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Accès des migrants irréguliers aux soins de santé vitaux : une requête fondée sur la Charte pourra aller de l’avant

9 septembre 2022

La Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « Cour ») a rendu une décision importante. Un litige contre le gouvernement fédéral concernant l’accès de migrants en situation irrégulière à des soins de santé vitaux, fondé sur les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») et les droits de la personne internationaux, et qui dure depuis quelque vingt ans, pourra aller de l’avant.

Dans le cadre de l’affaire Toussaint v. Canada (Attorney General), 2022 ONSC 4747, le juge Perell a rejeté la requête en rejet de la demande présentée par le procureur général du Canada (le « procureur général ») aux motifs qu’elle était prescrite, qu’elle comportait des questions déjà tranchées (autorité de la chose jugée) et qu’elle ne soulevait aucune cause d’action valable. Ce faisant, la Cour a établi que la demande soulevait un certain nombre de questions factuelles et juridiques complexes qu’il était important d’analyser sur le fond.

La décision donne des éclaircissements importants en ce qui a trait aux requêtes en rejet d’actions en justice fondées sur des droits fondamentaux de la personne. Elle confirme que la norme à satisfaire pour rejeter une telle action en justice est « très élevée » et qu’une requête en rejet constitue un moyen procédural à utiliser avec parcimonie. La décision souligne également le rôle important des tribunaux canadiens dans le développement continu du droit international.

CONTEXTE

Mme Toussaint est une femme noire qui est entrée légalement au Canada en provenance de la Grenade en 1999 et qui a tenté en vain de régulariser son statut au cours des années suivantes. À compter de 2009, sa santé a commencé à se détériorer rapidement et de façon significative. Mme Toussaint a alors présenté une demande au titre du Programme fédéral de santé intérimaire (« PFSI ») du gouvernement fédéral afin d’avoir accès au système de soins de santé canadien, demande que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le « ministre ») a rejetée. En 2010, Mme Toussaint a déposé une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, alléguant que ses droits garantis par la Charte avaient été violés. Même si la Cour fédérale a reconnu que Mme Toussaint était exposée à un risque pour sa vie et à de graves conséquences pour sa santé, sa demande et les appels subséquents ont été rejetés.

Ayant épuisé les recours qui lui étaient disponibles au Canada, Mme Toussaint a soumis une demande auprès du Comité des droits de l’homme des Nations Unies (le « Comité »). En 2018, celui-ci a conclu que le Canada avait violé les droits à la vie et à l’égalité de Mme Toussaint aux termes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le « PIDCP ») (bien que le Canada ait adhéré au PIDCP et l’ait ratifié, ce dernier n’a pas été promulgué ni incorporé dans le droit national). Le Comité a exhorté le Canada à accorder une indemnisation à Mme Toussaint et à prendre des mesures pour modifier les lois régissant les soins de santé de manière à protéger d’autres personnes dans des situations semblables. Le Canada a refusé de mettre en œuvre les recommandations du Comité et Mme Toussaint a intenté une poursuite devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

Le procureur général a demandé le rejet de cette action en justice, y compris les allégations selon lesquelles le Canada aurait violé les droits à la vie, à la sécurité et à l’égalité de Mme Toussaint au titre des articles 7 et 15 de la Charte, et qu’il aurait violé le droit international coutumier ainsi que les principes du droit administratif national. Dix groupes sont intervenus dans la requête en rejet, dont l’Association canadienne des libertés civiles.

LA DÉCISION

Dans sa décision, le juge Perell a réprouvé la contre-attaque procédurale tous azimuts adoptée par le Canada à l’encontre de la demande de Mme Toussaint, précisant qu’il était évident que les questions à analyser ne pouvaient être tranchées sommairement dans le cadre d’une requête en rejet d’un acte de procédure.

La Cour a rejeté l’argument du procureur général selon lequel il était clair que le principe de l’autorité de la chose jugée s’appliquait aux demandes de Mme Toussaint fondées sur la Charte, et ce, même si la Cour fédérale s’était déjà prononcée sur ces allégations et n’avait pas donné gain de cause à Mme Toussaint. Ce faisant, la Cour a confirmé qu’il existe des situations dans lesquelles le fait de soumettre à nouveau les mêmes questions à un juge différent peut ne pas constituer un abus de procédure et contribuer à l’intégrité du système judiciaire, notamment lorsque, par souci d’équité, un premier résultat ne devrait pas être contraignant dans un nouveau contexte.

La Cour a déterminé que des changements de circonstances survenus depuis l’année 2010 pouvaient justifier un réexamen des décisions rendues antérieurement par la Cour fédérale, notamment les modifications apportées au PSFI (par exemple, le fait que le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’accorder l’accès au système de soins de santé à des migrants en situation irrégulière dans des circonstances exceptionnelles), de même que les recommandations formulées par le Comité et le refus du Canada de les mettre en œuvre. Le juge Perell a également souligné que la jurisprudence en matière de droits fondamentaux de la personne avait beaucoup évolué depuis 2010 et que la poursuite engagée par Mme Toussaint soulevait des questions importantes susceptibles de toucher d’autres personnes dans des situations semblables. Selon lui, dans le contexte particulier de cette affaire, il serait possible pour un tribunal de conclure que l’application de doctrines discrétionnaires telles que le principe de l’autorité de la chose jugée et la préclusion découlant de questions déjà tranchées « constituerait une injustice ».

Enfin, la Cour a noté qu’il n’était pas possible d’affirmer avec certitude que les revendications de Mme Toussaint en vertu du droit international coutumier, lesquelles ne sont pas nécessairement fondées sur le PIDCP, étaient vouées à l’échec, réitérant que, dans la mesure où il n’est pas incompatible avec les lois nationales existantes, le droit international coutumier est automatiquement considéré comme faisant partie intégrante du droit canadien.

POINTS À RETENIR

Cette décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario revêt une importance certaine pour les personnes qui voudraient revendiquer des droits fondamentaux. Dans l’avenir, des revendications de droits inédites et complexes tant sur le plan factuel que juridique pourraient faire l’objet de requêtes en rejet d’action de la part du gouvernement. Cette décision confirme la norme élevée que doivent satisfaire les parties requérantes lorsqu’elles cherchent à faire rejeter des actions en justice, surtout si de nouveaux développements factuels ou législatifs se sont produits depuis une décision précédente ou si une affaire risque d’avoir des incidences pour des personnes autres que la partie demanderesse. Il se peut donc que le fait de soumettre à nouveau les mêmes questions à un second tribunal soit justifié dans les circonstances particulières d’une affaire.

La Cour a donné gain de cause à Mme Toussaint, qui peut aller de l’avant avec son action en justice, en s’appuyant sur un dossier de preuve complet et un examen actualisé des lois et de la jurisprudence applicables.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Claude Marseille        +1-514-982-5089
Alysha Li                     +1-416-863-2506
Kaley Pulfer                +1-416-863-2756

ou un autre membre de notre groupe Litige et règlement des différends.

*Les avocats de Blakes, Iris Fischer, Kaley Pulfer et Alysha Li ont fourni des services juridiques bénévoles à l’un des intervenants dans cette affaire, soit à l’Association canadienne des libertés civiles.