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Nouvelles directives de CANAFE : renforcement des exigences à l’égard des opérations douteuses

29 janvier 2019

Le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (« CANAFE ») a récemment mis à jour ses directives relativement à la déclaration des opérations douteuses (les « directives ») et publié ce qui suit :

Bien que les directives soient utiles puisqu’elles établissent les attentes de CANAFE à l’égard du dépôt de déclarations d'opérations douteuses (les « DOD »), étant donné que CANAFE considère ses directives comme des attentes réglementaires, les directives fournissent en réalité de nouvelles exigences réglementaires pour le dépôt des DOD et les obligations de conformité connexes. Par conséquent, les entités réglementées devraient examiner les directives attentivement et mettre à jour leurs politiques et procédures de conformité afin de répondre à toute exigence qu’elles ne remplissent pas actuellement.

Voici un résumé des dispositions clés contenues dans les directives :

  1. Qu’entend-on par « motifs raisonnables de soupçonner »?
  2. Les fournisseurs de services peuvent-ils déposer des DOD au nom d’entités réglementées?
  3. Comment CANAFE examine et valide-t-il les DOD?
  4. Quelles sont les attentes de CANAFE pour la préparation des DOD?
  5. Quelles sont certaines des lacunes communes dans les DOD?
  6. Instructions pour remplir les champs.
  7. De quelle façon CANAFE évaluera-t-il la conformité?

1. QU’ENTEND-ON PAR « MOTIFS RAISONNABLES DE SOUPÇONNER »?

La Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (la « Loi ») exige des entités réglementées qu’elles déposent une DOD pour toute opération financière effectuée ou tentée dans le cours de leurs activités et à l’égard de laquelle il y a des motifs raisonnables de soupçonner qu’elle est liée à la perpétration ‒ réelle ou tentée ‒ d’une infraction de blanchiment d’argent (« BA ») ou de financement du terrorisme (« FT »).

Les directives donnent un aperçu de ce que CANAFE considère comme des « motifs raisonnables de soupçonner ». À cet égard, les directives font une distinction entre les « motifs raisonnables de soupçonner » et les « motifs raisonnables de croire » et établissent que les motifs raisonnables de soupçonner constituent un seuil inférieur par rapport aux motifs raisonnables de croire. Aux fins de cette distinction, CANAFE note que les motifs raisonnables de soupçonner ne sont qu’un peu plus qu’un « simple soupçon », c’est-à-dire qu’il est possible qu’il s’agisse d’une infraction de BA ou de FT. Ainsi, il n’est pas requis de prouver les faits qui portent à soupçonner, mais il est plutôt requis d’évaluer les faits, le contexte et les indicateurs de BA/FT associés à l’opération afin de déterminer s’il existe ou non des « motifs raisonnables » de soupçonner une infraction de BA/FT.

Relativement aux indicateurs de BA/FT, les directives fournissent des indicateurs généraux et sectoriels à l’égard des facteurs qui peuvent faire naître un soupçon concernant une infraction de BA/FT. Au sujet des indicateurs, CANAFE note ce qui suit :

« À lui seul, un indicateur [de BA/FT] peut ne pas sembler douteux. Toutefois, le fait d’observer un indicateur ou plusieurs indicateurs [de BA/FT] pourrait vous inciter à effectuer une évaluation des opérations pour déterminer s’il y a d’autres faits ou éléments contextuels ou d’autres indicateurs de BA/FT qui nécessitent la soumission d’une DOD. »

Ce libellé diffère de celui de la Ligne directrice 2 relative aux DOD précédente, qui contenait le libellé suivant :

« Un seul indicateur [...] ne représente pas nécessairement un motif raisonnable de soupçonner une activité de BA ou de FT. Par contre, si plusieurs indicateurs sont présents dans le cadre d'une opération [...], cela signifie que [vous devriez] peut-être examiner l'ensemble des facteurs en cause en vue de déterminer si la ou les opérations doivent faire l'objet d'une déclaration. »

Bien que la différence entre le libellé utilisé dans la version précédente de la Ligne directrice relative aux DOD et la version actuelle des directives semble subtile, il s’agit d’une modification importante. Plus précisément, selon notre expérience, si CANAFE ne trouve qu’un seul indicateur de BA/FT, il s’attendra à ce que les entités réglementées déposent une DOD à l’égard de cette activité. La modification du libellé des directives reflète cette attente. Par conséquent, les entités réglementées devraient prêter une attention particulière aux indicateurs sectoriels inclus dans les directives pour s’assurer que leurs politiques et procédures de conformité font un suivi à l’égard des indicateurs et qu’une DOD soit déposée même pour un seul indicateur, en l’absence de preuve convaincante.

