Sauter la navigation

Pour créer, l’IA générative doit-elle obligatoirement violer des droits d’auteur?

Par Chris Hunter, Marko Trivun, Lindsay Toth et Chantelle Hospedales (stagiaire)
13 mars 2023

Quelques jours à peine après le lancement de ChatGPT d’OpenAI, des millions d’utilisateurs étaient déjà en liesse. Grâce à la structure de clavardage toute simple de ChatGPT, laquelle est fondée sur des questions et des réponses, l’utilisateur peut interroger le bot ChatGPT en lui posant une question sur n’importe quel sujet, ou peut lui présenter un éventail de demandes, comme écrire un poème, une dissertation ou une chanson, voire proposer des recettes pour un repas à partir d’une liste d’ingrédients. La réussite de ChatGPT pourrait bien entraîner la désuétude des espaces de recherche sur Internet, d’où le vent de panique qui s’est levé chez Google. Réagissant rapidement, Google a depuis créé Bard, son propre robot conversationnel à intelligence artificielle. Comble de l’ironie, en 2017, des ingénieurs de Google avaient justement été les premiers à proposer l’algorithme de transformation dans un document qui a marqué le début de l’actuelle frénésie entourant l’IA générative. 

L’IA générative est beaucoup plus évoluée que les moteurs de recherche classiques. Elle peut servir à l’expression créative et à la création de contenu sous de nombreuses formes. Depuis qu’OpenAI a lancé GPT-3 (un bot similaire à GPT mais convenant mieux à un large éventail de tâches d’ordre général), le nombre de systèmes d’IA générative est monté en flèche, que l’on pense aux modèles ouverts (comme celui de BLOOM) ou aux modèles exclusifs (comme le modèle canadien Cohere), qui peuvent créer des œuvres d’art, de la musique, des œuvres littéraires et des codes, souvent sans que rien n’indique l’absence d’intervention humaine. Depuis 2020, les investisseurs de capital-risque ont augmenté leurs mises dans les sociétés d’IA générative de l’ordre de 425 %, leurs investissements se chiffrant maintenant à 2,1 G$ US. Selon certaines estimations, le marché de l’IA générative a le potentiel d’atteindre 111 G$ US d’ici 2030.

L’éventail des outils d’IA générative ne peut que s’élargir et ces outils deviendront de plus en plus spécialisés. Certains d’entre eux prétendent déjà donner les meilleurs résultats pour la création de courriels de marketing et de vente (Lavender), la rédaction de documents juridiques (Harvey), la production de vidéos (Runway), la conception d’applications et de sites Web (Diagram) et la création de voix sur mesure répondant à de nombreux besoins commerciaux, comme la publicité, les centres d’appel et les livres audio (Resemble.AI).

Les répercussions de l’IA générative sur le plan juridique (comme la question de savoir ce qui constitue une reproduction d’une œuvre protégée par droit d’auteur et celle de savoir comment repérer une telle reproduction) sont plus d’actualité que jamais.

De par leur nature, les outils d’IA générative ont besoin d’engloutir d’immenses quantités de données. Or, une partie de ces données est forcément protégée par droit d’auteur. Par ailleurs, les algorithmes à la base de ces outils produisent de nouvelles œuvres originales pouvant à leur tour être protégées par droit d’auteur si un intervenant humain y a ajouté suffisamment de talent et de jugement. Les systèmes d’IA sont maintenant surveillés de près par les auteurs et les titulaires de droits, lesquels veulent s’assurer que les contenus utilisés pour entraîner ces systèmes ne violent pas leurs droits d’auteur.

En vertu de la Loi sur le droit d’auteur (Canada), l’œuvre d’un auteur est généralement protégée par droit d’auteur à partir du moment où elle est créée et fixée sous forme d’objet tangible (p. ex. par écrit), sans que l’auteur n’ait à l’enregistrer ou à prendre de mesure d’ordre juridique à son égard. Cela dit, les systèmes d’IA générative utilisent des œuvres existantes comme données d’entrée à partir desquelles l’IA pourra créer de nouvelles œuvres. Sur le plan juridique, l’enjeu découle du fait que, bien souvent, les données que les systèmes utilisent pour créer de nouveaux contenus sont protégées par droit d’auteur, ce qui signifie qu’il y a nécessairement eu atteinte aux droits des titulaires des droits d’auteur puisque les œuvres de ceux-ci ont été copiées lorsqu’elles ont été utilisées pour l’entraînement du logiciel d’IA.   

Certains prétendent que le système d’IA générative est l’auteur original de la nouvelle œuvre, et ce, même si le droit d’auteur protège uniquement la création humaine. Selon eux, l’algorithme s’inspirerait d’œuvres existantes pour en créer de nouvelles, comme le font les artistes humains dont les œuvres originales ont été influencées par celles d’autres artistes qui les ont précédées, ce qui n’empêche pas pour autant leurs œuvres d’être considérées comme étant originales. La principale différence entre le mode de production des artistes humains et le mode de production artistique de l’IA générative serait alors que les humains n’ont pas besoin de créer des copies des œuvres antérieures pour s’en inspirer, les œuvres antérieures n’ayant qu’à être perçues par leurs sens. En revanche, l’« inspiration » de la machine repose théoriquement sur la copie des œuvres antérieures pour les besoins de l’encodage de celles-ci dans les outils d’IA générative.

