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Sciences de la vie : Responsabilité et immunité durant la pandémie de COVID-19

16 juillet 2020
Il règne une certaine incertitude quant à la portée des dispositions législatives, notamment en ce qui a trait à la question de savoir qui tire profit de l’immunité et quels sont les types de responsabilité couverts.
Ariane Bisaillon, avocate du groupe Litige et règlement des différends

Balado disponible en anglais avec retranscription en français ci-dessous.

Les entreprises du secteur des sciences de la vie sont à juste titre préoccupées par les allégations de négligence qui pourraient peser sur elles en lien avec la pandémie de COVID-19. Les tribunaux accorderont-ils l’immunité ou le pardon? Pour en savoir plus sur la façon dont les entreprises peuvent atténuer les risques auxquels elles s’exposent, écoutez Jessica Lam et Ariane Bisaillon qui se sont jointes à nous lors du plus récent épisode de notre balado.

Retranscription

[Bruits de travaux de construction en arrière-plan.]
Mathieu : Bonjour, je m’appelle Mathieu Rompré. Bienvenue à cet épisode du balado Continuité.

Peggy : Et je m’appelle Peggy Moss. Ce... Mathieu, où es-tu?

Mathieu : Nous sommes en pandémie… Alors je suis à la maison, mais ma rue est un immense chantier de construction en ce moment. Ne pensez-vous pas qu’ils auraient dû mettre un avertissement sur les portes des résidants du quartier pour les prévenir que toute personne qui enregistre un balado dans les environs pourrait être dérangée? Vous savez, comme les mises en garde sur les produits de soins de santé et les appareils médicaux.

Peggy : Hum, avant que tu nous sortes la liste des mises en garde juridiques, tu voudras peut-être entendre ceci. Aujourd’hui, nous discutons avec Ariane Bisaillon et Jessica Lam. Toutes les deux sont avocates en litiges et avocates chez Blakes. Elles se spécialisent dans le secteur des sciences de la vie et en savent beaucoup sur les questions d’immunité, de responsabilité et de pardon dans le contexte de la COVID-19.

Peggy : Jessica, il est presque impossible de parler de la pandémie sans penser au secteur des soins de santé, que ce soit aux éclosions de COVID-19, aux médicaments, aux appareils médicaux utilisés pour la prévention et le traitement du virus ou encore aux pénuries d’EPI. Quelles sont les principales questions que vos clients vous posent en ce moment?

Jessica : Les clients veulent surtout savoir s’il existe une espèce d’immunité de poursuite. Aux États-Unis, le gouvernement fédéral a publié une déclaration qui accorde l’immunité de poursuite à l’égard d’un large éventail de réclamations liées à d’éventuelles mesures de prévention prises en lien avec la prévention, le diagnostic ou le traitement de la COVID-19. Contrairement au gouvernement américain, le gouvernement fédéral canadien n’a pas octroyé de nouvelle immunité, puisqu’il a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence. Toutes les provinces d’ailleurs ont invoqué des lois d’exception, mais lorsque de telles lois confèrent une immunité de poursuite, celle-ci est généralement assez étroite et est souvent rattachée à un décret, une nomination ou une directive officielle du gouvernement. La protection offerte en Colombie-Britannique est plus large, l’exclusion générale de la responsabilité ayant été étendue aux personnes qui exploitent ou fournissent des services essentiels. Il y a quelques semaines, le gouvernement de l’Ontario a annoncé qu’il envisageait d’accorder une immunité contre les poursuites civiles liées à la COVID-19 à ceux qui ont agi de bonne foi, mais à ce jour, aucune annonce n’a été faite à ce sujet et aucun projet de loi n’a encore été déposé qui contiendrait des dispositions sur l’immunité.

Mathieu : Ariane, quelles sont les limites de ces dispositions et quelles stratégies peuvent être utilisées pour atténuer les risques de responsabilité?

Ariane : La plupart des dispositions sur l’immunité dont Jessica nous a parlé n’ont pas encore été interprétées par les tribunaux. Il règne donc une certaine incertitude quant à la portée de ces dispositions législatives, notamment en ce qui a trait à la question de savoir qui tire profit de cette immunité et quels sont les types de responsabilité couverts. Par exemple, l’immunité est-elle limitée à la responsabilité du fabricant ou couvre-t-elle également la publicité trompeuse, les pénuries ou les retards de livraison? On ignore également si l’immunité continuera de s’appliquer une fois que les différentes provinces auront levé l’état d’urgence sanitaire. Quoi qu’il en soit, le contexte actuel offre une occasion unique de lancer les négociations avec les autorités gouvernementales quant aux marchés publics, notamment négocier l’adoption de dispositions d’indemnisation plus larges et plus claires afin de mieux circonscrire la portée exacte des dispositions d’indemnisation et de savoir avec certitude si elles survivront à la fin de l’état d’urgence sanitaire. Si ce n’est pas possible de le faire, une autre stratégie d’atténuation des risques consiste à négocier des dispositions d’indemnisation avec les acheteurs publics ou privés et avec les principaux fournisseurs. Encore une fois, la situation actuelle peut donner l’occasion de veiller à se couvrir contre certains risques de responsabilité précis et d’assurer une gestion plus prévisible des risques en général.

Peggy : Jessica, selon vous, comment les tribunaux vont-ils s’y prendre pour établir la norme de diligence dans le cadre d’une action pour négligence?