2. LES FOURNISSEURS DE SERVICES PEUVENT-ILS DÉPOSER DES DOD AU NOM D’ENTITÉS RÉGLEMENTÉES?

Les directives abordent la question des fournisseurs de services qui déposent des DOD au nom d’entités réglementées. Bien qu’elles indiquent que le dépôt de DOD par un fournisseur de services au nom d’une entité déclarante ne pose aucun problème, elles précisent que malgré une telle délégation de tâches, l’entité réglementée sera ultimement responsable de toute erreur ou de tout incident dans le dépôt, ce qui avait toujours été entendu de manière implicite.

3. COMMENT CANAFE EXAMINE ET VALIDE-T-IL LES DOD?

CANAFE fournit des renseignements utiles et fait preuve de transparence dans ses pratiques relativement aux règles qu’il utilise pour valider les DOD. À cet égard, CANAFE note qu’il examine les facteurs suivants aux fins de validation :

  • Présence : Est-ce que des renseignements ont été saisis dans le champ?
  • Format : Est-ce que les renseignements sont correctement structurés?
  • Contenu : Est-ce que les renseignements sont saisis dans les champs appropriés?

Pour ce qui est des exigences de conformité, CANAFE indique que les entités réglementées devraient avoir leurs propres pratiques d’assurance de la qualité proactives, indépendantes de l’examen et de la validation des déclarations de CANAFE. Ainsi, nous nous attendons à ce que CANAFE exige des pratiques d’assurance de la qualité documentées lorsqu’il examinera les politiques et procédures de conformité des entités réglementées.

4. QUELLES SONT LES ATTENTES DE CANAFE POUR LA PRÉPARATION DES DOD?

CANAFE fournit de nouvelles directives relativement à ses attentes pour la préparation des DOD. Voici un résumé de ses attentes :

  • les politiques de lutte contre le blanchiment d’argent d’une entité réglementée doivent inclure des informations détaillées sur le processus utilisé afin de déterminer et d’évaluer les opérations douteuses et de soumettre les DOD à CANAFE;
  • une personne avec les connaissances et la formation appropriées devrait être en mesure de déterminer si une opération est liée au BA/FT;
  • la formation offerte aux employés pour leur permettre de déterminer les opérations qui pourraient être liées au BA/FT est considérée comme faisant partie du programme de conformité d’une entité réglementée;
  • les DOD soumises doivent être complètes et de qualité élevée.

En ce qui a trait à la qualité des DOD qui lui sont soumises, CANAFE note qu’une DOD bien remplie devrait se pencher sur les questions suivantes :

  1. Qui sont les parties à l’opération?

    - CANAFE fournit des descriptions détaillées des renseignements qu’il exige dans cette catégorie, y compris l’énumération des signataires autorisés, une description claire du rôle de chaque personne dans l’opération, l’explication du lien entre les personnes en cause, etc.
  1. Quand l’opération a-t-elle été effectuée/tentée?
  2. Quels sont les instruments financiers ou les mécanismes permettant d’effectuer l’opération?
  3. Où l’opération a-t-elle eu lieu?
  4. Pourquoi l’opération est-elle liée à la perpétration d’une infraction de BA/FT?

    - CANAFE s’attend à ce que les indicateurs soient fournis avec l’infraction criminelle soupçonnée, s’il y a lieu.
  1. Comment l’opération a-t-elle été effectuée?

Compte tenu de ce qui précède et de la modification de l’approche de CANAFE dans ses examens de conformité afin de se concentrer sur l’« efficacité », la qualité des DOD deviendra probablement une question susceptible d’être examinée. L’énoncé suivant tiré des directives en fait foi : « Les DOD doivent être détaillées et de grande qualité, car elles contiennent des renseignements financiers précieux pour les analyses de CANAFE [...] ». Cette attente sera probablement confirmée dans les nouvelles directives relatives aux examens de conformité que CANAFE devrait publier sous peu.

Autre question importante abordée dans les directives : les cas où une entité réglementée a déjà déposé une DOD à l’égard d’un client. Plus précisément, les directives prévoient qu’« [u]ne fois que vous avez des motifs raisonnables de soupçonner, vous devez présenter des déclarations tant et aussi longtemps que vous avez des soupçons ».

