recevoir la sanction royale sous peu et entrer en vigueur le 1er janvier 2024. Elle imposera d’importantes obligations de faire rapport aux entreprises et aux importateurs canadiens.

Les entreprises qui atteignent certains seuils seront tenues de déposer des rapports publics détaillés sur les mesures qu’elles ont prises afin de repérer le recours au travail forcé, au travail des prisonniers ou au travail des enfants au sein de leur chaîne d’approvisionnement, de s’y attaquer et de le prévenir. Le premier rapport devra être déposé au plus tard le 31 mai 2024.

QUELLES SONT LES ENTITÉS QUI DEVRONT DÉPOSER DES RAPPORTS?

Les obligations de faire rapport s’appliqueront à toute entité du secteur privé (terme défini ci-dessous) qui :

  • produit, vend ou distribue des marchandises, au Canada ou ailleurs;

  • importe au Canada des marchandises produites à l’extérieur du Canada;

  • contrôle une entité qui se livre à une activité décrite ci-dessus.

On entend par « entité » une personne morale ou société de personnes, fiducie ou autre organisation non constituée en personne morale :

  • soit dont les actions ou titres de participation sont inscrits à une bourse de valeurs canadienne;

  • soit qui a un établissement au Canada, y exerce des activités ou y possède des actifs et qui, selon ses états financiers consolidés, remplit au moins deux des conditions ci-après pour au moins un de ses deux derniers exercices :

    • elle possède des actifs d’une valeur d’au moins 20 M$ CA;

    • elle a généré des revenus d’au moins 40 M$ CA;

    • elle emploie en moyenne au moins 250 employés;

  • soit qui est désignée par règlement (quoiqu’aucun règlement à cet effet n’ait encore été promulgué).

Des seuils similaires ont été fixés dans la Loi sur les mesures de transparence dans le secteur extractif aux fins de l’obligation de faire rapport sur des paiements faits par des sociétés pétrolières, gazières et minières.

Il est à noter que les seuils applicables aux entités visées par l’obligation de faire rapport sont fondés sur les états financiers consolidés. C’est donc dire que les obligations prévues dans la Loi s’étendent aux groupes de sociétés qui, collectivement, atteignent les seuils, même si les sociétés individuelles ne les atteignent pas. La portée de la Loi s’étend également aux entreprises internationales du fait qu’elle englobe les entités étrangères qui ont une certaine présence au Canada ou qui exercent des activités au Canada.

Les obligations en matière de rapport s’appliqueront également à l’ensemble des institutions fédérales et des ministères fédéraux, y compris les sociétés d’État et les filiales en propriété exclusive, qui produisent, achètent ou distribuent des marchandises, au Canada ou ailleurs.

QUE DOIVENT INCLURE LES ENTREPRISES DANS LEURS RAPPORTS ANNUELS?

Chaque entité à laquelle la Loi s’applique doit, au plus tard le 31 mai de chaque année (à compter de 2024), soumettre un rapport annuel au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le « ministre »). Le rapport doit décrire en détail les mesures que l’entité a prises pour prévenir et atténuer le risque relatif au recours au travail forcé ou au travail des enfants à l’une ou l’autre étape de la production de marchandises par l’entité ou de leur importation par l’entité au Canada. Le rapport doit également inclure des renseignements supplémentaires sur chaque entité visée par le rapport, dont les renseignements suivants :

  • sa structure, ses activités commerciales et ses chaînes d’approvisionnement;

  • ses politiques et ses processus de diligence raisonnable relatifs au travail forcé et au travail des enfants;

  • les parties de ses chaînes commerciales et de ses chaînes d’approvisionnement qui comportent un risque de recours au travail forcé ou au travail des enfants et les mesures qu’elle a prises pour évaluer ce risque et le gérer;

  • l’ensemble des mesures qu’elle a prises pour remédier à tout recours au travail forcé ou au travail des enfants;

  • l’ensemble des mesures qu’elle a prises pour remédier aux pertes de revenus des familles les plus vulnérables engendrées par toute mesure visant à éliminer le recours au travail forcé ou au travail des enfants;

  • la formation donnée aux employés sur le travail forcé et le travail des enfants;

  • la manière dont elle évalue l’efficacité de ses efforts pour s’assurer que le travail forcé ou le travail des enfants n’est pas utilisé dans le cadre de ses activités ou dans ses chaînes d’approvisionnement.

L’entité doit rendre public le rapport annuel, notamment en le publiant à un endroit bien en vue de son site Web. Les personnes morales fédérales doivent également fournir un exemplaire de leurs rapports annuels à leurs actionnaires, avec leurs états financiers annuels. Chaque rapport annuel déposé sera publié sur un registre électronique tenu par le ministre.