Jessica : Je crois que les interventions menées par le gouvernement durant la crise influeront sur l’analyse de la norme de diligence. Tous les ordres de gouvernement au Canada, ainsi que les autorités de santé publique, ont émis des directives ou mis en place des politiques visant à restreindre les risques de transmission de la COVID. Pour faire valoir le caractère raisonnable des mesures qu’il a prises, il sera très utile à un défendeur de fournir des preuves attestant qu’il se conformait à ces directives. N’empêche que les directives émanant des différents organismes ne sont pas toujours cohérentes et évoluent rapidement, ce qui peut rendre leur application difficile. Un demandeur pourrait soutenir qu’un défendeur qui ne se serait pas conformé aux directives applicables n’aurait donc pas respecté la norme de diligence requise. Il est donc très important de surveiller les derniers développements et de se tenir bien au fait des directives applicables émises par les différents gouvernements et les autorités de santé publique. Cela dit, les tribunaux tiendront sans doute compte du fait que nous vivons une crise sans précédent. Le gouvernement a lancé un appel à l’action, et les entreprises répondent à cet appel et tentent de couvrir les besoins urgents de produits et d’instruments médicaux liés à la COVID-19. Tout cela, c’est-à-dire les besoins pressants, l’appel à l’action du gouvernement et le respect des exigences réglementaires en vigueur, devra être pris en compte dans le cadre d’une éventuelle enquête fondée sur des allégations de négligence, et devrait être utile pour les défendeurs au moment de faire valoir que les mesures qu’ils ont prises étaient raisonnables dans les circonstances.

Mathieu : Ariane, nos clients sont également préoccupés par les risques d’actions collectives. Pourriez-vous nous parler un peu des tendances que vous observez en ce qui concerne les actions collectives liées à la COVID-19?

Ariane : N’importe quel événement majeur qui retient largement l’attention des médias est susceptible de donner lieu à des actions collectives, et les avocats des demandeurs sont généralement très réactifs dans ces cas-là et déposent des demandes d’actions collectives assez rapidement après la survenance de tels événements. La pandémie de COVID-19 ne fait certainement pas exception à cette tendance. Jusqu’à maintenant, des actions collectives ont été engagées dans les secteurs de la protection des consommateurs et de l’assurance des pertes d'exploitation. D’autres ont également été déposées dans le secteur des sciences de la vie et visent notamment des propriétaires et des exploitants de maisons de soins infirmiers. Pour ce qui est des futures actions collectives, si l’on se fie au passé, les événements qui suscitent beaucoup d’attention dans les médias donnent souvent lieu à des actions collectives plutôt créatives. Je pense notamment à une action collective qui a été engagée au Québec contre le gouvernement au nom des personnes âgées de 35 ans et moins pour négligence présumée dans la lutte contre les changements climatiques. Nous devons donc rester vigilants en ce qui a trait à ces causes d’action qui pourraient voir le jour dans le contexte de la COVID.

Peggy : Ariane, nous avons couvert beaucoup de terrains. Nous avons notamment parlé de la responsabilité du fabricant et des actions pour négligence contre des institutions. Y a-t-il autre chose que les clients en sciences de la vie devraient garder à l’esprit en ce qui concerne les risques de litige?

Ariane: La situation actuelle est pour le moins inusitée… Nous avons pu observer par exemple une hausse simultanée de la demande de certains produits partout sur la planète, une diminution de la capacité de production due au confinement ainsi que certaines restrictions au commerce international qui ont eu une incidence sur la fourniture de produits hautement recherchés. Tous ces facteurs combinés exercent une pression énorme sur les chaînes d'approvisionnement, ce qui, à son tour, peut accroître le risque de litige entre les parties. La chaîne d’approvisionnement pour la fabrication et la vente de médicaments, d’appareils médicaux et d’autres produits de santé n’y échappe pas. Au moment d’élaborer un plan d’atténuation des risques juridiques, les entreprises peuvent envisager, tout d’abord, de passer en revue leurs principaux contrats d’approvisionnement afin de savoir exactement ce qu’il en est concernant leurs contrats existants, relativement aux clauses d’exclusivité, de force majeure, d’indemnisation, de limitations de responsabilité, puis élaborer un plan en conséquence. Il leur est par ailleurs recommandé de cerner les produits, les matériaux et les fournisseurs clés présents dans leur chaîne d’approvisionnement, et de chercher à l’avance des fournisseurs de remplacement. Il leur serait avisé aussi de veiller à respecter leurs obligations réglementaires en matière de déclaration.

Peggy : Merci, Ariane et Jessica, d'avoir pris le temps de parler avec nous aujourd’hui et de nous donner une idée des enjeux complexes soulevés par la COVID auxquels fait face le secteur des sciences de la vie.

Mathieu : Chers auditeurs, si vous voulez en savoir davantage sur ce sujet ou sur tout autre sujet lié à la COVID-19 et à la législation, veuillez consulter notre site Web à l’adresse blakes.com.

Peggy : D’ici la prochaine fois, prenez soin de vous et restez en sécurité.

À propos du balado Volume d’affaires de Blakes

Notre balado Volume d’affaires (anciennement Continuité) se penche sur les répercussions que peut avoir l’évolution du cadre juridique canadien sur les entreprises, et ce, dans notre réalité « post-COVID-19 » et dans l’avenir. Des avocates et avocats de tous nos bureaux discutent des défis, des risques, des occasions, des développements juridiques et des politiques gouvernementales dont vous devriez avoir connaissance. Nous abordons par ailleurs divers sujets qui vous importent et qui sont liés à la responsabilité sociale, comme la diversité et l’inclusion.

Si vous souhaitez en entendre davantage sur un sujet en particulier, adressez-vous à notre équipe Communications à [email protected].

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