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Changements climatiques : mesures gouvernementales, réserve judiciaire et obligations d’information des sociétés

4 janvier 2021

En cette période de pandémie mondiale, si les questions de santé monopolisent une grande partie de notre attention, les changements climatiques n’en demeurent pas moins à l’avant-plan des enjeux avec lesquels les gouvernements, les tribunaux et les entreprises doivent composer. Le présent bulletin résume certains faits nouveaux au Canada et à l’étranger.

INITIATIVES DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL

En novembre 2020, le gouvernement fédéral a présenté le projet de loi C-12, Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité. Aux termes de ce projet de loi, il est proposé d’obliger juridiquement le gouvernement à atteindre la carboneutralité d’ici 2050 et d’exiger que la ministre des Finances prépare un rapport annuel sur les principales mesures entreprises par le gouvernement fédéral afin de gérer ses risques et occasions d’ordre financier liés aux changements climatiques. Peu de temps après, le gouvernement a publié un plan intitulé Un environnement sain et une économie saine (le « plan sur les changements climatiques ») indiquant comment il entendait y parvenir. La pièce maîtresse de ce plan est l’augmentation du prix de la pollution au carbone pour le faire passer à 170 $ CA la tonne d’ici 2030. Étant donné que le plan est encore assez général, nous devrons attendre avant d’avoir plus de détails pour en connaître les effets précis. Il faut également souligner que ce plan demeure hypothétique jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada ait rendu ses décisions dans le cadre de renvois sur les changements climatiques dont elle est saisie.

L’actuel filet de sécurité fédéral sur la tarification du carbone en vertu de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (la « Loi sur la tarification ») (maintenu dans le plan sur les changements climatiques) prévoit l’augmentation de la taxe fédérale sur le carbone à raison de 10 $ CA la tonne par année à compter de 2023 jusqu’à ce qu’elle atteigne 170 $ CA la tonne en 2030. Présentée comme « n’ayant aucune incidence sur les recettes », la taxe sur le carbone prévoit des remises fédérales à titre de mesures compensatoires.

Le plan sur les changements climatiques vise à encourager le recours à des sources d’énergie propre et le captage du carbone. Il appuie également les projets de décarbonisation grâce à des initiatives comme l’accélérateur net zéro du Fonds stratégique pour l’innovation, qui devrait procurer un financement de 3 G$ CA sur trois ans.

Le gouvernement a promis d’aider les sociétés pétrolières et gazières admissibles à financer la réduction de leurs émissions de méthane au moyen d’un Fonds de réduction des émissions de 750 M$ CA comprenant l’annulation d’un montant maximal de 50 % du prêt à rembourser si la société réalise certaines réductions de ses émissions. Le gouvernement fixera de nouvelles cibles de réduction des émissions de méthane d’ici 2030 et 2035 (outre les cibles fixées pour 2025) et éliminera progressivement certaines subventions aux combustibles fossiles d’ici 2025. Le gouvernement promet par ailleurs une stratégie pour le captage, l’utilisation et la séquestration du carbone.

Le plan sur les changements climatiques prévoit également une nouvelle réglementation visant à favoriser le développement de combustibles propres, ainsi que des investissements pour stimuler l’exploitation des énergies propres, rendre les bâtiments plus écoénergétiques et favoriser l’utilisation des véhicules à émissions réduites.    
   

ACTIONS RELATIVES AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES CONTRE DES GOUVERNEMENTS 

Des actions ont été intentées contre différents ordres de gouvernement dans divers territoires pour tenter d’obliger ceux-ci à prendre des mesures pour lutter contre les changements climatiques. Mentionnons la cause très médiatisée en 2019, Urguenda v. Netherlands, où la Cour suprême des Pays-Bas a ordonné au gouvernement de réduire, d’ici la fin de 2020, ses émissions de 25 % par rapport aux niveaux atteints en 1990.

Toutefois, ce genre de poursuites au Canada a connu moins de succès, comme l’illustre la récente décision rendue en novembre 2020 dans l’affaire Misdzi Yikh v. Canada (l’« affaire Misdzi Yikh »). Dans cette affaire, la Cour fédérale du Canada a rejeté la demande d’un groupe autochtone au motif que cette demande n’est pas justiciable et ne repose sur aucune cause d’action.

