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Projet de loi 16 : Protection des acomptes pour les acheteurs de condominiums

1 avril 2020

Les histoires où un projet de nouveaux condominiums avorté fait perdre aux acheteurs d’unités leur acompte sont encore trop souvent monnaie courante.

L’Assemblée nationale du Québec a adopté, le 6 décembre 2019, le Projet de loi 16 intitulé Loi visant principalement l’encadrement des inspections en bâtiment et de la copropriété divise, le remplacement de la dénomination de la Régie du logement et l’amélioration de ses règles de fonctionnement et modifiant la Loi sur la Société d’habitation du Québec et diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal (le « Projet de loi »).

Ce Projet de loi, qui se veut une refonte des lois encadrant la copropriété divise au Québec, vient ainsi pallier cette problématique en instaurant un régime de protection des acomptes versés à un constructeur ou à un promoteur en vue de l’achat d’une fraction de copropriété divise.

Auparavant, la seule protection obligatoire dont bénéficiaient les acheteurs était la protection de la Garantie de construction résidentielle (la « GCR ») pour les immeubles comprenant au plus quatre parties privatives superposées. La protection de ces acomptes était toutefois limitée à 50 000 $ CA. Ainsi, pour les immeubles de plus de quatre parties privatives, aucune forme de protection n’était obligatoire et le constructeur ou le promoteur était libre d’adhérer ou non à l’un des trois plans de garantie optionnelle accrédité : la Garantie des immeubles résidentiels (la « GIR »), les plans de garantie de l’Association de la construction du Québec (l’« ACQ ») ou la Garantie Habitation des Maîtres Bâtisseurs (la « GHMB »).

PROTECTION ACCRUE DES ACOMPTES

Par l’adoption du Projet de loi, le législateur québécois est venu corriger la situation en adoptant le nouvel article 1791.1 du Code civil du Québec (le « C.c.Q. ») :

« 1791.1 Malgré toute convention contraire, tout acompte versé à un constructeur ou à un promoteur en vue de l’achat d’une fraction de copropriété divise doit être protégé entièrement par un ou plusieurs des moyens suivants : un plan de garantie, une assurance, un cautionnement, ou un dépôt dans un compte en fidéicommis d’un membre d’un ordre professionnel déterminé par règlement du gouvernement. 

L’acompte peut également être protégé par un autre moyen prévu par règlement du gouvernement.

L’acompte est remis à celui qui l’a versé si la fraction de copropriété n’est pas délivrée à la date convenue. »

Ce nouvel article d’ordre public impose aux constructeurs et aux promoteurs d’immeubles résidentiels une obligation de protection obligatoire de l’acompte qui leur est versé par l’acheteur.

En effet, l’article 1791.1 du C.c.Q. exige que l’acompte soit protégé par un ou plusieurs des moyens suivants :

  1. un plan de garantie;

  2. une assurance;

  3. un cautionnement; 

  4. un dépôt dans un compte en fidéicommis; ou

  5. un autre moyen prévu par règlement du gouvernement.

ENTRÉE EN VIGUEUR

La majorité des articles du Projet de loi sont entrés en vigueur le 10 janvier 2020. Toutefois, certaines dispositions prendront effet lorsqu’un règlement pris en application de ces dispositions entrera en vigueur. C’est le cas notamment de la partie de l’article 1791.1 du C.c.Q. qui a trait au dépôt dans un compte en fidéicommis. Or, aucun règlement n’a été pris en application de cet article à ce jour.

INTERPRÉTATION ET APPLICATION

Mis à part le dépôt dans un compte en fidéicommis, les autres moyens de protection de l’acompte sont actuellement en vigueur. Il y a ainsi lieu de se questionner sur l’interprétation et l’application qui sera faite de ces moyens.

Tout d’abord, il est intéressant de constater que la protection des acomptes s’applique uniquement aux fractions de copropriété divise. Pourquoi le législateur n’a-t-il pas étendu également ce nouveau régime aux constructeurs et aux promoteurs des autres types d’immeubles?

De plus, plusieurs questions se posent quant aux moyens en tant que tels de protéger les acomptes. Par exemple, est-ce qu’en référant au cautionnement comme moyen de protection de l’acompte, le législateur avait l’intention de permettre au constructeur ou au promoteur de satisfaire à ces exigences en faisant garantir par quiconque ses obligations? Pourrions-nous plutôt nous baser sur l’intention même derrière cette disposition qui est de protéger l’acompte, et par le fait même l’acheteur, et ainsi en déduire qu’une société par actions qui n’a aucun actif ne pourrait pas se porter caution? Il y a également lieu de se demander s’il s’agit d’un cautionnement imposé par la loi, tel que prévu à l’article 2334 du C.c.Q.? Si oui, est-ce que les autres articles sur le cautionnement du C.c.Q. sont applicables, tels que l’article 2338 du C.c.Q. qui prévoit que le débiteur tenu de fournir une caution légale peut donner à la place une autre sûreté suffisante? Selon ce raisonnement, une lettre de crédit, par exemple, serait une autre sûreté suffisante pour remplacer le cautionnement.