QUELLES SONT LES MESURES DE CONTRÔLE D’APPLICATION PRÉVUES DANS LA LOI?

Afin de vérifier le respect des obligations de faire rapport, la Loi confère à des fonctionnaires désignés le pouvoir d’entrer dans tout lieu appartenant à une entité pour y mener des perquisitions ainsi que d’emporter toute chose dans le but de l’examiner. Le fonctionnaire n’a pas besoin d’avoir un mandat en main, à moins que l’immeuble visé ne soit une maison d’habitation. Des pouvoirs de perquisition sans mandat similaires existent en vertu de la Loi sur les douanes et de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, mais ceux-ci ne comprennent généralement pas le pouvoir d’emporter toute chose sans mandat.
 
La personne physique ou morale qui omet de soumettre un rapport annuel satisfaisant ou de rendre celui-ci public, qui entrave l’action d’un fonctionnaire désigné ou qui omet de se conformer à un ordre du ministre commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de 250 000 $ CA. Les administrateurs ou dirigeants qui ont ordonné ou autorisé à une telle infraction, ou qui y ont consenti ou participé, seront également tenus personnellement responsables de cette infraction.
 
La Loi ne comprend pas une obligation positive de prendre certaines mesures précises en vue de lutter contre les marchandises fabriquées ou produites, en tout ou en partie, par recours au travail forcé ou au travail des enfants. Ceci s’explique en partie du fait que l’importation de telles marchandises fait déjà l’objet d’infractions fédérales, ainsi :

  • en vertu du Tarif des douanes, il est actuellement interdit d’importer des marchandises fabriquées ou produites, en tout ou en partie, par des prisonniers ou du travail forcé;

  • en vertu de la Loi sur les douanes, constitue une infraction criminelle le fait d’avoir en sa possession, d’échanger, d’acquérir, de vendre ou de céder des marchandises dont l’importation est interdite en vertu du Tarif des douanes. Les marchandises importées illégalement peuvent faire l’objet d’enquêtes et être saisies par la GRC et l’Agence des services frontaliers du Canada.

Le projet de loi S-211 élargit la portée de ces infractions en modifiant l’interdiction prévue au Tarif des douanes afin d’y inclure le terme « travail des enfants » ainsi qu’une nouvelle définition, soit celle du « travail forcé ». Ces définitions intègrent les définitions données à ces termes dans la Convention sur le travail forcé, 1930 et la Convention sur les pires formes de travail des enfants, 1999, et vont même plus loin que celles-ci. En effet, dans le projet de loi S-211, le travail des enfants est défini de telle sorte qu’il inclut le travail qui interfère avec la scolarité d’un enfant ou qui est mentalement, physiquement, socialement ou moralement dangereux pour cet enfant.

QUE DEVRAIENT FAIRE LES SOCIÉTÉS AUJOURD’HUI POUR SE PRÉPARER?

Les entités ayant des obligations de faire rapport devraient commencer à se préparer pour être prêtes à produire un rapport d’ici le 31 mai 2024. La Loi n’établit pas les mesures précises qu’une entité devrait prendre pour préparer son rapport. Il est possible qu’un éventuel règlement ou d’éventuelles directives du gouvernement fournissent des orientations quant à la forme et au contenu des rapports. Pour le moment, cette forme et ce contenu demeurent donc à l’appréciation des entités, du moment que les exigences relatives au contenu soient remplies.

Les sociétés soucieuses de produire des rapports pertinents et conformes à leur approche générale relative aux questions environnementales, sociales et de gouvernance (« ESG ») devraient commencer, à compter de cette année, à prendre certaines mesures, dont les suivantes :

  • effectuer une évaluation des risques associés à leur chaîne d’approvisionnement;

  • cerner les parties de leurs chaînes d’approvisionnement susceptibles d’être exposées à un risque de recours au travail forcé, ce risque pouvant entre autres être fondé sur des facteurs tels que les secteurs, industries, types de produits ou pays concernés;

  • examiner et mettre à jour leurs politiques et leurs pratiques relatives au travail forcé ou au travail des enfants, ainsi que leurs mesures correctives s’y rapportant, ou élaborer et mettre en œuvre de telles politiques, pratiques et mesures correctives;

  • élaborer des formations sur le travail forcé et le travail des enfants à l’intention des employés.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Patrick Lapierre                     +1-514-982-4105
Zvi Halpern-Shavim               +1-416-863-2355
Brady Gordon                         +1-604-631-5255
Roy Millen                              +1-604-631-4220
Gina K. Murray                      +1-403-260-9754

ou un autre membre de notre groupe Commerce international.