Les demandeurs prétendaient avoir grandement souffert des effets du réchauffement planétaire sur leurs territoires et s’attendaient à ce que les changements climatiques se répercutent défavorablement sur leur santé. Ils alléguaient que l’approche utilisée par le gouvernement canadien à l’égard des changements climatiques avait violé leurs droits constitutionnels ainsi que leurs droits de la personne. Ils ont également fait valoir que le traitement historique des chefs autochtones par le Canada et la discrimination raciale continue exacerbent les traumatismes psychologiques et sociaux causés par les changements climatiques. Pour appuyer leurs prétentions, les demandeurs se sont principalement fondés sur l’article 91 (autorité de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement) de la Loi constitutionnelle de 1867 et sur l’article 7 (droit à la vie, à la liberté et à la sécurité) et le paragraphe 15(1) (égalité devant la loi) de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »).

En rejetant la demande, la Cour a noté que la question des changements climatiques, qui est sans nul doute importante, est foncièrement une question de nature politique, et non juridique, qui relève des pouvoirs exécutif et législatif du gouvernement.

La décision Misdzi Yikh a été rendue dans la foulée d’une autre décision de la Cour fédérale, soit La Rose et al. c. La Reine, où 15 enfants et jeunes de partout au Canada ont poursuivi la Couronne, alléguant que les émissions de gaz à effet de serre violaient leurs droits protégés par la Charte et constituaient un manquement aux obligations de la Couronne aux termes de ce qu’ils ont appelé une doctrine de la « fiducie d’intérêt public ». Cette demande a également été rejetée à l’étape des plaidoiries dans une décision rendue en octobre 2020. Comme dans l’affaire Misdzi Yikh, la Cour a conclu que les recours fondés sur la Charte n’étaient pas justiciables (quoique le recours fondé sur la fiducie d’intérêt public pouvait l’être) et ne reposaient sur aucune cause d’action raisonnable. Cette décision a été portée en appel.  

Après la décision rendue en 2019 par la Cour supérieure du Québec dans l’affaire ENvironnement JEUnesse c. Procureur général du Canada (dans le cadre de laquelle la Cour a rejeté la requête pour autorisation d’intenter une action collective d’un groupe de citoyens qui alléguaient que l’omission, par le gouvernement du Canada, de fixer une cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre en vue d’éviter les répercussions des changements climatiques constituait une violation des droits protégés par la Charte), il est manifeste que les demandeurs n’ont pas trouvé une façon de faire passer la politique relative aux changements climatiques de la sphère législative à la sphère judiciaire.

ACTIONS RELATIVES AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES CONTRE DES ENTREPRISES DU SECTEUR PRIVÉ

Compte tenu de l’évolution des obligations d’information liées aux changements climatiques, des recours ont également été engagés contre des sociétés au motif que celles-ci auraient omis d’évaluer et/ou de communiquer adéquatement les risques associés aux changements climatiques dans le cadre de placements visant leurs titres ou des obligations de gouvernements. Jusqu’à maintenant, au Canada, les litiges ont principalement été dirigés contre le secteur public. Toutefois, dans d’autres ressorts, tels que les États-Unis et l’Australie, un nombre croissant de poursuites sont intentées contre des sociétés, ce qui nous laisse entrevoir comment ces questions pourraient se retrouver devant les tribunaux au cours des prochaines années.

Les sociétés ouvertes canadiennes peuvent être tenues responsables par des investisseurs ayant acheté des titres directement auprès de l’émetteur et par des investisseurs ayant acheté ou vendu des titres sur le marché secondaire. Cette situation se produit lorsqu’un prospectus ou un autre document renferme une déclaration inexacte au sujet d’un fait important ou omet un fait important qui doit être déclaré ou qui est nécessaire pour s’assurer qu’une déclaration n’est pas trompeuse à la lumière des circonstances dans laquelle celle-ci a été faite. Compte tenu de l’augmentation des risques associés aux changements climatiques, les sociétés ouvertes auraient intérêt à veiller à ce que leurs documents d’information destinés au public soient régulièrement passés en revue et mis à jour afin de faire état des effets importants des changements climatiques sur leur entreprise, leurs activités et leurs résultats, ainsi que des risques que les changements climatiques représentent à cet égard.