De plus, les mots « protégé entièrement » semblent indiquer que l’intention du législateur était de protéger le montant total de l’acompte et non une portion de celui-ci, comme cela peut être le cas dans d’autres juridictions. Cette interprétation tomberait sous le sens étant donné que le régime de protection de la GCR, auquel les acheteurs pouvaient avoir recours auparavant, se limitait à un dépôt de 50 000 $ CA, somme souvent insuffisante pour protéger les dépôts faits par les acheteurs.

De surcroît, cet acompte devra être remis à l’acheteur si la fraction de copropriété n’est pas livrée à la date convenue. Ce nouvel alinéa soulève plusieurs questions, notamment quant à l’interprétation des concepts larges de délivrance et de date convenue. En l’absence de définitions de ces concepts ou de nuances additionnelles de la part du législateur, les parties devront circonscrire avec soin dans leur contrat de prévente ce qu’ils entendent par « délivrée » et « date convenue ». Pour ce qui est du principe de délivrance, il semble faire référence à la description de la fraction dans le contrat de prévente, en tenant compte des dérogations que le constructeur ou le promoteur s’est réservé le droit de faire, notamment en ce qui a trait à la contenance, à la conformité aux plans et aux devis, etc. Toutefois, est-ce qu’avec le troisième alinéa de l’article 1791.1 du C.c.Q. le législateur a cherché à aller plus loin en imposant une garantie additionnelle de qualité? Pour ce qui est de la date de convenue, d’autres questions se posent. Il est d’usage de prévoir une date de livraison flexible dans le contrat de prévente, pratique qui n’est pas interdite par les lois d’ordre public. Donc, est-ce que le législateur en utilisant le terme « date convenue » voulait faire référence à ce laps de temps flexible durant lequel la livraison est prévue? Finalement, il y a lieu de se demander ce qui arrive si la fraction n’est pas livrée à la date convenue. L’acheteur a-t-il le droit de résilier la vente, ou a-t-il le droit de reprendre l’acompte à titre de pénalité et d’exiger la livraison pour un prix réduit? Quant au constructeur et au promoteur, ont-ils le droit de se prévaloir du troisième alinéa pour résilier la vente? Tous ces points mériteraient d’être clarifiés.

Depuis le 10 janvier 2020, l’article 1791.1 du C.c.Q. s’applique à tous les acomptes versés à un constructeur ou à un promoteur immobilier dans le cadre de l’achat d’une fraction de copropriété divise. Cependant, le Projet de loi ne prévoit pas explicitement si cette obligation de protection de l’acompte s’applique aux acomptes déjà payés par les acheteurs avant le 10 janvier 2020.

POSITION DE LA CHAMBRE DES NOTAIRES 

Malgré l’absence d’un règlement pris en application de l’article 1791.1 du C.c.Q., la Chambre des notaires du Québec (la « Chambre ») est d’avis que la possibilité pour le notaire de recevoir un acompte en fidéicommis en vue de l’achat d’une fraction de copropriété n’est pas remise en cause. En effet, la Chambre privilégie une interprétation large et libérale du nouvel article du C.c.Q. et estime que :

  • les gestes posés par le notaire dans ce contexte demeurent circonscrits par son devoir de conseil ainsi que par ses autres obligations déontologiques et réglementaires;

  • le Fonds d’indemnisation, institué pour protéger le public dans l’éventualité où un membre de l’Ordre utiliserait les sommes qui lui sont confiées en fidéicommis pour des fins autres, se compare à une assurance au sens de l’article 1791.1 du C.c.Q.; et

  • l’acompte versé dans le compte en fidéicommis du notaire constitue un moyen de protection suffisant pour répondre aux exigences de l’article 1791.1 du C.c.Q. (étant entendu que le montant pour chaque prestation n’excède pas 100 000 $, soit l’indemnité maximale payable par le Fonds d’indemnisation).

Une telle interprétation s’appuie sur la décision Domaine Ti-Bo inc. c. Comité exécutif du Barreau du Québec qui établit que « le rôle du comité administratif est de gérer le fonds d'indemnisation qui est en quelque sorte une « assurance » qui protège les réclamants en certains cas ».

Cette interprétation est importante pour les prêteurs hypothécaires, puisque ceux-ci détiennent généralement une hypothèque sur les droits du promoteur dans les contrats de prévente, et donc, dans les acomptes. Ainsi, en cas de défaut et d’exercice de ces droits hypothécaires, ils voudront s’approprier ces acomptes et contraindre les acheteurs à signer un acte de vente définitif. 

