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Les dispositions de type « payer pour jouer » font un retour dans le domaine du financement par capital de risque

16 mai 2023

Au cours des derniers mois, nous avons remarqué que certains tours de financement par capital de risque comprenaient la négociation de dispositions de type « payer pour jouer » (ou, en anglais, pay-to-play). Ces dispositions se sont faites plutôt rares au cours des dernières années en raison de la conjoncture vigoureuse. Or, lorsque les sociétés ont plus de difficulté à réunir des fonds du fait de leur structure financière actuelle, ces dispositions peuvent devenir de puissants outils de recapitalisation dans le but de favoriser le réinvestissement et de stimuler de nouveaux investissements. Les dispositions de type « payer pour jouer » peuvent en effet aider à amasser les fonds nécessaires. Cependant, il est important que les sociétés les examinent en profondeur et les mettent en œuvre de manière à prévoir et à atténuer les risques qui y sont associés.

EN QUOI CONSISTENT LES DISPOSITIONS « PAYER POUR JOUER »?

Dans le cadre de tours de financement qui comprennent un volet de recapitalisation, une société peut tenter d’attirer de nouveaux financements en modifiant les droits économiques des tours antérieures, notamment en ce qui a trait aux priorités, aux préférences en matière de liquidation ou aux évaluations d’une ou de plusieurs catégories ou séries d’actions privilégiées.
Les dispositions de type « payer pour jouer » peuvent prendre différentes formes, mais leur objectif fondamental est d’inciter les investisseurs existants à continuer de soutenir la société. Ce type de disposition peut être présenté aux investisseurs comme une carotte ou un bâton (ou les deux) et peut avoir été intégré dans les documents de gouvernance d’une société lors d’un tour de financement antérieur ou encore, comme nous le voyons maintenant plus souvent, être introduit dans le cadre d’un nouveau tour de financement lorsque les souscriptions sont inférieures aux besoins de la société.

CONVERSION FORCÉE D’ACTIONS

Une approche commune des dispositions de « payer pour jouer » consiste à punir les investisseurs existants qui ne participent pas à un nouveau tour de financement, au moins selon leur quote-part, en convertissant une partie ou la totalité de leurs actions existantes, soit en actions ordinaires, soit en une catégorie d’actions privilégiées nouvellement créée assortie de droits économiques réduits.

Dans le cas d’une conversion en une nouvelle catégorie d’actions privilégiées, à la suite des modifications apportées, certains droits afférents à la catégorie existante d’actions privilégiées, notamment en ce qui concerne les approbations de vote, les droits de participation au conseil, les droits préférentiels de souscription permettant de participer à des tours de financement ultérieurs et d’autres droits accordés uniquement aux « investisseurs importants », peuvent être réduits. Une telle conversion forcée peut viser toutes les actions détenues par l’investisseur qui ne participe pas au nouveau tour de financement selon sa quote-part. Dans d’autres cas, seule une partie des actions existantes de l’investisseur sera convertie en fonction de la participation proportionnelle de cet investisseur au nouveau tour de financement. Il peut également arriver que les caractéristiques propres aux différentes catégories et séries d’actions privilégiées existantes soient préservées au moment de la conversion forcée en de nouvelles catégories ou séries distinctes, ou que toutes les actions existantes converties soient regroupées en une seule catégorie. En fait, les scénarios possibles sont nombreux.

OPÉRATIONS FAVORABLES OU INCITATIVES

En revanche, les opérations favorables ou incitatives (en anglais, « pull-through » ou « pull-up ») offrent aux investisseurs existants une récompense pour leur participation au nouveau tour de financement. Bien qu’elles puissent prendre diverses formes, l’idée générale est de donner aux investisseurs la possibilité d’échanger leurs actions privilégiées existantes contre une nouvelle catégorie d’actions privilégiées, en fonction du niveau de participation de cet investisseur au nouveau tour de financement.