En Australie, un récent règlement conclu à la dernière minute pourrait donner une idée de ce qui s’en vient au Canada, où de grandsinvestisseurs institutionnels, comme les fonds de retraite, exercent un pouvoir considérable sur l’information facultative communiquée par les sociétés ouvertes canadiennes. Dans l’affaire australienne, un membre d’un fonds de retraite a poursuivi le fonds en question, l’accusant d’avoir omis de lui fournir, en sa qualité de membre, de l’information sur la façon dont celui-ci gérait les risques associés aux changements climatiques pour ses investissements. Même si le tribunal n’a pas rendu de décision, puisque les parties sont parvenues à s’entendre sur un règlement pendant le procès, le fonds a tout de même reconnu qu’il était de son devoir de gérer les risques financiers découlant des changements climatiques auxquels son portefeuille de placements est exposé.

Nous pouvons nous attendre à voir au Canada un plus grand nombre de procédures axées sur la communication d’information sur les changements climatiques, qu’il s’agisse d’enquêtes menées par des organismes de réglementation ou de poursuites civiles. Par conséquent, les sociétés ouvertes doivent absolument connaître et remplir leurs obligations d’information. S’il est vrai qu’une société pourrait réussir à opposer une défense fructueuse à un tel recours, il n’en reste pas moins qu’un litige peut être lourd et coûteux et peut nuire à la réputation de la société.

En outre, étant donné que les changements climatiques et les risques qui y sont associés sont de plus en plus importants, il est possible que non seulement les organismes de réglementation et les investisseurs, mais également les acheteurs potentiels, les partenaires stratégiques, les preneurs fermes de titres et les prêteurs, accordent plus d’attention à l’approche utilisée par une société en ce qui concerne la communication de l’information sur les changements climatiques et les répercussions, risques et occasions qui y sont associés.

OBLIGATIONS D'INFORMATION ET TENDANCES EN MATIÈRE DE CHANGEMENTS CLIMATIQUES POUR LES SOCIÉTÉS OUVERTES CANADIENNES

Au cours des prochaines années, les sociétés ouvertes canadiennes devraient constater que les obligations d’information sur la responsabilité environnementale, sociale et de gouvernance (la « responsabilité ESG ») deviennent de plus en plus pointues, notamment en ce qui concerne les changements climatiques. Jusqu’à maintenant, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les « ACVM ») ont publié des documents indicatifs sur l’information relative aux changements climatiques à l’intention des émetteurs. Même si les ACVM refusent toujours d’imposer des obligations d’information spécifiques en matière de changements climatiques qui iraient au-delà de l’obligation de l’émetteur d’inclure un exposé des risques, facteurs et développements importants, elles indiquent, en des termes de plus en plus précis, que les risques liés aux changements climatiques sont vraisemblablement importants pour les émetteurs dans de nombreux secteurs.

Les indications les plus récentes des ACVM en matière de changements climatiques, soit l’Avis 51-358 du personnel des ACVM, Information sur les risques liés au changement climatique (l’« Avis 51-358 »), publié en 2019, complète les indications fournies dans l’Avis 51-333 du personnel des ACVM, Indications en matière d’information environnementale (l’« Avis 51-333 ») et dans l’Avis 51-354 du personnel des ACVM, Rapport relatif au projet concernant l’information fournie sur le changement climatique.

L’Avis 51-358 reconnaît qu’il peut être difficile pour les émetteurs d’évaluer l’importance et l’incidence des risques liés aux changements climatiques. Reflétant en partie le cadre du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (le « TCFD »), cet avis du personnel indique qu’au moment d’évaluer les risques liés aux changements climatiques, les émetteurs devraient considérer les risques physiques et les risques de transition à court et à long terme.

Tout récemment, le Groupe de travail sur la modernisation relative aux marchés financiers mis sur pied par le gouvernement de l’Ontario a recommandé, dans son rapport de consultation, de réfléchir à la possibilité d’exiger la communication de renseignements précis sur la responsabilité ESG conformément au cadre du TCFD et/ou aux principes du Sustainability Accounting Standards Board.

Alors que les autorités en valeurs mobilières continuent de mettre l’accent sur l’information relative aux changements climatiques et envisagent d’imposer des obligations d’information additionnelles, les émetteurs feraient bien de passer régulièrement en revue l’information qu’ils communiquent au sujet des changements climatiques. Par ailleurs, il est possible que de grands investisseurs institutionnels (dont d’importants fonds de retraite au Canada) commenceront à exercer des pressions sur les sociétés ouvertes canadiennes dans lesquelles ils investissent afin que celles-ci fournissent de plus amples précisions sur leur évaluation des risques et plans liés aux changements climatiques.

