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Des tribunaux fédéral et provincial refusent d’autoriser des actions collectives en matière de droit de la concurrence

19 novembre 2021

Deux décisions rendues récemment, l’une par la Cour suprême de la Colombie-Britannique (la « CSCB »), l’autre par la Cour fédérale du Canada (la « Cour fédérale »), laissent entendre que les tribunaux sont de plus en plus disposés à limiter la portée des actions collectives proposées fondées sur des allégations de violation de la Loi sur la concurrence, voire à y mettre fin. La décision rendue par la CSCB dans l’affaire Latifi v. The TDL Group Corp. (l’« affaire Latifi ») le 9 novembre 2021 et celle rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Jensen v. Samsung Electronics Co., Ltd. (l’« affaire Jensen ») le 5 novembre 2021 fournissent d’importantes directives pour les actions collectives proposées en matière de droit de la concurrence.

LATIFI V. THE TDL GROUP CORP.

Contexte

Dans l’affaire Latifi, le demandeur, employé d’un restaurant franchisé Tim Hortons dans la ville de Surrey, en Colombie-Britannique, attaquait la validité d’une clause du contrat de franchise de son employeur interdisant aux franchisés de solliciter des employés des autres restaurants de la chaîne. Selon le demandeur, cette clause avait pour effet de limiter illégalement les salaires des employés des restaurants Tim Hortons tout en augmentant les bénéfices du franchiseur et des franchisés, ce qui constituerait une violation de la Loi sur la concurrence. Il a déposé une demande d’action collective en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence pour violation de l’article 45 de cette même loi, lequel porte sur les complots, ainsi que pour complot délictuel et enrichissement sans cause en vertu du droit commun. La défenderesse, représentée par Blakes, a requis que la demande soit rejetée en soutenant que l’article 45 de la Loi sur la concurrence n’interdit pas les accords entre acheteurs et qu’elle ne révélait aucune cause d’action valable en droit.

Décision

  • La CSCB a accueilli la demande de la défenderesse visant à rejeter la réclamation fondée sur la Loi sur la concurrence, en statuant que l’article 45, et donc l’article 36, ne s’appliquent qu’aux accords « côté vendeur » entre des fournisseurs de produits concurrents, et non aux accords entre acheteurs relativement à l’achat de produits.

  • La CSCB a conclu que la cause d’action de droit commun fondée sur une clause contractuelle restreignant le commerce (qui est parfois soulevée à l’égard de clauses de non-concurrence et de non-sollicitation) ne peut soutenir l’action du demandeur en matière de complot illicite, car cette cause d’action a pour but de protéger les parties à un contrat et non les tiers.

  • La CSCB a rejeté la réclamation pour enrichissement sans cause, puisqu’il existe une justification juridique pour l’enrichissement allégué du franchiseur et du franchisé, soit les obligations contractuelles de ces derniers contenues dans le contrat de franchise.

Principaux points à retenir

  • Les demandes préalables à l’autorisation d’une action collective, lorsqu’il est possible de s’en prévaloir, constituent un moyen efficace d’en limiter la portée avant la tenue de l’audience sur l’autorisation.

  • Les accords entre acheteurs que peuvent conclure des concurrents ne contreviennent pas à la disposition en matière de complot criminel de l’article 45 de la Loi sur la concurrence.

  • Un demandeur ne peut pas fonder une allégation de restriction au commerce dans le cadre d’un contrat entre deux parties auquel il est étranger.

JENSEN V. SAMSUNG ELECTRONICS CO., LTD.

Dans l’affaire Jensen, la Cour fédérale a refusé d’autoriser une action collective alléguant un complot concernant des puces informatiques de mémoire vive dynamique (Dynamic Random Access Memory ou « DRAM ») qui aurait enfreint la Loi sur la concurrence. La décision du juge Gascon dans cette affaire comporte une analyse approfondie de la nécessité que des faits précis soient présentés pour soutenir la prétention d’une entente entre des concurrents, et fait valoir l’importance du processus d’autorisation en tant que mécanisme de filtrage efficace permettant d’assurer que les défenderesses n’aient pas à se défendre contre des réclamations insoutenables.