Tant et aussi longtemps qu’un règlement n’est pas pris en application de l’article 1791.1 du C.c.Q., il ne semble pas que le nouvel article puisse permettre au prêteur hypothécaire de détenir lui-même les acomptes autrement qu’à titre de banquier de celui qui les détiendrait conformément à l’article 1791.1 du C.c.Q. Selon le raisonnement avancé par la Chambre, le prêteur pourrait demander que les acomptes soient déposés dans le compte en fidéicommis de tout professionnel en qui il a confiance et qui bénéficie d’une protection semblable à celle offerte par le fonds d’indemnisation de la Chambre.

POSITION DE L'IDU, L'APCHQ ET L'ACQ

L’Institut de développement urbain du Québec (l’« IDU »), l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (l’« APCHQ ») et l’Association de la construction du Québec (l’« ACQ ») sont d’avis que le marché québécois n’est pas prêt à répondre aux nouvelles exigences de l’article 1791.1 du C.c.Q. En effet, après une étude attentive de la nouvelle disposition, les trois organisations estiment qu’il n’existe aucun produit d’assurance, de plan de garantie ou de cautionnement susceptible de répondre aux nouvelles exigences de protection de l’acompte au Québec. Ainsi, elles ont écrit à la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, en février afin de lui faire part de leurs préoccupations. Concrètement, elles lui demandent de préciser le Projet de loi afin :

  1. de reporter l'application de l'article 1791.1 du C.c.Q. jusqu'à l'arrivée sur le marché de produits d'assurance ou de cautionnement permettant aux promoteurs immobiliers de se conformer aux nouvelles exigences;

  2. de préciser, au sujet de la remise des acomptes, les modalités liées aux obligations des constructeurs ou promoteurs en matière de livraison de fractions de copropriété à la « date convenue »; et

  3. d'exclure de l'application de l'article 1791.1 les acheteurs agissant par l'entremise d'une société et les personnes physiques dont la fraction de copropriété ne servira pas de lieu de résidence habituel, pour l'acheteur lui-même ou un de ses proches.

Cette lettre demeure pour l’instant sans réponse. Il faudra donc attendre une réaction de la ministre Laforest afin de déterminer si cette demande de la part de trois grands joueurs de l’industrie aura un impact sur l’article 1791.1 du C.c.Q.

AUTRES JURIDICTIONS 

Le Québec n’est pas la première province canadienne à adopter un régime de protection des acomptes. Depuis 2001, l’Ontario s’est doté d’une protection similaire dans la Loi de 1998 sur les condominiums. En effet, les promoteurs ontariens sont tenus de s'inscrire auprès de la Tarion Warranty Corporation (« Tarion »), organisme chargé de l’application du régime de garanties des logements neufs de l'Ontario, qui dispose d'un plan de protection des dépôts. Selon les lois et règlements ontariens, les dépôts que les constructeurs reçoivent doivent être versés à un agent d’entiercement ou à un avocat pour être placés en fiducies, auxquelles les constructeurs ne peuvent accéder que s’ils satisfont aux exigences de Tarion. Toutefois, seul un dépôt pouvant atteindre 20 000 $ CA est protégé par ce régime.

Des régimes similaires existent également en Alberta et en Colombie-Britannique afin de s'assurer que les dépôts soient détenus en fiducie par un avocat et restitués en cas de défaillance du constructeur ou du promoteur. La différence majeure avec l’Ontario est qu’il n’y a pas de limite quant au montant de l’acompte qui est protégé par ces régimes.

CONCLUSION

Le Projet de loi instaure un nouveau régime de protection pour les acheteurs québécois. L’article 1791.1 du C.c.Q. vise à prévenir les risques qu’un acheteur perde son acompte dans l’éventualité où le projet immobilier ne serait pas complété ou encore dans le cas où le constructeur ou le promoteur deviendrait insolvable.

Ce changement à l’encadrement de la copropriété divise a et continuera d’avoir un impact sur les projets de développement immobilier au Québec. Nous assistons déjà à l’apparition de nouveaux produits sur le marché pour répondre à l’obligation de protection des acomptes, tels que des assurances spécialisées ou des plans de garantie.

Malgré toutes les questions qui demeurent en suspens, les constructeurs et promoteurs québécois se doivent d’être vigilants lors de la conclusion d’une transaction avec un acheteur et doivent s’assurer qu’ils respectent les nouvelles exigences en matière de copropriété prévues dans le Projet de loi.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Pierre-Denis Leroux                  514-982-4121
Géraldine Côté-Hébert              514-982-5042

ou un autre membre de notre groupe Immobilier commercial.