INTERVENTION ACCRUE DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL POUR LA DIVULGATION D'INFORMATION SUR LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES 

En plus des autorités en valeurs mobilières à l’échelle provinciale, en 2020, des organismes fédéraux ont pris part de plus en plus activement aux discussions sur l’information relative aux changements climatiques. Dans un document d’analyse publié plus tôt cette année, la Banque du Canada s’est prononcée en faveur d’une communication plus étoffée des risques liés aux changements climatiques par les sociétés au moyen d’une analyse de différents scénarios, ce qui est également conforme au cadre du TCFD. Les banques centrales portent une attention croissante aux risques que représentent les changements climatiques pour l’économie et le système financier. Elles se disent particulièrement préoccupées par les risques physiques découlant de phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents et plus violents, ainsi que par les risques liés à la transition vers une économie à plus faibles émissions de carbone.

Dans le cadre d’une analyse de scénarios, plutôt que de tenter de déterminer ce qui va arriver, différents scénarios futurs et plausibles sont examinés (par exemple, le statu quo; le fait de ramener le réchauffement planétaire aux niveaux pour lesquels les États signataires de l’Accord de Paris s’étaient engagés; la prise de mesures par les États afin de limiter le réchauffement planétaire à 2°C d’ici 2100). Pour élaborer les scénarios devant permettre d’envisager l’éventail complet de risques liés aux changements climatiques, la Banque du Canada, en collaboration avec le Bureau du surintendant des institutions financières, a annoncé des plans en vue de mettre au point un ensemble de scénarios en matière de changements climatiques adaptés au Canada, qui devrait être rendu public vers la fin de 2021.  

Compte tenu de l’objectif fixé par le gouvernement fédéral relativement à la décarbonisation d’ici 2050 et de l’introduction d’une loi particulière à cet égard, maintenant déposée, l’évaluation des risques liés à la transition deviendra vraisemblablement une priorité pour les émetteurs de divers secteurs.

Le gouvernement fédéral s’efforce également de plus en plus d’exiger la communication d’information en matière de changements climatiques. En mai 2020, dans le cadre de sa réponse à la pandémie de COVID-19, le gouvernement fédéral a annoncé le programme de prêts d’urgence intitulé Crédit d’urgence pour les grands employeurs (« CUGE »). Parmi les conditions de participation au programme CUGE, les emprunteurs doivent notamment s’engager à publier un rapport annuel sur les risques liés aux changements climatiques et leurs plans de réduction de carbone. Le rapport d’un emprunteur sur la divulgation relative aux changements climatiques doit souligner comment la gouvernance d’entreprise, les stratégies, les politiques et les pratiques aideront à gérer les risques et les occasions liés aux changements climatiques et contribueront à la réalisation des engagements du Canada dans le cadre de l’accord de Paris et de l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050. Jusqu’à maintenant, peu de sociétés ont demandé d’avoir accès à une aide financière aux termes du programme CUGE. Il n’en reste pas moins que l’ampleur de l’information devant être divulguée en rapport avec les changements climatiques dans le cadre de ce programme pourrait être une indication des attentes à venir au chapitre de la communication de l’information en la matière. L’obligation pour une société d’expliquer comment elle pourra contribuer à l’atteinte des cibles du Canada dans le cadre de l’accord de Paris et de l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050 démontre clairement que l’on s’attend généralement à ce que la réalisation de ces objectifs exige des efforts gigantesques de la part des secteurs public et privé.

Dans le cadre de sa mise à jour économique du 29 novembre 2020, le gouvernement fédéral a annoncé une initiative du ministère des Finances Canada et d’Environnement et Changement climatique Canada afin de mettre sur pied un conseil d’action public-privé en matière de finance durable qui aura comme objectif de créer un marché du financement durable qui fonctionnera bien au Canada. Ce conseil d’action, qui sera lancé au début de 2021, sera appelé à formuler des recommandations sur l’infrastructure de marché essentielle nécessaire pour attirer et accroître la finance durable au Canada, y compris l’amélioration des communications sur le climat.

Pour en savoir davantage, veuillez communiquer avec :

Anne Drost                 514-982-4033
Tony Crossman          604-631-3333
Jonathan Kahn           416-863-3868
Paulina Adamson       604-631-3328
Liam Churchill            416-863-3057

ou un autre membre de notre groupe Environnement.