Contexte

Les demandeurs dans l’affaire Jensen ont déposé une demande d’autorisation d’action collective fondée sur des allégations selon lesquelles les trois principaux fabricants de puces DRAM auraient comploté afin de limiter leur production mondiale (et ainsi de faire croître les prix de ces puces) par le biais de communications non précisées et de déclarations publiques par lesquelles les défenderesses se seraient communiqué leurs intentions, ce qui aurait violé l’article 45 de la Loi sur la concurrence. Les défenderesses se sont opposées à l’autorisation en faisant valoir que les demandeurs n’avaient pas réussi à établir l’existence d’une cause d’action raisonnable aux termes des faits invoqués dans la demande et n’avaient fourni aucun fondement en fait pour appuyer les questions communes proposées.

Décision

  • La Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation, en concluant qu’il était évident et manifeste que les détails fournis par les demandeurs à l’égard d’un complot allégué n’étaient pas suffisants, et qu’il n’y avait donc aucun fondement en fait sous-tendant que les réclamations soulevaient des questions communes. La Cour fédérale a souligné qu’en l’absence de plaidoyers de culpabilité ou de condamnations, ou d’enquête du Bureau de la concurrence ou d’une autorité étrangère en matière d’antitrust, il serait difficile pour les demandeurs de faire valoir adéquatement des allégations de complot.

  • En déterminant que la réclamation des demandeurs était vouée à l’échec, la Cour fédérale a statué que les plaidoyers ne peuvent pas se résumer à de simples spéculations ou à une « expédition de pêche »; selon elle, les plaidoyers doivent comporter suffisamment de détails pour établir les principales composantes (« qui, quand, où, comment et quoi ») d’un accord allégué pour que la responsabilité des défenderesses soit mise en cause. La Cour fédérale a souligné de surcroît que le droit canadien reconnaît depuis longtemps que les « décisions consciemment parallèles » ne sont pas interdites, et que la participation aux réunions d’associations commerciales et les déclarations publiques d’entreprises ne sont pas suffisantes pour suggérer une entente illégale.

  • La Cour fédérale a déterminé que les réclamations alléguant un complot en vertu de l’article 45 ne peuvent pas être accueillies si elles sont fondées sur des suppositions, en statuant que [TRADUCTION] « la dimension procédurale de l’action collective n’a jamais eu pour but de rendre inutile le processus d’autorisation ou de masquer les lacunes flagrantes de la réclamation d’un demandeur » (par. 294).

  • La Cour fédérale a confirmé que, bien que le critère que doivent satisfaire les demandeurs à l’étape de l’autorisation soit peu élevé, il ne l’est pas à tel point d’être « souterrain »; le processus d’autorisation a pour but d’empêcher que des actions sans fondement soient intentées et que les défenderesses soient obligées de consacrer d’importantes ressources pour contester des actions de grande envergure qui prennent beaucoup de temps et qui ne reposent sur aucune preuve.​

Principaux points à retenir

  • Les demandeurs doivent présenter des faits importants avec suffisamment de détails pour soutenir l’existence d’un complot contrevenant à la Loi sur la concurrence – soit les éléments « qui, quand, où, comment et quoi » des ententes alléguées.

  • Les décisions consciemment parallèles et la communication unilatérale d’augmentation de prix ne sont pas suffisantes en soi pour suggérer l’existence d’une entente illégale.

  • Dans le cas des causes ayant trait au droit de la concurrence, le processus d’autorisation demeure un mécanisme de filtrage efficace pour déterminer si une instance doit suivre son cours sous forme d’action collective.

Pour toute question à ce sujet, n’hésitez pas à vous adresser à l’avocat de Blakes avec lequel vous communiquez habituellement ou à un membre des groupes Concurrence et antitrust et Investissement étranger ou du groupe Litige et règlement des différends