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Clause d’arbitrage : rejet d’action collective fondée sur l’interruption des affaires en raison de la COVID-19

3 mars 2021

Le 14 janvier 2021, le juge Gary D.D. Morrison de la Cour supérieure du Québec (la « Cour ») a rendu une décision clé dans le cadre de laquelle il a décliné compétence à l’égard d’une demande visant à autoriser une action collective (la « demande ») intentée par un propriétaire de restaurant (« Bâton Rouge ») contre son assureur (« Allianz ») par suite de la COVID-19 et des fermetures d’entreprises imposées par le gouvernement qui en ont découlé. La demande se fondait sur la couverture contre l’interruption des affaires prévue à la police d’assurance souscrite par Bâton-Rouge auprès d’Allianz (la « police »). Cette police était également assortie d’une clause d’arbitrage multi-étapes concernant les différends ayant trait à la couverture offerte. La Cour supérieure a statué qu’elle n’avait pas compétence en la matière car la question relevait de cette clause d’arbitrage et que le différend devait donc être renvoyé à un arbitre.

Les clauses d’arbitrage (ou de règlement des différends) multi-étapes prévoient une série d’étapes successives (par exemple, négociations entre des hauts dirigeants de chacune des parties; médiation; etc.) menant à un arbitrage obligatoire si les parties ne parviennent pas à régler leur différend. Ces clauses sont de plus en plus courantes dans les contrats commerciaux, car elles visent à tirer parti des avantages et à atténuer les inconvénients de diverses formes de mécanismes de règlement extrajudiciaire de différends.

En déclinant compétence pour ce motif, la Cour supérieure a non seulement rejeté une demande d’autorisation d’action collective à un stade préliminaire, mais elle a aussi confirmé qu’une clause de règlement des différends multi-étapes peut empêcher une partie d’engager une action devant les tribunaux de droit commun. Pour produire cet effet, une telle clause doit être qualifiée de clause compromissoire parfaite en ce sens que le processus de règlement des différends doit aboutir soit à un règlement extrajudiciaire du différend, soit à un processus d’arbitrage définitif, exécutoire et sans appel.

L’ACTION COLLECTIVE PROPOSÉE

Dans sa demande, Bâton Rouge alléguait, en vertu de sa couverture contre les pertes d’exploitation résultant d’une interruption des affaires, qu’elle avait subi des pertes en raison d’ordonnances gouvernementales imposant la fermeture de ses restaurants ou la limitation de ses activités à des commandes pour emporter en raison de la COVID-19. Bâton Rouge a cherché à intenter une action collective au nom de tous les exploitants de restaurants et de bars au Québec qui se trouvaient dans une situation semblable et qui se sont vu refuser cette couverture par Allianz. Allianz a déposé une demande en exception déclinatoire, demandant à la Cour supérieure de décliner sa compétence à l’égard du différend en raison d’une clause de règlement des différends multi-étapes prévue à la police, aux termes de laquelle les parties avaient convenu de régler les différends relatifs à la couverture d’abord par médiation, puis par arbitrage définitif et exécutoire.

LA DÉCISION

L’un des principes fondamentaux du Code de procédure civile du Québec (le « Code ») repose sur l’importance qu’accorde le législateur aux mécanismes de règlement extrajudiciaire de différends. En vertu de ce principe et des dispositions pertinentes du Code, la Cour supérieure a conclu qu’elle devait décliner sa compétence dans cette affaire et renvoyer la cause à un médiateur et, si les parties ne pouvaient s’entendre sur un règlement à l’amiable, à un arbitre. La Cour supérieure a déterminé que la clause de règlement des différends était obligatoire, claire, définitive et exécutoire. Autrement dit, elle constituait une clause compromissoire parfaite à l’égard de l’objet du différend. Le fait qu’il s’agissait d’une clause multi-étapes n’avait aucune incidence sur sa validité.

Bâton-Rouge soutenait que la police était, au mieux, ambiguë à cet égard puisqu’elle comportait également une clause selon laquelle les tribunaux du district judiciaire dans lequel se situe l’assuré désigné ont compétence exclusive en cas de différend sur la couverture. La Cour supérieure a conclu que, selon le libellé de la clause d’arbitrage, cette clause ne lui conférait pas compétence sur l’objet du différend, mais traitait uniquement de la question de la compétence territoriale du tribunal.

La Cour a souligné que la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême du Canada ont déterminé que les clauses d’arbitrage ne portent pas atteinte à l’ordre public même dans les cas où un demandeur cherche à intenter une action collective contre le défendeur.

Enfin, la Cour a refusé d’accueillir l’argument de Bâton Rouge fondé sur l’équité selon lequel le fait pour la Cour de décliner sa compétence à l’égard de l’action collective proposée obligerait chaque assuré à recourir individuellement à un processus de médiation et d’arbitrage, les arbitrages collectifs n’étant pas reconnus en droit québécois. Bâton Rouge soutenait qu’il s’agirait d’un processus long et coûteux qui découragerait les participants à l’action collective d’exercer leurs droits. La Cour a statué que la question de sa compétence sur l’objet d’un différend constitue une question d’ordre public et non une question d’équité.

Par conséquent, Bâton Rouge n’a pas réussi à démontrer que la clause de règlement des différends multi-étapes était illégale ou contraire à l’ordre public, ou qu’elle ne constituait pas une clause compromissoire parfaite, ce qui a mené la Cour à décliner sa compétence à l’égard de l’action collective proposée. Puisque la clause d’arbitrage figurait dans toutes les polices souscrites par les participants à l’action collective, la Cour a conclu que la demande était devenue théorique et l’a rejetée dans son ensemble.

CONCLUSION

Il a fallu peu de temps pour que la décision rendue dans l’affaire Bâton Rouge soit citée dans d’autres décisions. Récemment, la Cour supérieure a cité l’affaire Bâton Rouge dans une autre décision pour exclure d’une action collective certaines entreprises dont les contrats comportaient une clause d’arbitrage.

Le droit québécois reconnait la validité des conventions d’arbitrage même face aux demandes d’autorisation d’actions collectives, sauf dans des cas exceptionnels spécifiquement identifiés par le législateur, par exemple les réclamations de consommateurs. Il s’agit d’une question d’ordre public qui relève directement de la compétence du tribunal sur le différend et qui ne peut donc pas être affectée par des considérations d’équité. Dans l’affaire Bâton Rouge, la Cour a confirmé que les clauses multi-étapes de résolution extrajudiciaire des différends ont le même effet que les clauses d’arbitrage « pur » dans la mesure où elles sont des clauses compromissoires parfaites. L’inclusion de clauses d’arbitrage ou de résolution extrajudiciaire des différends multi-étapes dans les contrats commerciaux devrait être envisagée sérieusement comme moyen pour traiter efficacement les différends auxquels l’entreprise est susceptible de faire face.

La décision rendue dans l’affaire Bâton Rouge fera bientôt l’objet d’une révision par la Cour d’appel du Québec, un avis d’appel ayant été déposé par Bâton rouge à cet égard.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Claude Marseille                    514-982-5089
Matthew Liben                        514-982-5091
Anthony Cayer                       514-982-4070

ou un autre membre de notre groupe Actions collectives.