Sur le plan pratique, cela signifie que si une entité réglementée soupçonne un client d’être impliqué dans un BA ou FT et qu’elle a déposé une DOD à l’égard de ce client, l’entité réglementée doit continuer de déposer des DOD relativement à toute activité exercée par ce client tant qu’elle a des soupçons (sauf, sans doute, s’il peut être établi clairement que la source des fonds de l’opération n’est pas liée aux produits de la criminalité). À titre d’exemple, si un client a un compte chèques auprès d’une entité réglementée, une fois qu’une DOD a été déposée à l’égard de ce client, toutes les opérations liées au compte (ou à tout autre compte ou produit détenu ou utilisé par ce client) doivent être déclarées à CANAFE sous forme de DOD (soit les dépôts, opérations dans un guichet automatique, émissions de chèques, etc.).

De même, si un client a un arrangement avec une entité réglementée prévoyant qu’il doit effectuer des paiements mensuels (par exemple sur une hypothèque, une police d’assurance ou un emprunt), dans de tels cas, une fois que l’entité réglementée a déposé une DOD à l’égard du client, elle doit continuer de déposer des DOD relativement à tous les paiements mensuels effectués par ce client. Selon les activités de l’entité réglementée, cela devrait mener à l’adoption de pratiques supplémentaires de réduction des risques.

5. QUELLES SONT CERTAINES DES LACUNES COMMUNES DANS LES DOD?

CANAFE fournit des renseignements utiles dans les directives relativement aux lacunes communes dans les DOD. Ces lacunes devraient être considérées comme un avertissement de ce que CANAFE exigera dans le cadre d’un examen lorsqu’elle évaluera les DOD déposées par des entités réglementées. Les lacunes recensées sont les suivantes :

  1. l’utilisation d’un seuil plus élevé comme fondement de la déclaration : CANAFE fait une distinction entre les « motifs raisonnables de soupçonner » et les « motifs raisonnables de croire » et clarifie qu’une DOD doit être déposée dès que le critère inférieur a été atteint;
  2. ne pas énumérer toutes les opérations et tous les comptes pertinents à vos soupçons : CANAFE note que les entités réglementées doivent déclarer l’ensemble des opérations et des comptes qui ont entraîné la décision de déposer une DOD. Il n’est pas suffisant de fournir un sommaire dans la partie G. Une fois de plus, les entités réglementées seront probablement examinées en fonction de ce critère.
  3. ne pas indiquer ou nommer toutes les parties de l’opération alors que l’information est disponible : les directives prévoient que toutes les parties de l’opération doivent être indiquées, y compris les tiers (par exemple, pour les virements télégraphiques, le client demandeur et le bénéficiaire). CANAFE effectue la remarque importante qui suit : « CANAFE reconnaît que vous n’avez pas toujours ces informations à votre disposition, mais lorsque vous les avez, vous devez les fournir ». Ainsi, CANAFE s’attend à ce que dans les cas où une entité réglementée a de l’information en sa possession à l’égard d’un client ou d’une opération, cette information soit incluse dans la déclaration.
  4. la partie G ne fournit pas de précisions sur vos motifs de soupçons ou n’établit pas de lien entre les opérations déclarées dans les parties B à F : CANAFE indique que les entités réglementées doivent articuler les motifs faisant en sorte qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’une opération est liée à la perpétration d’une infraction de BA/FT. Il indique également que cette lacune est observée lorsqu’une entité déclarante ne fournit pas de détails sur la raison de ses soupçons ou n’explique pas pourquoi certains renseignements sont utiles aux soupçons.

6. INSTRUCTIONS POUR REMPLIR LES CHAMPS

À l’instar de la Ligne directrice relative aux DOD précédente, les directives fournissent des instructions détaillées pour remplir les champs du formulaire de DOD. Ces instructions renferment quelques éléments d’information utiles. En ce qui a trait à la fourniture de l’adresse du client, CANAFE fournit des exemples d’adresses qui ne sont pas considérées comme des adresses valides. Ces exemples comprennent une case postale sans adresse municipale complète, une adresse de poste restante ou seulement un numéro de suite sans informations supplémentaires sur l’adresse. Des directives sont également fournies au sujet du niveau de détail exigé lorsque vous obtenez et fournissez le métier ou la profession d’une personne.