Les nouvelles actions privilégiées peuvent être identiques aux actions privilégiées existantes de l’investisseur, mais avoir un rang supérieur ou encore être assorties de modalités plus intéressantes.Les actions privilégiées existantes non visées par la conversion peuvent être simplement désavantagées en ayant un rang inférieur aux nouvelles actions privilégiées ou peuvent être converties en actions ordinaires ou en une catégorie d’actions privilégiées comportant des droits réduits. Dans ce dernier scénario, les investisseurs qui participent au nouveau tour de financement sont récompensés par une conversion d’actions avantageuse alors que les investisseurs qui ne participent pas adéquatement au nouveau tour de financement sont punis et subissent une conversion défavorable. C’est donc soit la carotte, soit le bâton.

OBTENIR LE SOUTIEN DE SES INVESTISSEURS

Plus tôt cette année, une figure importante de la Silicon Valley, Sequoia Capital, aurait refusé de participer à un financement assorti de dispositions de type « payer pour jouer » lancé par l’une des sociétés faisant partie de son portefeuille. Confrontée à la décision de renouveler son investissement dans cette société ou de subir un niveau de dilution qui éliminerait en grande partie son investissement existant auprès de cette dernière, Sequoia Capital a vendu ses titres et son représentant a démissionné du conseil d’administration de la société en question. Bien que la société ait réussi à obtenir le financement nécessaire auprès d’autres investisseurs existants, cette affaire peut servir de mise en garde pour les sociétés qui cherchent à restructurer leur capital. Il convient d’ailleurs de noter que dans d’autres affaires, des investisseurs existants se sont opposés avec succès à des modalités de financement proposées qu’ils jugeaient trop punitives.

Bien que les investisseurs reconnaissent que les sociétés ont besoin d’un financement adéquat pour exécuter leurs plans d’affaires, ils peuvent estimer que pour continuer de soutenir financièrement une société, celle-ci doit non seulement procéder à une certaine forme de restructuration de son capital, mais aussi effectuer certains changements, notamment opérationnels. En l’absence de tels changements, les investisseurs peuvent choisir de se retirer et d’en subir les conséquences. S’ils restent, les investisseurs existants peuvent voir la majeure partie de leur placement existant néantisée, comme nous avons pu le constater récemment dans le cadre de certaines opérations de restructuration du capital marquantes. Dans d’autres cas, toutefois, lorsque les sociétés ont fait preuve de transparence dans la présentation de leur proposition et ont clairement fait savoir qu’elles croyaient que les modalités de leur restructuration du capital représentaient la meilleure voie à suivre, leur proposition a reçu un fort appui. Dans la plupart des cas, un large éventail de scénarios sera évalué afin d’établir la combinaison de facteurs qui produira un résultat suffisamment acceptable à la fois pour la société et ses investisseurs.

ATTÉNUER LES RISQUES JURIDIQUES

En vertu des lois canadiennes sur les sociétés, la mise en œuvre d’une restructuration du capital, y compris lorsque des dispositions de type « payer pour jouer » s’appliquent, nécessitera généralement l’approbation des actionnaires de chaque catégorie. Bien que l’opération puisse recevoir un appui suffisant des actionnaires pour permettre sa mise en œuvre, il est important de garder à l’esprit que les lois canadiennes sur les sociétés (contrairement à leur pendant de l’État du Delaware, aux États-Unis) offrent un vaste recours en cas d’abus aux actionnaires qui se sentent lésés. Il peut d’agir d’actionnaires qui estiment qu’une société abuse de leurs droits ou se montre injuste à leur égard en leur portant préjudice ou en ne tenant pas compte de leurs intérêts.

Au moment d’examiner ou de mettre en œuvre une opération de type « payer pour jouer » (particulièrement lorsque l’opération proposée n’est pas prévue dans les documents de gouvernance et les conventions visant les actions de la société), les sociétés devraient veiller à atténuer les risques d’opposition par des actionnaires minoritaires mécontents. Pour se faire, elles devraient évaluer minutieusement les options à leur disposition, prendre des décisions avisées, solliciter des conseils auprès de professionnels s’il y a lieu, cerner et gérer avec soin les conflits d’intérêts potentiels, communiquer de façon convenable et en temps opportun avec les actionnaires, ainsi que tenir à jour un dossier qui rend compte de tout le processus.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Christopher Jones        +1-416-863-2704

ou un autre membre de notre groupe Entreprises émergentes et capital de risque.