Ce mois-ci, le U.S. Copyright Office s’est penché sur la question du droit d’auteur sur les œuvres d’art produites par l’IA et ses conclusions pourraient éventuellement modifier le cadre juridique du droit d’auteur des œuvres produites par l’IA au sens large. Dans cette affaire, l’autrice d’une bande dessinée s’était adressée au U.S. Copyright Office afin d’obtenir la protection du droit d’auteur sur son œuvre et avait initialement obtenu l’enregistrement de son droit d’auteur sur l’album au complet. Toutefois, lorsque le U.S. Copyright Office a découvert que les images de la bande dessinée avaient été créées à l’aide de la technologie IA Midjourney, l’enregistrement du droit d’auteur a été modifié. L’autrice a été reconnue comme étant titulaire du droit d’auteur sur le texte ainsi que sur la sélection, la coordination et l’arrangement des éléments écrits et visuels de la bande dessinée, mais non sur les images générées par IA figurant dans l’album. Le U.S. Copyright Office a jugé que les images créées par Midjourney ne pouvaient pas bénéficier de la protection du droit d’auteur puisqu’elles n’étaient pas le fruit du travail d’un auteur humain.

L’IA a également été analysée sous l’angle du principe de l’utilisation équitable (fair use aux États-Unis et fair dealing au Canada), lequel prévoit une exception à l’égard de certaines utilisations non autorisées de matériel protégé par droit d’auteur. En général, s’il est jugé qu’une utilisation non autorisée de matériel protégé par droit d’auteur constitue une utilisation équitable, cette utilisation ne sera pas considérée comme portant atteinte au droit d’auteur. Pour décider si le principe de l’utilisation équitable s’applique à une utilisation non autorisée d’une œuvre protégée par droit d’auteur, les tribunaux s’en remettent à une liste non exhaustive de facteurs. Ils appliquent le principe de l’utilisation équitable d’une manière globale et au cas par cas. Bien que ce principe n’ait pas encore été appliqué à l’IA générative, il n’en a pas moins été pris en considération dans plusieurs autres contextes associés aux technologies numériques émergentes, y compris concernant le copiage numérique de livres physiques par Google, le contenu desquels ayant pu plus tard être entièrement consulté à l’aide du moteur de recherche de Google. Les experts juridiques attendent avec impatience la décision de la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. v. Goldsmith, laquelle traitera de ce qui constitue une utilisation transformative, et donc équitable, plutôt qu’une œuvre dérivée, et donc résultant de la contrefaçon d’une œuvre. 

Il y a lieu de s’attendre à ce que certains facteurs entrent en jeu pour déterminer si le principe de l’utilisation équitable s’applique à l’IA générative, soit l’emplacement de l’entreprise, l’emplacement des données d’entraînement utilisées (étant donné que le principe de l’utilisation équitable n’a pas nécessairement cours dans certains pays) et le fait que la plateforme d’IA générative transforme ou non l’œuvre originale. Les contrevenants éventuels pourraient prétendre que les procédés utilisés pour aspirer les données dans le cadre de l’entraînement de la plateforme constituent des activités de recherche englobées par le principe d’utilisation équitable.

Les affaires portant sur des atteintes au droit d’auteur dans le contexte de l’utilisation de l’IA générative évoluent rapidement. En novembre 2022, des demandeurs ont déposé, en Californie, une demande d’autorisation d’action collective pour piratage de logiciels contre Microsoft et sa filiale GitHub, ainsi que contre OpenAI. Il est allégué que ces sociétés ont utilisé illégalement du matériel protégé par droit d’auteur d’autrui afin de concevoir et d’entraîner leur service Copilot, lequel fait appel à l’IA pour créer des logiciels. Tout récemment, en janvier 2023, Getty Images a intenté une action contre l’outil générateur d’art IA Stable Diffusion, à Londres, au Royaume-Uni, alléguant que Stability AI a illégalement copié et traité des millions d’images protégées par droit d’auteur dans le but d’entraîner son logiciel. Un recours similaire a été déposé devant la Cour de district des États-Unis pour le district du Delaware en février 2023. Il y a lieu de s’attendre à ce que d’autres poursuites de ce type continuent à voir le jour un peu partout dans le monde.

Mis à part la problématique liée au droit d’auteur, l’IA soulève des questions concernant la propriété intellectuelle dans son ensemble. À la suite d’une décision rendue par le Intellectual Property Office du Royaume-Uni, la Haute Cour de justice et, ensuite, la Cour d’appel du Royaume-Uni ont été saisies de la question de savoir si les machines fondées sur l’IA peuvent constituer des inventions brevetables. L’appelant avait créé une machine IA, DABUS, laquelle, par la suite, a créé deux inventions additionnelles. L’appelant a alors présenté une demande de brevet à l’égard des deux inventions, désignant DABUS comme étant l’inventeur de celles-ci. Dans une décision partagée, la Cour d’appel a statué que la loi ne reconnait pas les machines IA en tant qu’inventeur, et que la loi doit donc être appliquée telle quelle. La décision a été portée en appel devant la Cour suprême du Royaume-Uni et un jugement devrait être rendu en 2023.

Si rien dans ce qui précède ne vise à dissuader les fondateurs d’entreprise dans le secteur de l’IA générative de poursuivre leurs activités, il n’en reste pas moins que ceux-ci devraient faire preuve de prudence. Dès le départ, les entreprises en démarrage devraient envisager de faire appel à des conseillers juridiques en propriété intellectuelle afin de bien comprendre et d’atténuer les risques juridiques associés à leurs activités.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Sunny Handa               +1-514-982-4008
Chris Hunter                 +1-416-863-2518
Marko Trivun                +1-416-863-3185
Lindsay Toth                +1-416-863-2912

ou un autre membre de notre groupe Entreprises émergentes et capital de risque.