7. DE QUELLE FAÇON CANAFE ÉVALUERA-T-IL LA CONFORMITÉ?

En ce qui a trait aux « motifs raisonnables de soupçonner », les directives fournissent des renseignements sur la façon dont CANAFE évaluera la conformité d’une entité réglementée lorsqu’elle effectue cette détermination. Selon les directives, il ressort clairement que CANAFE utilisera ces normes dans ses critères d’examen. À cet égard, au cours d’un examen, CANAFE s’attend à ce qu’une entité réglementée soit en mesure :

  1. de confirmer qu’elle a en place un processus de contrôle continu qui lui permettrait de repérer et d’évaluer les opérations douteuses et, s’il y a lieu, de déposer des DOD;
  2. d’expliquer en quoi le processus de l’entité réglementée visant à repérer et à évaluer les opérations douteuses est raisonnable, efficace et conforme à l’évaluation des risques de l’entité;
  3. d’expliquer comment l’entité réglementée repère les opérations pertinentes;
  4. de présenter le processus décisionnel et de tenue de documents de l’entité réglementée.

CANAFE indique également que, du point de vue d’une entité réglementée, « ce serait peut-être une bonne pratique de documenter » la justification et de conserver un document faisant état de la raison pour laquelle les soupçons n’étaient pas fondés. Il ajoute : « Vous n’êtes pas tenu de conserver un document de ces décisions, mais ils peuvent être utiles dans le contexte d’une évaluation de CANAFE ».

Compte tenu de ce qui précède, il est important pour les entités réglementées de documenter leur processus décisionnel lorsqu’elles choisissent de ne pas déposer de DOD. CANAFE, dans le cadre de ses examens, demandera souvent les rapports d’opérations inhabituelles qui n’ont pas été déposés sous forme de DOD afin d’établir s’il est d’accord ou non avec le processus décisionnel d’une entité réglementée, et procédera en fait à un retour en arrière subjectif. Il s’agit d’une approche différente de celle adoptée aux États-Unis, où le Anti-Money Laundering Examination Manual de la Bank Secrecy Act indique que de par leur nature, les descriptions des déclarations d’activités douteuses (Suspicious Activity Reports) sont subjectives, et les examinateurs devraient généralement s’abstenir de critiquer l’interprétation des faits par la banque.

Outre ce qui précède, il faut noter que conformément à ses commentaires publics, les directives témoignent que CANAFE délaisse l’approche du « formulaire à choix multiples » pour les examens réglementaires au profit d’une approche fondée sur l’efficacité. En d’autres termes, CANAFE examinera l’efficacité globale du programme d’une entité réglementée pour ce qui est de repérer et d’évaluer les opérations douteuses et de soumettre des DOD.

CANAFE fournit certaines directives concernant la façon dont une entité réglementée peut autoévaluer si elle respecte ses exigences en matière de DOD. À cet égard, CANAFE donne certains exemples de ce que les entités réglementées peuvent envisager, dont les suivants :

  1. pour s’assurer qu’une entité réglementée applique une approche uniforme dans le cadre de ses décisions sur les DOD, évaluer des DOD qui contiennent des cas semblables;
  2. continuer à soumettre des DOD pour les clients à l’égard desquels une entité réglementée a déjà déposé une DOD;
  3. collaborer avec d’autres organisations du secteur pour savoir comment elles atteignent le seuil des « motifs raisonnables de soupçonner »;
  4. être en mesure d’expliquer les raisons pour lesquelles l’entité a des soupçons d’une manière que d’autres qui possèdent des connaissances semblables arriveraient à la même conclusion;
  5. procéder à des révisions de dossiers pour s’assurer que les délais exigés sont respectés;
  6. évaluer la qualité des DOD (CANAFE jumèle ce processus à l’intégrité des renseignements visant à connaître le client d’une entité réglementée);
  7. revérifier la qualité des DOD pour s’assurer que si une entité réglementée a accès à des renseignements, ceux-ci soient inclus dans les DOD.

Selon toute probabilité, les exemples ci-dessus constitueront le fondement des exigences de CANAFE dans le cadre d’un examen réglementaire.

Les directives établissent les attentes de CANAFE à l’égard d’un programme efficace de conformité en matière de DOD. Toutefois, bon nombre des questions abordées dans les directives vont au-delà des exigences juridiques fixées dans la Loi. Par conséquent, les entités réglementées devraient examiner les directives et s’assurer que leurs politiques et leurs pratiques relatives aux DOD répondent aux attentes de CANAFE.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Annick Demers                         514-982-4017
Jacqueline Shinfield                  416-863-3290

ou un autre membre de notre groupe Réglementation des services financiers.